Algérie: 2022, vers la fin du "caractère social" de l’Etat?

© AP Photo / Fateh GuidoumConseil de la nation (le Sénat algérien)
Conseil de la nation (le Sénat algérien) - Sputnik Afrique, 1920, 26.11.2021
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Le Parlement algérien a adopté la mise en œuvre d’un processus de levée des subventions. Inscrit dans la loi de Finances et du budget de l’année 2022, cette mesure prévoit l’institution d’une aide directe au profit des classes sociales à faibles revenus. Les parlementaires ont cependant imposé des préalables pour son entrée en vigueur.
La loi de Finances et du budget 2022 pourrait bien marquer le début de la fin du "caractère social et solidaire" de l’État algérien. Jeudi 25 novembre 2021, le texte a été adopté à l’unanimité par le Conseil de la nation (le Sénat algérien), après avoir été approuvé, une semaine plus tôt, par l’Assemblée populaire nationale. Cette loi comporte une disposition inédite qui prévoit une révision du système des subventions.
"Il est mis en place un dispositif national de compensation monétaire au profit des ménages qui y sont éligibles. Ce dispositif mis en œuvre suite à la révision et l'ajustement des prix des produits soutenus, sera concrétisé à travers un programme de transfert monétaire direct au profit des ménages qui y sont éligibles", dispose l’article 187.

"Le poids des déficits"

À l’avenir, l’huile, la semoule, le lait et le pain, qui sont subventionnés par l’État, seront proposés sur le marché au prix réel. En contrepartie, les personnes à faibles revenus bénéficieront d’une aide financière. À titre indicatif, une baguette de pain coûte actuellement 10 dinars (0,06 centime d’euro) et le bidon d’huile de table de cinq litres 650 dinars (4,15 euros). Sauf que cet article de loi n’apporte pas de précisions sur les nouveaux prix. La population s’attend néanmoins à une flambée de ces produits alimentaires. Sur les réseaux sociaux, le sujet est au cœur des préoccupations.
Contacté par Sputnik, Rachid Sekak, économiste et ancien directeur de la dette extérieure à la Banque d'Algérie, précise que la question de la révision du système des subventions fait débat depuis une dizaine d’années.
"Il faut savoir qu’en Algérie tout est subventionné: le taux de change, le logement, les produits alimentaires, l’énergie… L’habitat représente à lui 650 milliards de dinars (4,140 milliards d’euros) par an. Actuellement le débat est focalisé sur les subventions alimentaires donc l’huile, la semoule, le pain, le lait. Concrètement, c’est un problème de fond car elles sont mal ciblées. Le subventionnement des produits exige une demande incompressible d’import, car ces produits proviennent de l’étranger. Ensuite c’est injuste car tout le monde, sans distinction, en bénéficie. Il y a un vrai souci budgétaire, les déficits sont insupportables. La problématique se pose réellement en matière de finances publiques. Le pays est dos au mur. On ne peut pas tenir avec des déficits budgétaires de 10 à 15% du PIB", explique Rachid Sekak.
La situation est telle que le Trésor public n’a plus les moyens de payer la facture de 17 milliards d’euros consacrée aux transferts sociaux. Et la hausse des prix des hydrocarbures sur le marché international n’aura pas de réels effets sur les finances du pays. "Le pays n’arrive pas à tirer réellement avantage de la hausse du prix du brut car pour cela il faudrait avoir de grandes quantités de pétrole que nous n’avons pas. Pour ce qui est du gaz, l’Algérie est embarquée avec ses partenaires européens dans des contrats de plus ou moins long terme donc elle n’a pas la flexibilité pour aller sur le marché spot qui est particulièrement lucratif actuellement", note l’économiste.
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Les préalables des députés

Karim Aymeur, journaliste au quotidien Le Soir d’Algérie, a couvert les débats et l’adoption de la loi de Finances 2022. Il précise que l’article 187 a été amendé par les députés qui ont "imposé certains préalables".
"Les élus considèrent que les conditions pour l’application de cette mesure ne sont pas réunies. Ils ont exigé la mise en place d’un organisme national avant de lancer la question de la fin des subventions. Cet organisme devra collecter des statistiques et mettre en place des critères de sélections pour identifier les personnes et les familles à faibles revenus qui auront droit à cette aide financière directe. Ce travail pourrait prendre au moins trois ans, à moins que les pouvoirs publics décident d’accélérer le processus alors il suffirait d’environ six mois", dit le journaliste.
Le gouvernement est donc tenu de lancer une infrastructure informatique pour identifier et verser ce pécule à des millions d’Algériens. "Même s’il y a des fraudeurs, cela coûtera beaucoup moins cher que les subventions. Mais ceux qui vont subir le contrecoup de cette mesure ce sont les ménages de la classe moyenne qui n’auront certainement pas droit à cette aide financière et qui devront payer les produits au prix réel", estime Rachid Sekak. Reste à savoir si cette mesure entre dans une stratégie de réformes économiques et sociales. La fin de l’État providence. L’économiste se montre sceptique.
"Le gouvernement a compris qu’il fallait agir. Il y a un discours intéressant puisque le langage est en train de changer, mais pour le moment nous en sommes encore dans les effets d’annonces car il n’a rien de véritablement concret. Le risque c’est que cette démarche ne soit pas cohérente et que l’on instaure une régulation administrative", affirme-t-il.
Si cette dynamique de révision des subventions venait à être généralisée à l’énergie, aux carburants et à l’eau potable, il faudra revoir à la hausse les salaires. Le gouvernement a ouvert un dossier très sensible puisqu’il touche directement le pouvoir d’achat de la population algérienne. Son objectif premier sera d’éviter une explosion sociale.
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