Mondial au Qatar: quand un ancien de la CIA joue les agents discrets

© AFP 2024 STR A man looks at his phone on the corniche in the Qatari capital Doha on July 2, 2017.
A man looks at his phone on the corniche in the Qatari capital Doha on July 2, 2017. - Sputnik Afrique, 1920, 24.11.2021
S'abonner
Le Qatar aurait employé un ex-agent de la CIA pour gérer son image à un an du Mondial de foot 2022. Or Doha reste au cœur des critiques pour l’attribution douteuse de l’événement et, surtout, pour les conditions déplorables des travailleurs étrangers.
Le Qatar ne se refuse rien. Selon une enquête d’Associated Press, le petit émirat aurait employé pendant des années un ancien officier de la CIA pour espionner notamment les États-Unis et la FIFA. L’ex-agent aidait la monarchie pétrolière à gérer son image et à conserver son statut d’organisateur de la Coupe du monde 2022. Kevin Chalker a travaillé dans l’organisation américaine en tant qu'officier des opérations pendant environ cinq ans avant de rejoindre Doha. Il aurait proposé ses services d’espionnage et de contre-espionnage par l’intermédiaire de sa société privée, Global Risk Advisors.
Une coopération qui aurait servi à la surveillance des membres de la FIFA critiques à l’égard de l’attribution de la Coupe du monde au Qatar, moyennant un projet de 387 millions de dollars sur neuf ans. De surcroît, rien que sur l’année 2017, les sociétés écrans de Kevin Chalker auraient engrangé plus de 46 millions en billets verts. L’Américain aurait également permis au riche émirat gazier de se constituer une équipe de spécialistes d’informatique, d’espions et d’hommes de terrain pour fliquer les travailleurs étrangers venus construire les stades dans l’émirat.

Sarkozy a fait pression pour l’attribution du Mondial au Qatar

A un an du mondial, le Qatar se retrouve ainsi de nouveau au cœur des critiques. Toutefois, pour Christian Chesnot, journaliste spécialiste du Moyen-Orient et co-auteur du livre Qatar Papers aux éditions Michel Laffont, acheter les services d’un ancien de la CIA n’a rien de "surprenant" compte tenu de "la stratégie de politique publique de l’émirat".
"Depuis 2010 et l’obtention de la Coupe du monde, le Qatar fait face à de nombreuses critiques, de la part des concurrents ou même des voisins du Golfe comme les Émirats ou l’Arabie saoudite. Donc ils ont une armée de conseillers, de lobbyistes pour gérer leur image, c’est le b.a b-a des relations publiques. C’est en quelque sorte une guerre des coulisses", souligne-t-il au micro de Sputnik.
Malgré cette armada, les critiques vont toujours bon train sur les conditions d’attribution de la Coupe du monde. "Le choix du Qatar a été une grande erreur", a confessé Sepp Blatter, ancien dirigeant de la FIFA, dans les colonnes du Monde. "Sans l’intervention au dernier moment de Sarkozy sur Platini, le Qatar n’aurait jamais eu la Coupe du monde", a-t-il avoué.
Le mollah Abdul Ghani Baradar au Qatar - Sputnik Afrique, 1920, 02.09.2021
Le Qatar, un médiateur plus que partisan dans la crise afghane
En septembre 2010, l’ancien Président français aurait permis un deal entre le Cheikh Tamin ben Hamad al-Thani, devenu depuis émir du Qatar, et Michel Platini, alors président de l’Union des associations européennes de football (l’UEFA). Le contrat aurait concerné le rachat du PSG ou la vente d’avions militaires à Doha en contrepartie de l’assurance d’un vote en faveur du Qatar. Des allégations avaient filtré dans la presse, de France Football au Monde. Le site d’information Blast vient de publier des documents les confirmant. Malgré ces histoires de pots-de-vin, "le Qatar aura sa coupe", affirme Christian Chesnot.

Plus de 6.500 travailleurs étrangers seraient morts depuis le début des travaux

Mais le véritable talon d’Achille du Qatar est, à en croire notre interlocuteur, "les conditions des travailleurs étrangers". En février dernier, une enquête du Guardian avançait que plus de 6.500 travailleurs étrangers seraient morts sur les chantiers en une décennie. Depuis que le petit émirat a obtenu l’organisation de la compétition sportive, il a massivement recruté de la main-d’œuvre, principalement d’Inde, du Pakistan, du Népal, du Bangladesh et du Sri Lanka, pour mener à bien de gigantesques travaux.
Le Guardian précise que douze travailleurs étrangers décéderaient chaque semaine. Un chiffre qui ne comptabiliserait d’ailleurs pas les travailleurs migrants provenant des Philippines et du Kenya. Les autorités qatariennes se sont empressées de démentir ces informations. Elles ne reconnaissent depuis 2014 et le début de la construction des stades que trois morts dans des accidents du travail.
Cependant, Doha aurait consenti quelques efforts sur les conditions de travail.
"On ne peut pas travailler dans un pays où il fait 50 degrés et où il y a environ 80% d’humidité, les conditions sont intenables On ne peut pas le nier, à force d’être critiqué, l’émirat a dû améliorer les conditions des travailleurs", nuance le reporter Christian Chesnot.
Ainsi Doha a-t-il mis en place, en mars 2021, un salaire minimum de 1.000 riyals par mois, soit 240 euros, plus 300 riyals d’indemnités pour la nourriture et 500 pour le logement. De surcroît, le Qatar aurait aboli le Kafala, un système de parrainage néo-esclavagiste, qui obligeait les travailleurs à remettre leur passeport aux autorités en entrant dans le pays et à avoir l’autorisation de leur patron pour quitter le territoire ou changer d’emploi.
Des mesures jugées néanmoins insuffisantes par de nombreuses ONG. Un récent rapport d’Amnesty International déplore le manque de transparence sur les conditions de travail. De surcroît, des organisations comme Human Rights Watch ou encore Migrant-Rights font toujours pression auprès des autorités de plusieurs pays pour qu’elles boycottent l’événement sportif prévu en novembre prochain.

Mélenchon contre le Mondial au Qatar

La campagne de dénonciation semble commencer à porter ses fruits. Plusieurs équipes nationales, à l’instar de la Norvège ou du Danemark, sont montées au créneau, arborant des T-shirts portant l’inscription "Human Rights" lors des matchs de qualification. Des stars du ballon rond, tel Joshua Kimmich, du Bayern de Munich, sont sorties du silence pour dénoncer les conditions de vie des travailleurs.
En France, Jean Luc Mélenchon a pris position. "Il y a des fédérations sportives pour en discuter. Moi je pense qu'un Français n'a rien à foutre là-bas. Mais après, bon, c'est moi. [...] Oui, les gars, je vous dis de ne pas y aller. On ne peut pas jouer au foot sur les cadavres, on ne peut pas jouer au foot avec des violents bornés obscurantistes comme ceux qu'on a là", avait déclaré le leader de la France insoumise en avril dernier.
Doha, la capitale du Qatar - Sputnik Afrique, 1920, 25.02.2021
Des milliers de travailleurs morts sur les chantiers? 2022, la Coupe immonde du Qatar
Le mauvais traitement des travailleurs semble de surcroît avoir un impact sur les téléspectateurs. Selon un dernier sondage d’Odoxa de novembre, 53% des Français sondés envisageraient de boycotter le mondial, en ne regardant pas les matches. Rien d’étonnant encore une fois, juge Christian Chesnot: "L’image du Qatar est aujourd’hui détestable en France."
Jusqu’au premier coup de sifflet du Mondial 2022, le 21 novembre prochain, le Qatar devra répondre aux accusations et aux critiques.
"À partir de janvier, le Qatar va mettre le paquet dans la promotion de son événement, avec une campagne de pub planétaire. Et automatiquement, ils vont passer les critiques sous silence. C’est l’apothéose pour l’émir, qui voudra se servir de ce Mondial pour faire de l’émirat un véritable hub sportif", prédit notre interlocuteur, avant de conclure: "En tout point, cette candidature aura été extraordinaire, hors normes."
Fil d’actu
0
Pour participer aux discussions, identifiez-vous ou créez-vous un compte
loader
Chat
Заголовок открываемого материала