Entre la Turquie et l’Iran, un partenariat stratégique en trompe-l’œil

© AFP 2024 -Rencontre du ministre des Affaires étrangères turc avec son homologue iranien
Rencontre du ministre des Affaires étrangères turc avec son homologue iranien - Sputnik Afrique, 1920, 16.11.2021
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Le chef de la diplomatie turc s’est rendu en Iran ce lundi. Les deux pays entendent renforcer leurs relations mais malgré les convergences d’intérêts sur le repli occidental de la région, des dissensions demeurent sur le Caucase, l’Irak et la Syrie.
La Turquie ne cesse de surprendre. Ce lundi 15 novembre, dans la même journée, nous apprenons que Recep Tayyip Erdogan va bientôt recevoir son homologue émirati Mohammed Ben Zayed pour enterrer la hache de guerre, tandis que son ministre des Affaires étrangères Mevlut Cavusoglu était en Iran. Le chef de la diplomatie turc a rencontré son confrère iranien Hossein Amir-Abdollahian ainsi que le Président Ebrahim Raïssi.
Partageant une frontière commune de 560 kilomètres, les héritiers des anciens empires ottoman et safavide prévoient de renforcer leurs relations économiques et entendent signer prochainement une "feuille de route de coopération à long terme". Ils espèrent la finaliser "lors d’une future visite à Téhéran de M. Erdogan", a déclaré le chef de la diplomatie iranienne. En effet, Ankara et Téhéran souhaitent que les barrières commerciales existant entre les deux pays seront rapidement supprimées en développant des mécanismes conjoints.

La Turquie et l’Iran: une relation gagnant-gagnant?

Il y aurait donc une certaine complémentarité entre les deux voisins. "Les deux pays ont besoin l’un de l’autre", insiste Bayram Balci, chercheur au CNRS, enseignant à Sciences PoParis et spécialiste de l’Asie centrale. Et les raisons sont multiples:
"On a souvent perçu les relations irano-turques sous le prisme de la différence religieuse avec la Turquie laïque à majorité sunnite et l’Iran sous une théocratie chiite. Mais aujourd’hui, force est d’admettre qu’entre les deux pays, il y a une réelle convergence économique et stratégique. La Turquie est en partie dépendante de l’achat de pétrole iranien et l’Iran, par le biais de sa relation avec Ankara, peut sortir de son isolement", souligne-t-il au micro de Spuntik.
En somme, une relation gagnant-gagnant qui serait tout de même confrontée à un problème de taille. En effet, compte tenu de la pression maximale américaine sur l’économie iranienne, le commerce bilatéral a été durement impacté. Le durcissement des sanctions unilatérales de Washington en 2018 a fait baisser le volume des échanges entre la Turquie et l’Iran, passant d’environ 10,7 milliards de dollars en 2017 à seulement 5,6 milliards de dollars en 2019, une chute de 50 %. D’ailleurs, le ministre des Affaires étrangères turc a déclaré que les sanctions étaient "cruelles".
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Néanmoins, Ankara et Téhéran redoublent d’ingéniosité pour contourner les sanctions américaines qui empêchent toute transaction dollarisée avec l’Iran. De ce fait, au lieu de payer le gaz en dollars, la Turquie fournit des matières premières dans le cadre d’un accord commercial signé en 1996 pour une durée de 30 ans. Une aubaine pour le régime des mollahs. "Les relations avec la Turquie permettent à Téhéran d’éviter quelque peu l’embargo économique", estime le spécialiste de l’Asie centrale. Cette relation stratégique permet également à la Turquie de diversifier ses partenaires, "le pays importe 95% de son énergie et ne peut rester entièrement dépendant des approvisionnements russes", précise le chercheur.
De surcroît, les deux voisins entendent créer de nouvelles routes commerciales régionales. L’Iran a récemment ouvert ses frontières aux produits émiratis en direction de la Turquie. Un trajet qui fait gagner environ huit jours de transport par rapport à l’ancienne route commerciale qui passe par la mer Rouge.
"Les deux États sont condamnés à avoir de bonnes relations", observe Bayram Balci. Le commerce adoucit donc les mœurs et ouvre la porte à des discussions sur plusieurs dossiers régionaux, notamment "Ankara et Téhéran ont les mêmes craintes à l’égard de l’Afghanistan".
Le Président iranien a martelé que les problèmes régionaux devaient être réglés par les pays régionaux. Un positionnement partagé par la Turquie.
"Ankara et Téhéran s’accordent sur le fait que les ingérences occidentales n’ont créé que du chaos dans la région", indique le chercheur.
Le départ chaotique des troupes américaines d’Afghanistan a en effet aggravé la pression migratoire sur les deux pays. À ce propos, Ankara a construit en septembre dernier un mur long de 150 kilomètres pour bloquer les réfugiés afghans à la frontière iranienne.

L’Irak et le Caucase: théâtre d’une guerre d’influence irano-turque

Les deux pays souhaitent également entériner le contentieux dans le Caucase. Ebrahim Raïssi a rappelé que cette région ne devrait pas permettre à "certains mouvements étrangers" de ternir les relations entre les États limitrophes. Sans le nommer, le Président iranien fait ici référence à Israël qui entretient des liens militaires avec l’Azerbaïdjan. Téhéran s’inquiéterait que Tel-Aviv veuille instrumentaliser les volontés autonomistes de sa minorité azérie, représentant pas moins de 25% de la population. En septembre dernier, les tensions avaient même augmenté d’un cran. L’Iran avait amassé des troupes à la frontière azerbaïdjanaise, ce qui n’avait pas manqué de provoquer l’ire de la Turquie, grand allié de Bakou.
Les deux pays ont de surcroît des positions antagonistes sur le conflit dans le Haut-Karabagh.
"La Turquie soutenait Bakou tandis que l’Iran tentait de garder une neutralité, or c’est bien Téhéran qui sort perdant de cette guerre. La Turquie a désormais un canal direct avec l’Azerbaïdjan sans passer par l’Iran", résume le chercheur.
En définitive, des divergences demeurent entre les deux États. En Syrie, Téhéran et Ankara ont soutenu les camps opposés. "Mais aujourd’hui, Erdogan ne demande plus le départ d’Assad", précise l’enseignant de Science Po Paris.
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C’est surtout en Irak que les intérêts s’opposent. La Turquie dispose de plus d’une trentaine de bases militaires dans le nord du pays pour annihiler officiellement la présence des combattants kurdes du PKK. Des opérations qui ne seraient pas de l’avis de tout le monde. Achab Al-Qahf, une milice chiite affiliée à l’Iran, a exigé que "la Turquie cesse ses actes hostiles; nous nous attendions à ce que la Turquie achève son retrait du territoire irakien, pas qu’elle augmente son intrusion". L’influence turque pourrait en effet entraver le projet de corridor terrestre reliant Téhéran à la Méditerranée.
En fonction de la conjoncture et du dossier en question, l’Iran et la Turquie peuvent être à la fois partenaires et adversaires. Une situation floue qui les incite pour l’heure à la diplomatie.
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