Pénurie de papier: la communication imprimée de la présidentielle peut être "terriblement perturbée"

© REUTERS / Christian HartmannPrésidentielle en France, 2017
Présidentielle en France, 2017 - Sputnik Afrique, 1920, 12.11.2021
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La conjoncture économique et sanitaire est-elle la seule raison de la pénurie de papier? Pascal Bovéro, délégué général de l’Union nationale des industries de l’impression et de la communication, décrypte la crise pour Sputnik. Entretien.
Le déficit de papier destiné à "des usages graphiques" et la flambée de son prix inquiète. Les tarifs ont subi plusieurs augmentations depuis le début de l’année et les délais de livraison de certaines catégories s’allongent. Pascal Bovéro, délégué général de l’Union nationale des industries de l’impression et de la communication (Uniic), analyse pour Sputnik les raisons qui ont rendu ce marché fébrile.
Pascal Bovéro: "Comme toujours dans ces crises, il y a une partie purement structurelle –l’offre– et une partie conjoncturelle. Pour l’offre, au fil du temps, on a assisté à une baisse de la consommation du papier à usage graphique. Il s’agit d’un grignotage par le digital du fait de la digitalisation des contenus: cela a touché la presse, la publicité, ainsi que toutes sortes de supports qui naguère étaient essentiellement incarnés par le papier."
"Cette attaque progressive [du digital, ndlr] s’est traduite par une baisse de la consommation papetière de 5% par an en moyenne."
"Les grands groupes papetiers producteurs –finlandais, brésiliens, indonésiens– ont fortement ajusté leur production en se reconvertissant progressivement vers l’emballage papier et le carton ondulé en croissance exponentielle du fait du commerce en ligne. Rajoutez tous les papiers d’’hygiène’ qui accompagnent le vieillissement de la population. À force de voir que ces marchés étaient porteurs, les producteurs se sont désengagés progressivement pour adapter l’offre à la demande. Les groupes papetiers européens ont subi cette décroissance."
Comment la conjoncture liée à la pandémie a-t-elle joué dans la crise du papier?
Pascal Bovéro: "Les deux confinements ont accéléré le phénomène. Comme il n’y avait quasiment plus de publicité, tout ce qui concernait le papier satiné s’est écroulé. Les producteurs en ont profité pour fermer des unités de production.
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Ils ont fait une adaptation forte d’autant plus facilement qu’ils sont ‘cartellisés’, dans une forme d’oligopole. Alors que les imprimeurs en France, en Allemagne, en Russie ou en Italie sont atomisés. Ce ne sont pas des entreprises financières, mais familiales, petites, donc sans grande capacité pour négocier avec la filière papetière.
Cette espèce de ‘bulle inversée’ s’est traduite dans la raréfaction de l’offre, accélérée par le fait que les groupes papetiers se concertent sur ces sujets. C’est leur décision financière et stratégique."
"Le monde a changé, la croissance économique a redémarré dans le Sud-est asiatique de manière importante. Les flux ont été orientés vers des pays émergents qui sont repartis beaucoup plus vite que notre vieille Europe."
Vous avez cité des producteurs lointains: brésiliens, indonésiens. Il faut alors ajouter le prix du transport?
Pascal Bovéro: "Les porte-conteneurs, les conteneurs eux-mêmes, bloqués dans les ports pendant la crise, ont eu l’autorisation de repartir quand les échanges commerciaux ont redémarré. Mais ils subissent un décalage énorme. Aujourd’hui, nombre de bateaux sont encore en voie de déchargement dans les ports. Le problème de logistique est tellement redoutable qu’on a multiplié par dix le coût d’un conteneur chargé.
Automatiquement, on assiste à un étranglement qui se traduit d’une part par la loi de la rareté –une partie organisée et une partie subie– et d’autre part par une hausse folle des prix. Au 1er janvier 2021, le tarif sur toutes les sortes de papier était de 600 euros/tonne, aujourd’hui, il se monte à 900 euros."
On constate également une hausse des prix de l’énergie…
Pascal Bovéro: "Oui, il faut rajouter une taxe énergie –gaz, électricité– qu’on fait supporter aux clients. Cela perturbe de très grands marchés parce que nos amis papetiers ne peuvent plus tenir parole, même par engagement écrit. ‘Je vous livrerai en novembre’ devient une livraison en mars.
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Comme les plus gros adhérents de notre organisation sont incapables de stocker, on ne pouvait pas anticiper. On est donc dans une situation de rupture totale."
"Nous avons des échéances présidentielles et législatives et la communication imprimée – circulaires, bulletins de vote, affiches– va être terriblement perturbée par cette pénurie si on reste dans l’état actuel des choses."
"On se bat aujourd’hui pour garantir à l’État de pouvoir fournir ce qu’il faut, dans des délais très contraints, sur les grammages et les sortes de papier qui sont exigés par le code électoral."
Et pour la presse?
Pascal Bovéro: "À ce stade, on est dans une situation un peu folle dans le domaine de la presse qui est terriblement touchée. On va voir la pagination décroître si on ne trouve pas une solution intelligente pour ramener les gens à la raison. Les producteurs de papier travaillent sept jours sur sept, mais ils n’arriveront jamais à produire ce qui est nécessaire pour cette nouvelle croissance de prix."
L’une des plus grandes inquiétudes du public cette année est le danger de ne pas pouvoir offrir un livre à Noël.
Pascal Bovéro: "Le livre physique est en croissance très importante. Les gens sont très attachés à la matérialité. On avait cru que le livre pourrait être perturbé par les tablettes, c’est faux. Il y a une renaissance du livre papier extraordinaire: que ce soit du beau livre ou du livre de poche."
"Pour le livre, on a eu peur de ne pas pouvoir imprimer les prix littéraires. On peut rassurer. On y arrive parce que les grands éditeurs ont anticipé et stocké toutes sortes de papiers complexes."
"Le marché du livre est très étroit par rapport à la presse, les imprimés électoraux et le publicitaire. On est dans une situation de contrainte et de déséquilibre de la filière. Voyez: les derniers Femina, tirés à 150.000 exemplaires, sortent de presse à l’imprimerie à 36 centimes d’euros hors papier, et sont vendus 21 euros."
Le bois fournit 20% des fibres du produit final contre 80% pour le papier et le carton collectés via le recyclage. Peut-on s’appuyer sur cette source de pâte à papier?
Pascal Bovéro: "L’effort qui a été fait sur le recyclé en France est colossal. On est connu comme vertueux sur le sujet. Mais il n’y a plus d’offre de recyclé en France, il n’y a plus de production. On est obligé d’aller le chercher à l’extérieur. Nos amis Chinois ont fermé la porte des vieux papiers."
Au nom d’une démarche écologique, l’emballage des ventes en ligne migre de plus en plus du plastique vers la cellulose. Est-ce également une source de tensions?
Pascal Bovéro: "À un moment donné, il y a eu une diabolisation du papier pour des raisons environnementales. Tout le monde a compris que c’était malheureusement faux.
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L’interdiction progressive du plastique à usage unique a glissé sur le papier aujourd’hui: l’usage des sacs de supermarché, le carton ondulé explose de 20% cette année. Évidemment, les producteurs y voient un débouché incontestable. Du coup, le papier et le carton redeviennent tendance."
Voit-on le bout de cette crise?
Pascal Bovéro: "Non. Le papier a baissé pendant dix ans. Le pic cyclique est derrière nous. C’est certain et confirmé par tous les experts, notamment Philippe Chalmin. Les producteurs sont concentrés et font ce qu’ils veulent [donc la situation ne s’arrangera pas avant le printemps prochain, ndlr].
On sent qu’il y a moins de tensions sur le cours de la pâte mais pas du tout sur celui du papier transformé."
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