À la veille d’une nouvelle intervention militaire turque en Syrie?
17:04 29.10.2021 (Mis à jour: 22:23 08.04.2023)
© AFP 2024 BULENT KILIC This file photo taken around 5 kilometres west from the Turkish Syrian border city of Karkamis in the southern region of Gaziantep shows Turkish Army tanks driving to the Syrian Turkish border town of Jarabulus.
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La Turquie se prépare à la guerre. Les troupes d’Ankara se mobilisent à la frontière syrienne pour une opération contre les Kurdes. Une intervention qui risque de tendre les relations avec Washington et Paris. Et Damas pourrait se frotter les mains.
Le bruit des bottes se fait entendre à la frontière syrienne. Ankara a déployé au nord de la Syrie plus de 200 véhicules, des centaines de soldats supplémentaires ainsi que trente et une cargaisons d’armes et de munitions. Le prélude à une probable intervention militaire contre les forces kurdes présentes dans la région.
🇹🇷 🇸🇾 | Des véhicules blindés et des chars turcs continuent d'être acheminés vers le nord de la #Syrie en vue d'une probable opération militaire. pic.twitter.com/Yo5NNKxnFV
— Arab Intelligence - المخابرات العربية (@Arab_Intel) October 28, 2021
"La Turquie est actuellement confrontée à des menaces terroristes de l'autre côté de la frontière", a mugi Recep Tayyip Erdogan. "Nous continuerons notre lutte contre le terrorisme avec la même détermination chez nous et de l'autre côté de la frontière." Le Parlement turc ayant pris cette semaine le soin de prolonger de deux ans le mandat de l'armée pour lancer des opérations transfrontalières en Syrie et en Irak.
Vers une quatrième intervention turque contre les Kurdes en Syrie
Ce ton martial de la Présidence turque est à replacer dans un contexte tendu. Présente dans le nord de la Syrie, l’armée ottomane est confrontée à une recrudescence d’attaques. Entre les tirs de mortiers et de missiles, sans oublier les embuscades, Ankara peine à sanctuariser ses acquis territoriaux. Le 11 octobre, un attentat à la voiture piégée a fait quatre morts et plusieurs blessés parmi les Turcs.
"Quand Erdogan dit les choses, il les fait", constate Bassam Tahhan. Le géopolitologue franco-syrien rappelle à quel point ce dossier est crucial pour la Turquie:
"Le problème kurde est un problème de politique intérieure pour Ankara. Si les Kurdes syriens revendiquent une quelconque forme d’indépendance, automatiquement les Kurdes de Turquie voudront faire de même. Donc c’est une hantise pour Erdogan. Il cherche un prétexte pour mater cette menace."
Ainsi, une quatrième intervention turque contre le YPG (Unités de protection du peuple), branche militaire du PYD (Parti de l’union démocratique), serait plus qu’envisageable. Depuis 2016, la Turquie a en effet lancé trois opérations militaires dans le nord est-syrien. La première, Bouclier de l’Euphrate, remonte à août 2016. Elle visait à déloger les forces kurdes à la frontière. Ensuite, démarrée en janvier 2018, Rameau d’olivier a permis aux forces turques de s’implanter militairement en Syrie en prenant la zone stratégique d’Afrine en mars 2018. Enfin, Source de paix était le prolongement de la deuxième intervention.
Depuis octobre 2019, il a été convenu que les troupes turques contrôleraient un territoire de 120 kilomètres de long dans le nord de la Syrie, entre Tal Abyad et Ras al-Aïn. Mais Ankara ne compte pas s’arrêter en si bon chemin et entendrait étendre sa zone d’influence pour constituer une zone tampon à sa frontière. "La question est de savoir quel est le plan d’Erdogan… S’agit-il d’une percée de quelques kilomètres ou d’une opération plus profonde?" s’interroge le géopolitologue.
Des protégés américains seront-ils lâchés ?
Mais une chose est sûre, si la Turquie passe à l’attaque, cela mettra en porte à faux ses alliés de l’Otan. Américains et Français au premier chef. "Erdogan ne rigole pas avec le problème kurde, il mettra Washington et Paris devant le fait accompli ",pense Bassam Tahhan. Pourtant selon des responsables kurdes, le soutien de Washington n’est pas près de s’estomper. "Ils [les Américains ndlr] ont promis de faire tout ce qu’il faut pour détruire l’État islamique* et de travailler à la construction d’infrastructures dans le nord-est de la Syrie", a déclaré le 7 octobre Ilham Ahmed, président du comité exécutif du Conseil démocratique syrien.
© Sputnik . Louis Doutrebente & Thomas MartinLes Kurdes: une place cruciale entre les USA et la Turquie
Les Kurdes: une place cruciale entre les USA et la Turquie
© Sputnik . Louis Doutrebente & Thomas Martin
De surcroît, au sein de l’Administration Biden figurent des personnalités prenant fait et cause pour les Kurdes. C’est le cas notamment du coordinateur pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord au Conseil de sécurité nationale, Brett McGurk, ou de la directrice pour la Syrie et l’Irak à ce même Conseil de sécurité nationale, Zehra Bell.
Une empathie également partagée par Paris. Pour tenter de garder la main sur le dossier syrien, plusieurs délégations françaises s’étaient rendues dans la ville kurde de Qamishli.
"La Turquie ne laissera pas le choix à ses alliés. Erdogan sait pertinemment que les Américains ne défendront pas les Kurdes syriens contre les Turcs. Donc il y aura probablement des brouilles diplomatiques, des pressions, mais cela n’empêchera pas l’intervention", prédit le spécialiste du Moyen-Orient.
En d’autres termes, les 900 soldats américains et les quelques forces spéciales françaises présentes en Syrie ne bougeront pas le petit doigt pour aider les Kurdes en cas d’opération d’Ankara.
Damas tend la main aux Kurdes
Les populations kurdes n’auraient d’autres choix que de revenir dans le giron de Damas. Pour tempérer les ardeurs turques, la Syrie pourrait jouer les trouble-fête. En effet, Bachar el-Assad entend reprendre la totalité de son territoire et ainsi étouffer le projet indépendantiste kurde.
"Plusieurs fois, Damas a proposé une main tendue aux Kurdes. Mais ils ont toujours refusé, pensant que le soutien occidental serait sincère et qu’il s’inscrirait dans la durée", précise Bassam Tahhan. Lors de la précédente intervention turque en octobre 2019, le Président syrien était décidé à "soutenir toute [...] résistance à l'agression turque", un soutien qui "constitue un devoir constitutionnel et national indiscutable".
En effet, le gouvernement syrien serait prêt à accorder plus d’autonomie aux régions kurdes à condition d’un retour des institutions politiques, militaires, sécuritaires et administratives de l'État dans toutes les zones qui échappent encore à son contrôle à l’est de l'Euphrate.
"C’est bien Damas qui va profiter de la situation", estime notre intervenant.
"C’est une aubaine pour la Syrie. Les Kurdes ont le cul entre deux chaises: soit ils décident de s’opposer seuls aux Turcs, soit ils décident de s’allier avec Damas. Et une alliance avec Damas fera également le jeu de la Turquie parce que le gouvernement syrien refuse catégoriquement toute autonomie régionale", conclut Bassam Tahhan.
Aux Kurdes de faire le bon choix…