Pass sanitaire: le lien social des petites communes "est en train de se déliter"

© Photo Pixabay / fietzfotosAnnecy, la Venise des Alpes
Annecy, la Venise des Alpes - Sputnik Afrique, 1920, 21.10.2021
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Plus de 120 élus de Haute-Savoie demandent l’abandon du pass sanitaire dans une tribune parue sur le site Figaro Vox. L’une des signataires, Charlotte Boettner, maire de Villy-le-Pelloux, détaille ses arguments pour Sputnik.
"Nous, élus locaux, demandons l’abandon du pass sanitaire". Pas de place pour l’ambiguïté dans la tribune signée par plus d’une centaine d’élus savoyards. Pas question pour Loïc Hervé, Sénateur de Haute-Savoie, l’une des locomotives de cette gronde, d’abandonner en cours de route. "Le processus parlementaire n’est pas terminé!", s’exclame le sénateur au lendemain de l’adoption par l’Assemblée nationaledu projet de loi permettant de recourir au pass sanitaire jusqu’à l’été 2022.
"Le pass sanitaire met en cause la cohésion sociale et on doit continuer à se battre pour que ce pass soit arrêté", souligne le sénateur.
L’une des signataires de la tribune, Charlotte Boettner, maire de Villy-le-Pelloux, connait bien le danger que représente le pass pour un millier de personnes habitant sa commune montagnarde, proche de la frontière suisse. Le document paru sur le site Figaro Vox est le fruit d’une mûre réflexion née de conversations entre "les cinq ou six maires" qui, avec l’aide des sénateurs, sont partis à la recherche de signatures "pour trouver un moyen de sortir du système qui nous amène droit dans le mur".

Entre incohérences et autocensure

Charlotte Boettner avoue sans retenue que "toute la vie" de sa commune "devient de plus en plus difficile". Et ce n’est pas seulement parce que les évènements traditionnels sont remis en question: "Il y a des divisions dans les associations entre ceux qui ont le pass et ceux qui ne l’ont pas", déplore l’élue.
"Quelques associations sportives ont même fermé. [Il est surprenant, ndlr] de voir que les enfants peuvent faire du sport à l’école, mais pas au sein d’une association du village s’ils n’ont pas de pass sanitaire", s’insurge la maire.
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L’une des pertes les plus visibles et que tout le monde regrette: l’école associative de musique qui accueillait 400 élèves sur le territoire intercommunal, qui regroupe 16.000 habitants, a perdu cent inscriptions. "Des pertes énormes" pour l’établissement qui a déjà souffert du Covid-19.
"Là réside toute l’incohérence du pass sanitaire: les écoles ou les conservatoires municipaux ne demandent pas de pass sanitaire. À partir du moment où c’est une école associative, on le demande. Certainement, beaucoup d’enfants ne reprendront pas", suppose Mme la maire.
La situation n’est guère plus facile pour la piscine intercommunale. Dès le 21 juillet, où il a fallu appliquer le pass, les maîtres-nageurs "se sont trouvés face à la colère des gens". Même cas de figure pour la bibliothèque. Les deux employées, obligées de scanner le pass, "reçoivent beaucoup d’invectives" et "ont perdu beaucoup de lecteurs". L’incompréhension persiste: pourquoi peut-on rentrer dans une librairie, pourquoi les élèves peuvent-ils aller à la bibliothèque de leur collège, mais pas dans la bibliothèque intercommunale?
"On s’aperçoit que tout ce qui faisait le lien social des communes est en train de se déliter. Il y a beaucoup de gens qui s’autocensurent et ne participent plus à la vie du village par peur qu’on leur demande un pass qu’ils n’ont pas", constate Charlotte Boettner.
L’élue appréhende également le sort de la tradition festive villageoise des chants de Noël à l’église. Même constat, même incompréhension: "Pour les cultes, il n’y a pas de pass sanitaire, mais à partir du moment où c’est un concert, il en faut un. La chorale m’a demandé d’utiliser une salle communale pour répéter: faut-il un pass sanitaire pour répéter?"

En zone frontalière, pénurie des soignants

Et si on peut éventuellement se passer des loisirs, on ne peut pas se passer des soins médicaux. À cause de l’obligation vaccinale pour les soignants et les professionnels du soin à la personne, la commune "est confrontée à la difficulté des soignants".
"Quatre soignants dans mon village ont été obligés d’arrêter parce que pour des raisons personnelles, ils n’ont pas voulu de se faire vacciner. C’est très violent! Pour eux –une orthophoniste, un kiné–, c’était leur métier. En plus, nous sommes en pénurie de ce genre de praticiens. Ça rallonge des listes d’attente", déplore l’élue.
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La commune n’a pas beaucoup souffert de la pandémie, elle recense "quelques cas de maladie, pas mal en mars et avril dernier, mais aucun cas grave, aucune hospitalisation, aucun décès". La région n’est pas non plus une mauvaise élève en termes de vaccination. Au 15 octobre dernier, 74,6% de la population haute savoyarde avait reçu au moins une dose de vaccin. "C’est bien, mais ce n’est pas suffisant", tacle le préfet du département.
Pourtant:
"Les personnes âgées ne trouvent plus d’aides à domicile. Parce que pour ces aides, les pass sont également exigés. Déjà qu’on est en pénurie dans ces métiers à cause de la proximité de la Suisse. Les familles sont en souffrance, pour nous c’est insupportable", s’indigne la maire.
Effectivement, le voisinage de la Confédération helvétique, aux rémunérations plus attractives, dessert la commune. Pourtant, la population n’est pas âgée, ici habitent plutôt de jeunes actifs et des familles: "beaucoup d’infirmières, d’informaticiens, d’employés hôteliers".
"La plupart de soignants et d’aides-soignants partent en Suisse. On est toujours en flux tendu pour tout ce qui est l’aide à la personne. La vaccination obligatoire rend la situation d’autant plus difficile. En Haute-Savoie, certains services ont fermé", détaille Charlotte Boettner.
L’élue locale décrit "le cas qu’elle connait personnellement d’un éducateur spécialisé dans l’autisme". Cet homme a "toujours travaillé en France pour un salaire de misère parce qu’il aimait son métier", s’occupant de 18 grands autistes, "des gens un peu violents, dans un métier un peu physique". Aujourd’hui, il a dû quitter son emploi parce que refusait la vaccination obligatoire. Aussitôt, il a retrouvé un poste en Suisse, où le sérum n’est pas exigé. "Il n’a en charge que trois enfants beaucoup plus jeunes, il gagne quatre fois son salaire français". "On ne le reverra plus!", conclut la maire.
"Il était difficile de trouver du personnel pour des EHPAD. Actuellement, ça devient mission impossible. Ça devient également très compliqué pour les structures qui reçoivent des enfants handicapés. Je connais des familles à qui on rend leurs enfants faute d’éducateurs. Ils ne peuvent plus aller travailler. Certaines situations familiales sont dramatiques", conclut l’élue.
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