"Il faut d’abord chercher à avoir des employés psychologiquement satisfaits, le rendement suivra"
13:47 18.10.2021 (Mis à jour: 18:02 10.01.2022)
© Sputnik . Par Omar AktoufLe professeur Omar Aktouf
© Sputnik . Par Omar Aktouf
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Dans ce 18e cours "d’Anti-néolibéralisme", Omar Aktouf explique à Sputnik ce qui a amené à l’apparition du courant des sciences des relations humaines dans le management des entreprises au début du XXe siècle en Amérique du Nord. Il insiste sur les découvertes d’Elton Mayo à l’usine de Hawthorne de la Western Electric.
Durant les premières décennies du XXe, la gestion des entreprises modernes, nées de l’évolution de la manufacture et de la Révolution industrielle des XVIIe et XIXe siècles, a longtemps été envisagée d’un point de vue mécanique. En effet, la logique qui guidait le fonctionnement des entreprises, notamment nord-américaines, a été économique et rationnelle, loin de toute considération humaine à l’égard des ouvriers ou des employés.
En 1954, James A.C. Brown un publié un livre où il avait recueilli des témoignages sur ce qui se passait dans le monde industriel américain entre 1920 et 1940. Brown parle d’une sorte de mal-être qui se généralise dans les firmes, d’un abattement moral, d’une sorte de déprime ouvrière généralisée.
C’est à Elton Mayo (1880-1949) que revient le mérite d’avoir révélé sa dimension humaine de l’entreprise, dont les dirigeants sont obligés de tenir compte sous peine de voir la productivité de leurs ouvriers décliner rapidement et durablement. Selon lui, contrairement à l’entreprise, la logique qui guide les travailleurs relève du domaine de l’affectivité et des sentiments. Ainsi, le travail du gestionnaire se voit modifié, puisqu’il doit tenir compte d’une organisation qui possède sa dynamique propre, pouvant entraver ou faciliter la poursuite des objectifs de l’organisation formelle de l’entreprise.
Comment Elton Mayo a réussi à mettre en avant la nécessité d’une gestion humaine de l’entreprise? Quels ont été les résultats de sa façon de concevoir le management? Faut-il associer les ouvriers à la stratégie et la prise de décision au sein de l’entreprise?
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Dans ce 18e cours "d’Anti-néolibéralisme", Omar Aktouf, professeur titulaire à HEC Montréal et membre du conseil scientifique d’ATTAC Québec, explique à Sputnik que "Frederick Winslow Taylor et tous ses adeptes qui croyaient qu’en dispensant l’ouvrier de penser, laissant de côté l’usage de son cerveau au profit de ses muscles et de ses réflexes, il allait se livrer à des rêveries qu’ils supposaient d’avance bienfaisantes pour le moral, avaient entièrement tort".
"C’est l’inverse qui s’est produit"
"Contrairement à Taylor et aux tayloristes, c’est l’inverse qui s’est produit", affirme le professeur Aktouf, soulignant que "les ouvriers se livraient plutôt à des rêveries pessimistes, ce qui a conduit à des taux d’absentéisme et de rotation de plus en plus élevés, et à une productivité de plus en plus basse, malgré des conditions de travail, des salaires, des avantages sociaux en progression presque partout en Amérique du Nord".
Et d’ajouter que "c’est durant sa participation aux travaux de l’équipe de chercheurs, qui se penchait sur les problèmes de productivité de l’usine de Hawthorne de la Western Electric, qu’Elton Mayo et ses collègues ont découvert l’importance du +facteur humain+ dans le bon fonctionnement de l’entreprise".
En effet, "ces chercheurs se sont rendu compte que les éléments d’ordre affectif et émotionnel étaient aussi importants pour la productivité que les incitations matérielles", souligne-t-il, précisant que "depuis, l’être humain ne pouvait plus être traité comme une mécanique rationnelle, guidée par le seul appât du gain. En effet, l’ouvrier a besoin de se sentir engagé, sollicité, considéré et respecté dans ce qu’il fait. Ce fut ce qu’on a appelé l’+effet Hawthorne+".
"La devise taylorienne inversée"
Alors que Mayo et son équipe, composée aussi de psychiatres et d’anthropologues, essayaient d’expliquer avec preuves expérimentales "l’intérêt d’un plus grand respect et d’un plus grand souci de l’employé et de ses problèmes, les gestionnaires n’ont, quant à eux, mis en avant que des recettes et des manipulations pour faire passer plus en douceur l’organisation préétablie du travail et les côtés, devenus difficilement supportables, du management traditionnel", indique l’interlocuteur de Sputnik.
Dans ces conditions, il y a lieu de constater que "la devise taylorienne était désormais inversée: l’efficacité et les gains qu’elle entraîne ne provoquent pas, à eux seuls, la satisfaction, mais c’est la satisfaction qui devient un préalable à l’efficacité".
"Il faut d’abord chercher à avoir des employés psychologiquement satisfaits, le rendement suivra et sera alors durable, sinon il déclinera vite. C’est possible, en admettant l’existence et l’importance en milieu de travail, des sentiments, de la vie de groupe", insiste-t-il.