"Comment se faire aimer de ses subordonnés sans s’exposer à des accusations de manquements?"

© Sputnik . Par Omar AktoufLe professeur Omar Aktouf
Le professeur Omar Aktouf - Sputnik Afrique, 1920, 18.10.2021
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Dans ce 19e cours "d’Anti-néolibéralisme", Omar Aktouf explique à Sputnik le dilemme dans lequel se trouvent les dirigeants d’entreprises entre la satisfaction des patrons et le respect et l’adhésion des ouvriers. Il indique également les conditions pour rendre l’autorité acceptée naturellement par les travailleurs.
Parmi tous les penseurs du XXe siècle ayant travaillé sur l’aspect humain dans la gestion des entreprises, Elton Mayo (1880-1949) demeure la figure centrale du courant de la science des relations humaines dans le management. En effet, c’est à lui que revient le mérite d’avoir révélé la dimension humaine de l’entreprise, dont les dirigeants sont obligés de tenir compte sous peine de voir la productivité de leurs ouvriers décliner rapidement et durablement.
Depuis les années 1920, la motivation des subordonnés tout comme des dirigeants et la relation supérieurs-subordonnés font l’objet de beaucoup d’écrits qui démontrent, ne serait-ce qu’indirectement, l’existence d’un fossé important entre les organisations et leurs membres. Il s’agit principalement de contradiction fondamentale entre, d’un côté, les intérêts et objectifs de l’entreprise et, de l’autre, les intérêts et objectifs des individus, dont surtout des ouvriers et des employés.
Comment analyser les causes de ce fossé qui demeure à nos jours dans les entreprises? Comment résoudre cette antinomie entre les différents intérêts et faire fonctionner les entreprises dans un esprit d’harmonie? Quel est le rôle joué par le patronat et quelles sont ses conséquences?
Dans ce 19e cours d’"Anti-néolibéralisme", Omar Aktouf, professeur titulaire à HEC Montréal et membre du conseil scientifique d’ATTAC Québec, explique à Sputnik que "dans ce contexte fondamentalement marqué par l’appât du gain maximum et les intérêts égoïstes, les dirigeants des entreprises étaient pris dans un dilemme: comment se faire aimer à la fois des ouvriers et des patrons, sans léser ni les uns ni les autres?

L’expérience de Taylor à la Midvale

"Une illustration éloquente de ce classique dilemme du dirigeant nous est fournie par Taylor qui décrit ses anciens camarades mécaniciens comme des ennemis, aussitôt qu’il est devenu contremaître aux ateliers de la Midvale, aussitôt qu’il est passé de l’autre côté de la barrière et que ses anciens camarades lui demandent si, lui aussi, sera un de ces +salauds+ de la direction?", explique le professeur Aktouf.
Et de souligner que Frederick Winslow Taylor se demandait: "Comment se faire aimer de ses subordonnés sans s’exposer à des accusations de manquements envers la direction?". Dans ce sens, Omar Aktouf indique que ce qui posait problème c’est le fait de considérer "comme si par nature, rendre les employés heureux équivaudrait à priver les propriétaires, dirigeants, actionnaires… de gains supplémentaires".
C’est dans cet état d’esprit, soutient-il, que "les dirigeants des entreprises nord-américaines considéraient les syndicats comme des ennemis dont il faut absolument empêcher l’apparition au sein de l’organisation". Ainsi, selon lui, "l’important débat sur l’autorité imposée et l’autorité reconnue-conférée est presque systématiquement évité dans la majorité des écrits et des cours de management traitant de ce sujet".

Comment faire accepter une autorité?

Pour qu’une autorité puisse être acceptée et reconnue par les travailleurs, "il faudrait qu’il y ait des conditions de transparence et d’équité ainsi que des rapports de travail égalitaires", estime Omar Aktouf.
Or, "au lieu de poser la problématique des circonstances qui peuvent rendre une telle adhésion possible, les auteurs s’attachent traditionnellement à discuter des nuances entre le fait d’être un leader ou un gestionnaire, centré sur l’individu ou sur la tâche, etc", déplore-t-il, affirmant que l’adhésion est impossible sans partage et sans une certaine tolérance, une certaine déviance, souvent confondue avec l’indiscipline".
En réalité, les dirigeants adeptes de cette vision de l’entreprise "ne sauraient trop tolérer que des choses se fassent hors de leur contrôle, et encore moins partager ce qu’ils considèrent comme leurs privilèges et leurs droits exclusifs comme l’information, la gestion, la conception, le pouvoir, la décision ou l’utilisation discrétionnaire des profits", détaille-t-il.
Et de lancer que "des dirigeants capables d’avoir l’humilité de s’effacer derrière les employés, joignables à tous moments, susceptibles de se laisser remettre en question, proches de leurs employés et mêlés à eux, aussi soucieux d’eux et de la compagnie que de leur propre intérêt ou de celui des actionnaires, sont les mieux préparés à réussir leur tâche managériale".
"S’il y a une conclusion à tirer de tout cela, c’est que le gestionnaire, dirigeant d’aujourd’hui et de demain, a beaucoup plus à gagner du côté des théories prônant la culture de collaboration par la mise en place de conditions d’adhésion et d’appropriation et à travers l’ouverture, la disponibilité, la concertation, le partage et la générosité", conclut-il.
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