Le Premier ministre libanais à Paris: avec Beyrouth, fini l’amour vache?
18:26 24.09.2021 (Mis à jour: 17:59 10.01.2022)
© AFP 2024 THOMAS COEXNajib Mikati reçu à l'Elysée par Emmanuel Macron
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Najib Mikati a rencontré Emmanuel Macron à Paris. Plutôt bien vu à l’Élysée, le nouveau Premier ministre libanais aura néanmoins la tâche ardue de s’assurer du soutien de la France. Un soutien toujours conditionné par la mise en place de réformes.
Le Liban espère toujours quelque chose de la France. Quatre jours après avoir reçu la confiance du Parlement, pour son premier déplacement à l’étranger, le Premier ministre Najib Mikati s’est rendu à Paris les 23 et 24 septembre. Au cours de son voyage, il a été reçu à l’Élysée pour un "déjeuner de travail" avec Emmanuel Macron. Durant leur conciliabule, les deux hommes ont passé en revue les nombreux défis du nouveau gouvernement libanais. Pour sa part, le milliardaire de 65 ans voulait s’assurer de la confiance et du soutien français pour sortir enfin le pays de la crise.
Un milliardaire apprécié par la France
Ce voyage en France serait "un signe de bonne foi", estime Alex Issa, docteur associé au Centre de recherches internationales (CERI) de Sciences Po
"Il a réussi à former un gouvernement et il estime que cette visite lui permettrait de rentrer au Liban avec une victoire, celle de l’affirmation par la France d’une aide internationale visant à aider le pays. Compte tenu de la pression qu’a exercée la France pour qu’un gouvernement soit formé, Mikati trouve que c’est naturel qu’il rende visite au Président français", explique-t-il au micro de Sputnik.
Le nouvel homme fort du Liban serait donc apprécié à Paris. Le magnat des réseaux télécoms s’est en effet constitué un important réseau politique et financier en France. Il peut d’ailleurs compter sur ses contacts noués à Fontainebleau, plus exactement à l’Insead, l’Institut européen d’administration des affaires. Le businessman, dont la fortune est estimée à plus de 2,7 milliards de dollars, dispose d’un important carnet d’adresses, qui gravite dans l’entourage diplomatique d’Emmanuel Macron. Lors de leur entrevue, le Président de la République a réitéré son soutien en déclarant que "nous ferons tout pour vous aider à réussir".
"Mikati est un homme d’affaires, il sait très bien négocier et reste la solution la moins polémique. C’est dans cette perspective qu’il serait compatible avec les exigences françaises et européennes", résume le spécialiste du Liban.
Et cela semble chose faite. "L’Union européenne se félicite de la confirmation par le Parlement libanais du nouveau gouvernement dirigé par le Premier ministre Najib Mikati par un vote de confiance à une large majorité", a déclaré Josep Borrell, le chef de la diplomatie européenne. Approuvé par les puissances occidentales, le Premier ministre libanais serait-il en mesure de ramener la France au chevet des élites libanaises?
L’option des sanctions est toujours d’actualité
Agacée par l’immobilisme des dirigeants libanais, la France a plusieurs fois changé son fusil d’épaule. Dès le lendemain de l’explosion du port du Beyrouth le 4 août dernier, les autorités françaises avaient répondu à l’appel. Avec deux déplacements en moins d’un mois, Emmanuel Macron avait pris le dossier libanais très à cœur. Après la bienveillance initiale, il avait tenté d’imposer une initiative française, une sorte de feuille de route politique pour résoudre la crise libanaise. Mais rien n’y a fait: l’inertie de la classe politique locale et les blocages ministériels réguliers ont rapidement entravé la proposition de l’Élysée.
E. Macron a eu un "echange franc" en recevant N. Mikati, le PM libanais. Il appelle à "l'urgence" des réformes. "Vs vs êtes engagé", a dit Macron. Mikati affirme qu il va agir ds "les plus brefs délais". A voir. "Je ne vous lâcherai pas", répète E. Macron. pic.twitter.com/ivhfN9UVJo
— Georges Malbrunot (@Malbrunot) September 24, 2021
Paris a donc changé de ton, faisant ainsi planer la possibilité de sanctionner les dirigeants libanais. Le 29 mars, Jean Yves Le Drian, ministre des Affaires étrangères, avait évoqué l’idée de "renforcer les pressions" sur les élites libanaises. Peu de temps après, le 29 avril, la France a mis ses menaces à exécution, sanctionnant plusieurs dirigeants libanais, leur interdisant l’entrée sur le territoire et en gelant leurs avoirs à l’étranger.
Indépendamment de la formation du gouvernement libanais, cette politique française pour le moins coercitive pourrait continuer.
"Mikati tout seul ne peut pas changer la situation. Son arrivée doit impérativement être accompagnée d’une volonté politique de la part de la classe politique libanaise pour améliorer la situation. Si la France ne voit aucun changement, cela impliquerait la reprise des menaces des sanctions", relève Alex Issa.
Le gouvernement libanais sait donc ce qu’il lui reste à faire: des réformes pour éviter de nouvelles sanctions. Mais le temps presse! Outre la crise de confiance aiguë entre le peuple et les élites, les pénuries s’accumulent, plus de 80% des Libanais vivent sous le seuil de pauvreté, l’inflation galopante a fait exploser la misère et le salaire minimum a perdu 90% de sa valeur initiale. Conséquence de l’effondrement économique du pays, de nombreux libanais, pour la plupart qualifiés, quittent le pays.
Paris et Beyrouth en état de "dépendance mutuelle"
Le déblocage des aides internationales est plus que jamais un impératif pour le Liban. Depuis mai 2020 et l’abandon du plan Lazard qui visait à accompagner le Liban dans la mise en place d’un programme économique, le soutien financier à l’État libanais est gelé.
Même si l’exécutif libanais semble déterminé à renouer le dialogue avec le Fonds monétaire international (FMI), le pays reste englué dans des divisions internes qui empêcheraient à terme la restructuration de la Banque centrale du Liban et du sectaire bancaire en général, condition sine qua non à l’obtention d’une aide.
Reste que Beyrouth et Paris sont liés par une "dépendance mutuelle". Du côté français, le petit Liban serait plus que jamais un atout à préserver. "Il reste la clé d’entrée de la France au Moyen-Orient, cette dernière vise donc à maintenir sa présence et son influence dans le dossier libanais", souligne Alex Issa.
Et à cela s’ajouterait une réalité plus immédiate:
"Il ne faut pas oublier le contexte en France avec les élections présidentielles qui approchent. Emmanuel Macron déploierait donc plus d’efforts pour se rapprocher des potentiels électeurs français au Liban et des franco-libanais d’une manière plus large", subodore Alex Issa.
S’il continuait à se montrer intransigeant avec le pays du Cèdre, Emmanuel Macron pourrait en effet se mettre à dos une partie des 200.000 libanais résidant en France et des 6.000 expatriés au Liban.