Près de 5.000 livres, dont Astérix et Tintin, brûlés au Canada pour «racisme» et «discrimination»

CC BY 2.0 / Robbie Shade / Un incendie (image d'illustration)
Un incendie (image d'illustration) - Sputnik Afrique, 1920, 08.09.2021
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Dans un souci de réconciliation avec les «Premières Nations», une trentaine d’écoles francophones de l’Ontario, au Canada, ont banni et brûlé près de 5.000 livres évoquant ces peuples, d’Astérix à Tintin en passant par Lucky Luke. Une mesure dénoncée par plusieurs responsables politiques.
Dans la province canadienne de l’Ontario, le Conseil scolaire catholique Providence, qui regroupe 30 établissements scolaires francophones, a émis un document justifiant le bannissement de dizaines d’œuvres littéraires relatives aux peuples autochtones du pays. En conséquence, quelque 4.700 livres ont été retirés des bibliothèques, certains ont été brûlés.
Cette cérémonie de «purification par la flamme» s’est déroulée en 2019, rapporte ce mardi Radio-Canada. Le projet consistait, à titre de symbole, à se servir des cendres des ouvrages détruits comme engrais pour planter des arbres, «un geste de réconciliation avec les Premières Nations», explique la porte-parole du Conseil scolaire auprès du média.
«Nous enterrons les cendres de racisme, de discrimination et de stéréotypes dans l’espoir que nous grandirons dans un pays inclusif où tous pourront vivre en prospérité et en sécurité», indiquait une vidéo accompagnant la démarche.
Au total 155 œuvres ont été retirées, parmi lesquelles des bandes dessinées (deux albums de Tintin, Astérix et les Indiens, trois albums de Lucky Luke), des ouvrages encyclopédiques et des romans, même ceux basés sur des recherches historiques. Le ministère de l’Éducation de l’Ontario, qui réfute sa participation à ce projet, rappelle que chaque conseil scolaire a la liberté de choisir les livres mis à disposition dans ses bibliothèques.

«Représentation fautive»

Certains auteurs concernés, contactés par la radio, n’ont appris que récemment l’interdiction de leur œuvre. Marcel Levasseur, créateur de la BD humoristique «Laflèche», a fait part de sa «tristesse» et de son «incompréhension». Le Conseil lui a reproché sa «représentation fautive des Autochtones dans les dessins» et son «langage non acceptable».
«Le but de notre BD, c’est de divertir avant tout, ce n’est pas de faire un cours théorique», se défend-il.
Jean-Claude Larocque, l’auteur du «Fils des Hurons», biographie documentée de l’explorateur Étienne Brûlé, a été banni pour des informations «désuètes et fausses». Son travail avait pourtant reçu plusieurs récompenses depuis sa parution dans les années 1980. «C’est une pure censure! Sans nous consulter, sans amorcer une discussion», s’indigne-t-il.
«Ce sont des histoires écrites par les Européens, d’une perspective euro-centriste et non par des autochtones», justifie sur Radio-Canada Suzy Kies, coprésidente de la Commission des peuples autochtones du Parti libéral canadien, celui du Premier ministre Justin Trudeau. «Dans un monde idéal, on pourrait prendre le temps d’expliquer la situation à chaque enfant, avec chaque livre, mais on ne vit pas dans ce monde-là», estime celle qui a été consultée par le conseil scolaire pour ce projet.

Monde politique

Bien que datant d’il y a deux ans, cette décision locale fait désormais débat dans la sphère politique nationale.
«Au niveau personnel, je ne suis jamais d’accord à ce qu’on brûle les livres, mais il faut aussi se souvenir que ce n’est pas à moi, ce n’est pas aux non-autochtones de dire aux autochtones comment ils devraient se sentir ou comment ils devraient agir pour avancer la réconciliation», a réagi Justin Trudeau, cité par le Journal de Montréal.
Constat similaire pour le leader du parti conservateur Erin O’Toole, qui rappelle l’importance de la réconciliation mais «condamne fermement le brûlage des livres». Celui du Nouveau Parti démocratique (NPD) Jagmeet Singh se montre plus vague sur la question: «J’ai vu des images négatives, des caricatures, une représentation qui ne respectait pas la dignité des communautés autochtones. Je pense qu’on doit changer notre approche dans l’enseignement de nos enfants».
Également interrogé sur le sujet, le Premier ministre québécois François Legault juge la décision «inacceptable». «Pour moi, brûler des livres, c’est un acte atroce», commente-t-il dans le Journal de Montréal. Dans l’opposition, le chef du Bloc québécois Yves-François Blanchet estime quant à lui qu’«on ne fait pas disparaître les erreurs de jugement du passé en les niant. On ne prévient pas le mal passé dans le futur en effaçant l’Histoire. On s’expose à l’Histoire, on l’explique, on démontre comment la société a évolué ou doit évoluer».

Regrets

Le Conseil scolaire catholique Providence lui-même semble pris de remords depuis. «Nous regrettons de ne pas être intervenus pour assurer un programme plus approprié pour la cérémonie commémorative et que celle-ci ait été offensante pour certains membres de la communauté. Nous regrettons sincèrement l’impact négatif de cette initiative qui se voulait un geste de réconciliation», déclare sa porte-parole Lyne Cossette auprès du National Post.
D’après Radio-Canada, d’autres conseils scolaires pourraient néanmoins prendre le pas. Le phénomène s’étend également aux maisons d’édition, certaines ayant déjà débuté une «révision culturelle» de leurs ouvrages sur les autochtones, cette fois par des membres du peuple concerné.
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