«Conférence inversée» de Schiappa sur les violences conjugales: «C’est normal que les policiers écoutent»

© AP Photo / Stephane de SakutinMarlène Schiappa
Marlène Schiappa - Sputnik Afrique, 1920, 07.09.2021
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Comment mettre fin au fléau des violences intrafamiliales? À cette question, Marlène Schiappa veut apporter un début de réponse: la «conférence inversée». Sous ce nom biscornu se cache un échange entre des victimes, qui ont pu témoigner, et des membres des forces de l’ordre, venus les écouter. Suffisant pour faire évoluer la situation?
«J’ai été bouleversé par ces témoignages, il y a du chemin à faire. […] J’ai beaucoup appris.» Le général Christian Rodriguez, directeur général de la Gendarmerie nationale, n’a pu cacher son émotion face aux victimes de violences conjugales. Le haut gradé a fini par faire amende honorable devant les difficultés que certaines victimes ont éprouvées lors de leur prise en charge.
C’est l’un des nombreux échanges qui se sont déroulés lors de la «conférence inversée» qui se tenait le 6 septembre au ministère de l’Intérieur. Lors de cet événement organisé à l’initiative de Marlène Schiappa, des policiers et des gendarmes étaient venus écouter des victimes de violences conjugales et leurs proches.
​Au nombre de ces témoins figurait notamment Valérie Bacot, une femme ayant assassiné son mari après avoir subi des années de violence. Les parents d’Alexia Daval, tuée par son mari, étaient là. De même que Tatiana Laurens Delarue, ancienne candidate de téléréalité et présidente de Rose-Jaune, une association engagée contre les violences conjugales.

Des forces de l’ordre pas assez bien formées?

Selon la ministre déléguée à la Citoyenneté, la rencontre permettrait de «poursuivre la formation des policiers et des gendarmes» à la gestion de ces affaires: du dépôt de plainte au suivi. Un objectif qu’elle a exposé dans l’émission «Le Grand Rendez-Vous», d’Europe 1-CNews. Il faut dire qu’une tragédie comme celle de mai dernier à Mérignac, où une jeune mère de famille a été tuée par balle puis immolée par son mari, avait mis en exergue de nombreux dysfonctionnements. Et pour cause, l’auteur du crime était bien connu des services de police et avait fait de la prison pour… des violences conjugales. Avant le drame, une main courante et une plainte avaient même été déposées par la future victime.
​Alors cette conférence inversée pourrait-elle changer la donne? «C’est partiellement une bonne chose», estime Fatima Benomar, cofondatrice de l’association Les Effrontées. Elle souligne que la démarche doit s’inscrire dans «tout un processus de formation des forces de l’ordre». La militante féministe ironise néanmoins sur l’appellation:
«C’est en fait une conférence à l’endroit, tout simplement. Je ne vois pas pourquoi les policiers seraient en mesure, ou en position, de présenter leur expertise sur le point de l’accueil, alors que tout le monde s’accorde pour dénoncer une défaillance.»
Secrétaire général du syndicat La Police en avant! Axel Ronde, souligne que «c’est toujours bien d’entendre le point de vue des victimes». Cela permet «de corriger les problèmes qui pourraient exister». D’autant plus que, selon lui, les témoignages des victimes ont «toujours plus de poids, comparés à des associations qui peuvent être politisées».
«On a affaire à des gens “lambda” qui ont vécu quelque chose d’horrible et qui pourront dire: voilà le positif et le négatif, car on a toujours la volonté d’améliorer la qualité de l’accueil et de bien mener les enquêtes afin d’interpeller les auteurs de violences.»
Or la situation est préoccupante. Lundi 6 septembre à Montélimar (Drôme), c’est une mère de quatre enfants, âgée de 38 ans, qui a succombé à plusieurs coups de couteaux. Le meurtrier présumé serait son ex-conjoint. Un acte loin d’être isolé. Selon le bilan 2020 des «morts violentes au sein du couple», ce sont 102 femmes et 23 hommes qui ont été tués par leurs partenaires. En 2019, 146 femmes avaient péri sous les coups de leur compagnon ou ex-conjoint.

Le fléau des violences conjugales

Pourtant, la nécessité d’un tel événement n’est-elle pas un constat d’échec de la lutte contre les violences conjugales? «Celui-ci a déjà été fait», rétorque Fatima Benomar. Ainsi la militante féministe rappelle que Nicole Belloubet, ancien garde des Sceaux, confessait dans une interview au JDD: «La chaîne pénale contre les violences conjugales n'est pas satisfaisante
«On savait déjà très bien que les informations ne circulaient pas, que les délais d’enquête étaient très longs. L’irréparable a même été commis parfois. Marlène Schiappa reste donc sur ce constat qui fait dorénavant consensus dans la société: il y a un déficit dans la formation des forces de l’ordre», affirme Fatima Benomar.
En outre, Axel Ronde rappelle qu’il y a surtout un «manque d’effectifs en matière d’officiers de police judiciaire».

Des difficultés de recrutement

Concernant les policiers de terrain, le ministère de l’Intérieur «essaie de combler les effectifs pour les interventions de police secours, mais cela prend du temps». Mais, en matière d’accueil du public, de prise de plainte et des enquêtes qui «concernent la police judiciaire et les unités judiciaire des commissariats, c’est de plus en plus compliqué» pour créer des vocations, note Axel Ronde.
«Il faut des techniciens de la police judiciaire. Les jeunes collègues n’ont pas forcément envie d’embrasser cette spécialité dans la Police nationale, car c’est beaucoup de contraintes, de difficultés. Et puis il y a une très grosse responsabilité», explique-t-il.
Sur le point des effectifs, Marlène Schiappa a d’ailleurs annoncé le recrutement immédiat de référents violences intrafamiliales qui œuvreront auprès des directeurs de la police, de la gendarmerie et du préfet de police. La ministre a également promis de créer un fichier «des auteurs de violences conjugales, pour recenser toutes les informations utiles à la détection de signaux».
​Des propositions que salue Fatima Benomar: «C’est très bien. Cela fait partie, entre autres, des demandes que nous faisons depuis de longues années.»
«Ce qui est dommage, c’est de mettre cela en place à la fin du quinquennat, qui était pourtant celui de l’égalité femmes-hommes», conclut-elle.
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