Le passé russe de la Côte d'Azur est-il sans avenir? - reportage

© Sputnik . Tatiana BaryshevaCimetière Caucade
Cimetière Caucade  - Sputnik Afrique, 1920, 02.09.2021
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Le patrimoine russe présent sur la côte d’Azur continue à s’effondrer. Les différents litiges juridiques entre la Russie et plusieurs associations locales a pour conséquence un abandon des sites censés être gérés. Sputnik fait un retour sur les principales victimes de cette situation.
La Côte d'Azur est le lieu le plus russe en dehors de la Russie. Les Russes y sont apparus dans la seconde moitié du XVIIIe siècle afin de placer des navires de guerre dans la mer Méditerranée. Ainsi, en 1770, une escadre commandée par les frères Alexeï et Fiodor Orlov et par l'amiral Fiodor Ouchakov jette l'ancre dans la rade de Villefranche.
En 1770, les navires russes partent de là pour la célèbre bataille de Tchesmé, où ils remportent la victoire sur la flotte turque.
Dans le même temps, la rade reçoit le nom de «Baie des Orloff» et cela est encore rappelé par une plaque commémorative sur les murs de la forteresse.
La deuxième date importante dans l'histoire «russe» de la Côte d'Azur est le 26 octobre 1856. C'est le jour de l'arrivée dans la rade de Villefranche d’une frégate à bord de laquelle se trouve la veuve de l'empereur Nicolas Ier, l'impératrice Alexandra Fiodorovna. Elle passe d'abord l'hiver à Nice, puis, avec sa suite, s'installe à Villefranche, où elle passera encore six mois.
La noblesse a également suivi l'impératrice et ses proches: à partir de ce moment, l'aristocratie russe a commencé à s'installer à Nice, devenue élégante station balnéaire d'hiver.
Les représentants de la culture sont aussi tombés amoureux de la Côte d’Azur: de nombreux poètes, écrivains et peintres ont longtemps vécu sur les rives de la Méditerranée.
Nicolas Gogol a écrit ici plusieurs chapitres de son œuvre immortelle «Les Âmes mortes», Anton Tchekhov y a terminé sa pièce «Les trois sœurs». Les peintres M. Bashkirtseff, I. Aivazovsky, A. Bogolioubov et bien d'autres y ont souvent séjourné et peint. Bien sûr, impossible de ne pas mentionner ceux qui se sont installés ici après les événements tragiques de 1917: les écrivains I. Bounine, G. Kouznetsova, M. Aldanov, G. Adamovitch et les peintres Ph. Maliavine, G. Loukomsky, B. Grigoriev, P. Mansouroff, G. Annenkov, K. Terechkovitch, sans compter de nombreux autres représentants de l'élite intellectuelle de l'ancienne Russie.
Nous ne citerons qu'un exemple de leur contribution au développement de ce merveilleux coin de France. À l'époque où la veuve de l'empereur Nicolas Ier s'y installa, il n'y avait qu'une petite route de campagne entre Nice et Villefranche. Alexandra Fiodorovna a payé de ses fonds personnels la construction d'une nouvelle route, qui est aujourd'hui l’une des plus belles de la Côte d'Azur. Le «patrimoine russe» orne Nice avec les villas et les palais construits par les Russes: le Château de Valrose du baron Paul von Derwies, le palais de Marbre du baron Falz-Fein, où se trouvent aujourd'hui les archives de la ville, le palais de la princesse E. Kotchoubeï, qui abrite maintenant le musée des Beaux-Arts Jules Chéret et bien d'autres.
Naturellement, une si importante concentration de Russes avait besoin d'une église. Par conséquent, en 1859, à Nice, l'église orthodoxe de Saint-Nicolas-et-Sainte-Alexandra a été construite rue Longchamp. Elle est devenue la plus ancienne d'Europe occidentale.
Puis, à Cannes, sur le Boulevard Alexandre III, l’église Saint-Michel-Archange (1894-1896, projet de l'architecte français Louis Nouveau) a été érigée et, en 1912, la cathédrale Saint-Nicolas (la plus grande église orthodoxe d'Europe occidentale) a été inaugurée à Nice.
La nouvelle contribution de la famille impériale au développement de la «côte russe» a été l’acquisition de terres et la création d’un cimetière russe à Caucade, le seule et unique en France (sur l’ordre suprême de l'Empereur Alexandre II en 1867, nommé Nikolaevskoe, en mémoire de son défunt fils).
La haute aristocratie russe est non seulement enterrée ici, mais aussi beaucoup de ceux qui ont marqué l'Histoire de leur pays. Pour ne citer que quelques noms (car au cimetière il y a plus de 3.000 sépultures): la princesse E. Iourievskaïa (Dolgoroukaya - épouse morganatique de l'empereur Alexandre II), le général N. Youdenitch, les princes Volkonski, le général D. Cherbatchev, l'artiste Ph. Maliavine, P. Demidov, directeur général de l'Ermitage impérial, le comte D. Tolstoï, le peintre français Joseph Fricero (1807-1870), le mari de la fille extra-conjugale de l'empereur Nicolas Ier Joséphine Kobervein (aussi enterrée ici).
Mais une partie de ce beau passé est aujourd'hui en train de disparaître sous nos yeux suite à un long litige. L'église de Saint-Michel-Archange (à Cannes) et le cimetière russe de Caucade sont tombés sous le coup de d’une procédure judiciaire.
© Sputnik . Tatiana BaryshevaCimetière Caucade
Cimetière Caucade - Sputnik Afrique, 1920, 21.09.2021
Cimetière Caucade
Malgré le passage de la cathédrale de Saint-Nicolas à Nice à la juridiction du Patriarcat de Moscou, l'Association ACOR (Association culturelle orthodoxe russe) se considère toujours comme propriétaire, en désaccord avec la décision du Tribunal et en ne transmettant pas tous les documents aux représentants de la Fédération de Russie.
Surtout, derrière toutes ces querelles se cache une tragédie: l'église Saint-Michel-Archange s'effondre, le dôme est tombé il y a six ans et se trouve toujours au sol. À l'intérieur, de la peinture écaillée s’effrite des murs et du plafond, les icônes anciennes sont moisies et des archives historiques rares sont mouillées. De nombreux objets ont disparu ou ont également moisi et continuent de pourrir. Pendant la période des pluies, la crypte est inondée, ce qui contribue à une rapide destruction.
Depuis des années l’Association n'investit pas un sou dans la restauration.
Voici ce que nous a raconté l'un des paroissiens russes, qui depuis de nombreuses années tente de sauver ce patrimoine avec d'autres personnes qui ne sont pas indifférentes:
«Il est bon que la Fédération de Russie ait reconnu ces lieux dans le cadre du patrimoine historique, culturel et religieux. Mais il faut du temps, infiniment précieux pour pouvoir restaurer et sauver cet héritage. Malheureusement, par une décision de justice en février 2021, qui ne conteste pas les droits de la Russie, mais ne lui a pas transféré le droit de «primauté», le cimetière de Caucade a été laissé à l'Association «ACOR», pour une raison assez simple - la propriété de plusieurs années [l'Association a été créée en 1923].
Mais, et c'est une grosse omission de la part des gardiens de la loi, ils n'ont pas tenu compte des deux points suivants:
Tout d'abord, l'Association a eu plusieurs fois des changements juridiques. Il est donc faux de parler ici de «propriété à long terme» car aujourd'hui, juridiquement, ce n'est plus le même ACOR qu'en 1923. Deuxièmement, et c'est peut-être le plus important: le cimetière de Caucade était à l'origine public et non privé, comme l'ACOR tente de l'imaginer. Preuve en est la décision de la préfecture des Alpes-Maritimes de créer, à la demande du Consulat de Russie datée du 31.08.1866, un cimetière russe.
© Sputnik . Tatiana BaryshevaCimetière Caucade: l'état des enterrements
Cimetière Caucade: l'état des enterrements  - Sputnik Afrique, 1920, 21.09.2021
Cimetière Caucade: l'état des enterrements
Suivant le document confirmant le droit de la part de la Russie - acte de vente du 05.01.1867 par lequel la représentation russe a racheté des terres pour la création du cimetière orthodoxe. L'acheteur est une «église gréco-russe à Nice« qui obéissait au Synode russe.
Mais, malheureusement pour tous ceux que n’indiffère pas le sort de ce lieu historique, pour une raison incompréhensible, la cour n'a pas pris en compte ces moments très importants dans l'histoire de la propriété.
En conséquence, le tribunal a rendu une décision assez étrange, fractionnant un tout: les parcelles devant la cathédrale de Nice sont données à la Russie alors que l'église Saint-Nicolas-et-Sainte-Alexandra (rue Longchamp) et le cimetière russe à l'Association ACOR, qui est essentiellement une association privée.
Le sort de l'église à Cannes est plus tragique et, tant que les tribunaux n'auront pas pris de décisions, la Fédération de Russie ne pourra pas la restaurer. Certes, et c'est rassurant, la Mairie de Cannes est favorable à ce que la Fédération de Russie soit entièrement propriétaire: au début de cet été, la Mairie a accueilli des restaurateurs de Russie afin qu'ils puissent voir et évaluer l'étendue des futurs travaux. Seulement tout dépend des procédures judiciaires: si elles durent encore quelques années, il n'y aura plus rien à restaurer. Il y a un risque d'effondrement de la voûte principale, le dôme, tombé il y a quelques années, est toujours par terre devant l'église. Les murs tombent sous nos yeux. Et combien d’objets de valeur ont disparu de l'église: objets anciens, livres, icônes. Des documents uniques sont couverts de moisissures terribles, destructrices pour le papier.
Nous, comme tous ceux qui sont témoins de la destruction de ce patrimoine historique et culturel unique, ne pouvons que crier «SOS! Sauvez, ne laissez pas disparaître pour toujours ces lieux les plus russes de la Côte d'Azur et de l'Europe!».
Nous attendons beaucoup de la prochaine réunion de la Cour de justice et nous espérons qu'elle remettra tout à sa place et que nous n'aurons pas à déplorer la disparition de la mémoire historique de la Russie.
À propos de la situation du cimetière de Caucade, nous avons pu parler à un natif de Nice, professeur de littérature russe, spécialiste mondialement connu de l'Histoire et de la culture de la Russie, Monsieur René Guerra:
«La situation du cimetière est tout simplement un sacrilège! L'Association le considère comme sa propriété, même si ce n'est absolument pas le cas. Sans demander aux parents, les «propriétaires» actuels effacent les inscriptions des plaques.
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À titre d'exemple, la sépulture de la famille de l'artiste J. Fricero: des inscriptions sur des pierres tombales sont effacées et, par conséquent, les noms et les dates sont à peine visibles. Est presque complètement détruite la crypte historique de la famille Kolokoltsev, les propriétaires de manufactures de tissus, les fournisseurs de la cour impériale.
En contournant la loi, les tombes sont vendues et des enterrements sont effectués (par exemple, dans la tombe d'un descendant du célèbre géographe, voyageur et homme d'état russe P. Semionov-Tian-Chanski, ce qui a été une mauvaise surprise pour les membres de sa famille).
© Sputnik . Tatiana BaryshevaTombeau de la famille de peintre J.Frisero et sa femme
Tombeau de la famille de peintre J.Frisero et sa femme - Sputnik Afrique, 1920, 21.09.2021
Tombeau de la famille de peintre J.Frisero et sa femme
On voit dans ce cimetière le processus odieux de destruction et de profanation en marche!
Sauver ce cimetière tout comme l'église russe est une question d'honneur pour la Fédération de Russie et pour tous ceux qui ne sont pas indifférents à cette tragédie».
La prochaine réunion du tribunal aura lieu en novembre de cette année dans la ville de Grasse.
Il ne reste plus qu’à espérer que les juges français pourront comprendre non seulement les aspects juridiques de cette affaire, mais aussi culturels et historiques. Le temps qui passe est désastreux pour l'église et le cimetière.
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