Crise migratoire en Europe: un «instrument de chantage extraordinaire» selon Gilbert Collard
© AP Photo / Michel EulerGilbert Collard
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Payer les pays voisins de l’Afghanistan afin qu’ils accueillent les réfugiés sur leur sol, au lieu de les laisser venir en Europe. Tel est le pari de l’Union européenne qui réunit ce 31 août les ministres de l’Intérieur des 27. Une stratégie qui s’avérera inefficace selon l’eurodéputé Gilbert Collard. La pression migratoire serait trop forte.
«Il faut être aveugle pour ne pas voir que la migration est devenue une monnaie d’échange financière et politique, un instrument de pression financier. Il n’y a plus rien d’humanitaire là-dedans. La migration se monnaye. Des pays font du fric avec ça. Il y a donc des pays qui ont intérêt à produire du migrant pour produire de l’argent», accuse l’eurodéputé Gilbert Collard.
Fustigeant l’Union européenne, l’élu du Rassemblement national est remonté comme une pendule. La stratégie de Bruxelles? Payer les pays limitrophes de l’Afghanistan afin que ceux-ci gardent ces réfugiés sur leur sol. Car l’ONU en attend 500.000 supplémentaires en 2021. C’est le sens du projet de déclaration divulgué par l’AFP et qui devrait être confirmé ce 31 août, à l’occasion de la réunion des ministres de l’Intérieur de l’UE.
Un peu dans la continuité de l’accord passé naguère avec la Turquie, Bruxelles paierait donc pour éviter le scénario catastrophe de la crise migratoire de 2015. Et ce alors qu’Ankara pratiquerait du «chantage» aux migrants selon Jean-Yves Le Drian!
«Ils prendront le blé et laisseront filer les migrants»
«Nous protéger contre des flux migratoires irréguliers importants», a promis Emmanuel Macron dans son allocution du 16 août au lendemain de la prise de Kaboul par les talibans*. Quinze jours après, le chef de l’État semble avoir été entendu à Bruxelles. Sans préciser des engagements chiffrés, Josep Borrell, le chef de la diplomatie européenne a jugé dans le Corriere della Sera que «la capacité de l'Europe d'accueillir a des limites». Mais l’humanitaire Françis Vallat, ex-président de SOS Méditerranée, dénonçait au micro de Sputnik l’absence de stratégie migratoire à Bruxelles: «On reste dans le coup par coup, dans le chacun pour soi, et ça ne fait pas une stratégie.» L’élu du RN va beaucoup plus loin. Il ne croit pas à l’efficacité de cette aide européenne accordée aux pays voisins de l’Afghanistan et exprime crûment ses doutes: «Ils prendront le blé et laisseront filer les migrants.» Tranchant dans le vif, l’eurodéputé y voit une forme d’hypocrisie. Il propose une troisième solution:
«On peut faire une conférence de cinq heures sur la question. Mais, à partir du moment où on paie des États pour qu’ils gardent chez eux des migrants, c’est qu’on ne veut pas des migrants. On va habiller cela de toutes les manières possibles pour être dans l’harmonie humanitaire, mais on n’en veut pas. Alors, au lieu de fermer les frontières, on paie. Mais il serait plus économique de fermer les frontières.»
Ce serait oublier la complexité juridique d’une fermeture réelle des frontières européennes. En outre, la France aurait du mal à fermer ses portes aux Afghans, pays dans lequel elle a mené de nombreuses opérations militaires, au long de onze années de présence sur ce théâtre.
Un accueil des migrants sous conditions?
Gilbert Collard se dit favorable à l’accueil dans «des conditions décentes» des Afghans qui «nous ont aidés en priorité». Un rapport parlementaire d’avril 2021 rédigé par le député LFI Alexis Corbière a dénombré 1.067 personnels civils afghans recrutés sur place, dont 538 interprètes, ayant travaillé pour la France depuis vingt ans. Mais un sondage Harris Interactive du 27 août pour LCI montre des Français divisés sur l’accueil des Afghans fuyant les talibans*. Alors que 20% des sondés seraient favorables à l’idée d’accueillir tous les Afghans, 52% souhaitent limiter cette prise en charge à ceux qui ont travaillé pour la France ou pour des entreprises françaises.
La position des États membres de l’UE vise ainsi à empêcher le «retour de mouvements migratoires illégaux et incontrôlés à grand échelle». Par la même occasion, elle doit servir à se prémunir contre la menace terroriste. Cinq Afghans ont été placés le 22 août sous surveillance accrue dès leur arrivée en France, a révélé Valeurs actuelles. Macabre anniversaire, il y a deux ans jour pour jour, le 31 août 2019 à Villeurbanne, un demandeur d’asile afghan tuait un jeune homme à coups de couteau et blessait huit autres personnes. La piste terroriste n’avait pas été retenue par les enquêteurs…
Heureusement que les statistiques de @Qofficiel s’arrêtent à 2016, sinon il aurait fallu préciser que le terroriste qui a tué 1 personne et blessé 8 autres à Villeurbanne en 2019 était un Afghan arrivé en France en tant que « mineur isolé ». https://t.co/buXM4CmMSJ
— Paul Sugy (@PaulSugy) August 31, 2021
Commandée par le ministère de la Famille, une étude allemande de 2018 révélait une nette corrélation entre l’augmentation de la criminalité et l’afflux de réfugiés. En 2015, la criminalité avait bondi de 10,4%. Le surcroît de crimes et délits était imputé pour 92,1% à des réfugiés ayant fui les zones de guerre du Moyen-Orient! Toutefois, à en croire Gérard Vespierre, directeur de recherche à la Fondation d’études pour le Moyen-Orient (FEMO), les Afghans qui s’exilent, «ce sont ceux des centres-villes». Ces derniers «réfutent le modèle de société conservateur offert par les talibans* et ils sont plutôt attachés à un mode de vie occidental».
Début août, avant la prise de Kaboul par les talibans*, l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) des Nations unies comptait ainsi 30.000 Afghans quittant chaque semaine leur pays vers l’Iran, puis la Turquie pour rejoindre l’Europe. Plus gros contingent en France de demandeurs d’asile, 5.381 migrants afghans sur plus de 8.000 auraient vu en 2020 leur dossier approuvé par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) selon les informations du Parisien. Précédemment, au micro de Sputnik, Jean-Paul Gourévitch, essayiste spécialiste des migrations, estimait que «l’Europe se prépare à une crise migratoire dont elle ne veut pas, et dont elle sait qu’elle ne pourra pas l’empêcher».
L’exemple turc, un modèle?
Ainsi du côté du RN, on juge que la France et les Européens n’ont pas vocation à accueillir «tout l’Afghanistan». D’autant plus «qu’il y a d’autres pays, il y a l’Arabie saoudite, le Qatar. Pourquoi nous?» s’interroge l’avocat.
Le chef de la diplomatie européenne a lui-même confessé: «Cela veut dire également offrir à ces pays un soutien financier comme nous l'avons fait avec la Turquie.» Rappelons que l’aide accordée par l’Union européenne à Ankara s’élève à six milliards d’euros dans un pays qui accueille quatre millions de réfugiés. Signé en 2016, le texte prévoit le renvoi des îles grecques vers la Turquie des migrants en situation irrégulière et une aide financière pour l'accueil des réfugiés. Fulminant contre la «doxa idéologique immigrationniste», l’eurodéputé évoque le mur de 40 km à la frontière gréco-turque.
«Rappelez-vous les échauffourées qui ont eu lieu à la frontière, les tensions colossales, le chantage d’Erdogan, qui a menacé d’ouvrir les frontières si on ne lui donnait pas plus d’argent. C’est un instrument de chantage extraordinaire. Il y a une économie du migrant, c’est horrible. On crée du migrant pour faire pression sur les puissances européennes.»
La faute à la faiblesse et aux divisions politiques des Européens? «C’est pire que ça», conclut-il, l’Union européenne est «une machine à acheter les emmerdements».
* Organisation terroriste interdite en Russie.