Les talibans promettent d’éradiquer le pavot: les cartels mexicains prendront-ils le relais?

© AFP 2024 Javed Tanveer Des agriculteurs afghans dans un champ de pavot de la province de Kandahar (archive photo)
Des agriculteurs afghans dans un champ de pavot de la province de Kandahar (archive photo) - Sputnik Afrique, 1920, 24.08.2021
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Les talibans* ont promis d’interdire la production de pavot. S’ils devaient tenir parole, la culture de l’opium pourrait s’intensifier ailleurs, au Mexique notamment, et ainsi transformer le marché de la drogue. Mais selon Raúl Benítez Manaut, expert du narcotrafic, les cartels mexicains se concentrent encore sur le territoire nord-américain.
La reprise de Kaboul par les talibans* pourrait avoir des répercussions jusqu’en Amérique du Nord et en Amérique centrale, où des cartels mexicains se partagent l’essentiel du commerce et des routes de la drogue.
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Héroïne: les cartels mexicains augmenteront-ils leur part de marché?

Dans un article du 18 août dernier, le journaliste Alejandro Hope écrivait dans le journal mexicain El Universal qu’il était possible que les talibans essaient de «supprimer ou au moins de contenir» la culture de pavot pour des raisons d’image. Une éventualité qui, selon lui, pourrait déstabiliser le marché international de l’héroïne et accélérer le transfert de la production au Mexique.
«Il y a un problème d’image: la tolérance ouverte envers l’opium ne cadre pas très bien avec l’imposition de la loi islamique», souligne ce journaliste spécialisé dans les questions de sécurité.
En tout cas, cette possibilité pourrait sans doute augmenter les quantités d’héroïne exportées aux États-Unis via le Mexique, dans un contexte où l’Amérique du Nord fait déjà face à une grave crise des opioïdes. Plus de 90 % de cette drogue consommée aux États-Unis provient du pays de Benito Juárez et de Frida Kahlo.

Des agriculteurs utilisés comme sociétés écrans?

Raúl Benítez Manaut estime que pour ces mêmes raisons d’image, il est à prévoir que les talibans confient à des agriculteurs le soin de produire le pavot en les utilisant en quelque sorte comme des sociétés écrans. Cette tactique leur permettrait de rester cohérents avec leur idéologie islamiste et djihadiste, tout en récoltant les fruits de ce commerce très lucratif:
«Plusieurs zones rurales de l’Afghanistan ont toujours été sous le radar des autorités, durant l’occupation américaine aussi. Les marchés sont restés ouverts. […] Pour le moment, la reprise de Kaboul n’a pas de conséquence directe sur le trafic de drogue dans les Amériques. Le marché nord-américain de l’héroïne a toujours évolué de manière indépendante, sans lien avec celui d’Europe et d’Asie. Les territoires se font concurrence sans s’entrechoquer», précise l’universitaire.
En 2000-2001, les talibans avaient réussi à bannir la culture du pavot avant que l’Afghanistan ne redevienne le principal producteur mondial d’héroïne sous l’occupation américaine. Quelques mois avant la reprise de Kaboul, on estimait que 20 à 30% du PNB de l’Afghanistan était lié au trafic d’opium. Ce commerce représenterait 10% du PIB de ce pays d’Asie centrale, pour un chiffre d’affaires de 2 milliards de dollars.

Les cartels mexicains mêlés aux terroristes islamistes?

Dans la foulée du retour des talibans, Mexico a annoncé qu’il recevrait un certain nombre de réfugiés afghans et qu’il accorderait la priorité aux femmes et aux fillettes. Depuis, des observateurs mexicains disent aussi craindre de voir des politiques et chroniqueurs américains refaire un rapport douteux entre le crime organisé et la venue de terroristes islamistes. Le blockbuster Sicario 2: La guerre des cartels sorti en 2018, présente d’ailleurs des groupes criminels liés à des cellules islamistes, preuve que ce lien est bien présent dans l’imaginaire américain:
«La possibilité d’un lien entre les terroristes islamistes et les gangs de trafiquants de drogue au Mexique est un scénario qui a été discuté dans les agences de renseignement américaines et qui a parfois surgi dans les conversations avec leurs homologues mexicaines», écrit Alejandro Hope dans El Universal, le 20 août.
Dans un récent article intitulé «Combien de terroristes vont entrer aux États-Unis depuis le Mexique?», Jenny Beth Martin, éditorialiste et cofondatrice de l’organisation Tea Party Patriots, met en garde contre le passage de terroristes à la frontière. 
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«Nos agents frontaliers ont été débordés pendant des mois avant d’avoir à s’inquiéter d’un nouvel afflux de terroristes potentiels en provenance d’Afghanistan. Maintenant que le contrôle des talibans sur l’Afghanistan doit être pris en compte dans l’équation, la menace sécuritaire posée par notre incapacité à contrôler notre frontière sud sera multipliée de façon exponentielle», avertit-elle dans les pages du Washington Times.
Selon Raúl Benítez Manaut, ce lien entre crime organisé, immigration clandestine et terrorisme, souvent établi par des représentants de la droite américaine, est farfelu:
«Les cartels mexicains et les groupes terroristes comme Al-Qaïda* n’ont aucun lien connu et ne sont pas non plus en guerre, malgré qu’ils puissent faire le commerce de la drogue. […] Contrairement au Canada, il n’y a pas de grandes communautés musulmanes au Mexique. Il est bien plus facile pour un terrorisme islamiste de passer par le Canada pour entrer aux États-Unis», conclut le professeur.
*Organisation terroriste interdite en Russie.
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