Crise libanaise: en important du pétrole iranien, le Hezbollah veut dynamiter la pression occidentale

© AP Photo / Hussein MallaHassan Nasrallah
Hassan Nasrallah - Sputnik Afrique, 1920, 19.08.2021
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Alors que le Liban souffre, entre autres, d’une pénurie de carburant, le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a annoncé l’arrivée prochaine d’un pétrolier iranien. Une affaire qui pourrait sauver les Libanais, restaurer la légitimité du Hezbollah et briser la pression occidentale.
Hassan Nasrallah sera-t-il le sauveur du Liban? Le secrétaire général du Hezbollah a donné une allocution le 19 août, retransmise en direct à l’occasion de la fête religieuse chiite de l’Achoura. Il a affirmé qu'un navire transportant des «tonnes» de mazout iranien prendra le large «d’ici à quelques heures» en direction des côtes libanaises. Il a par ailleurs mis en garde les Américains et les Israéliens contre toute velléité d’attaque sur ce pétrolier, arguant qu’il sera considéré comme «un territoire libanais» dès qu’il sera en mer.
Le 25 mai dernier, Hassan Nasrallah avait évoqué la possibilité de se rendre en Iran afin de «négocier» l’importation à Beyrouth de mazout et d’essence «si l’État libanais n’a pas le courage de le faire lui-même» pour résoudre les pénuries. «D’autres navires suivront», a promis le chef du parti pro-iranien.
En pleine disette d’essence et de mazout, cette arrivée d’un tanker iranien sera une aide quasi miraculeuse pour le peuple du pays du Cèdre. «C’est une opération louable», estime Paul Khalifeh, rédacteur en chef au Mensuel, correspondant au Liban et en Syrie pour RFI et professeur à l’université Saint Joseph de Beyrouth. 
«Aujourd’hui, la pénurie est sévère, elle est dure. Principalement celle du mazout qui paralyse tous les secteurs de l’économie. Le bidon de 20 litres, qui est normalement à 60.000 livres libanaises, est actuellement à 300.000 livres sur le marché noir», affirme-t-il au micro de Sputnik.
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La crise du carburant touche toutes les régions du territoire. Faire son plein d’essence est devenu un calvaire. Devant les stations-service, les files d’attente s’étirent sur plusieurs kilomètres. Sous un soleil de plomb, les automobilistes patientent des heures pour n’obtenir finalement que vingt litres, rationnement oblige. Le pays tourne ainsi au ralenti. Les habitants peinent à se rendre sur leur lieu de travail. Des magasins doivent mettre la clé sous la porte par manque d’électricité. La nourriture des restaurants est avariée à cause des défaillances des réfrigérateurs. Les bars ferment à 17 heures, ne pouvant compter que sur la lumière du jour. Le peu d’essence encore présent dans les stations serait vendu en contrebande sur le marché noir ou en direction de la Syrie.
Adoptant un ton ferme, Hassan Nasrallah a affirmé que les pénuries «étaient provoquées» et que les revendeurs devaient être «jetés en prison». Les détracteurs du mouvement chiite l’accusent quant à eux d’être responsable de ce réseau de contrebande avec son allié syrien Bachar el-Assad.

Le Hezbollah seul contre tous

Un ton qui révèle aussi la volonté du Hezbollah de rassurer sur le plan interne et de mettre fin aux critiques. Car récemment, plusieurs événements ont renforcé la marginalisation du parti chiite face aux autres communautés. Un accrochage a eu lieu à Khaldé le 1er août au sud de Beyrouth entre des tribus arabes sunnites et des membres du Hezbollah. Pour éviter une escalade guerrière, le parti chiite a appelé l’armée à rétablir l’ordre. Le 4 août, lors de la commémoration de l’explosion du port de Beyrouth, «plusieurs partis chrétiens n’hésitaient pas à pointer du doigt la responsabilité du Hezbollah dans ce drame», rapporte Paul Khalifeh.
Encore quelques jours plus tard, un nouvel incident provoquait des tensions dans l’ensemble des régions mixtes chiites-druzes. Alors que le mouvement pro-iranien ripostait face à des bombardements israéliens au sud du Liban par des tirs de roquettes sur les positions de Tsahal, l’un de ses véhicules chargés de munitions était arrêté par les villageois druzes de Shouwayya. Les partisans du Hezbollah ont été malmenés par les habitants qui leur ont confisqué leur matériel.
Et enfin, le 8 août, l’influent patriarche maronite Bechara al-Raï, dans son sermon hebdomadaire, a rappelé que le Liban devait être neutre et que seul l’État libanais, et non le parti chiite, pouvait décider oui ou non d’entrer en guerre. Bref, tout laissait croire que le Hezbollah était sur la sellette.
«Aujourd’hui, si la démarche du Hezbollah à travers le tanker iranien réussit, cela va redorer son blason dans le pays. Mais ses ennemis internes vont tout faire pour que ça ne soit pas le cas. Dans certaines régions, ils bloqueront les convois des citernes. Pour éviter une victoire du Hezbollah, les partis adverses seraient prêts à affamer le peuple plutôt que de reconnaître que le Hezbollah a trouvé une solution là où ils ont tous échoué», estime le journaliste.
Les réactions ne se sont pas fait attendre du côté de l’opposition. L’ancien Premier ministre libanais Saad Hariri a réagi à l’arrivée prochaine du chargement iranien. Pour le chef du Courant du futur, une telle cargaison pourrait s’avérer dangereuse et accroître les tensions intérieures et extérieures, craignant même que ce genre de transaction n’entraîne «des sanctions supplémentaires».
Pour notre interlocuteur, avec ce tanker, le Hezbollah «veut faire échec à ce qu’il considère comme étant un plan orchestré par les États-Unis et ses alliés, visant à étouffer le parti et à lui faire assumer aux yeux du peuple libanais la responsabilité de tous les maux du pays».

Les États-Unis empêchent les liens économiques entre le Hezbollah et la Syrie

Hassan Nasrallah lui-même évoque une «guerre économique» contre le Liban. Après avoir classé le mouvement parmi les organisations terroristes en 1995, Washington a pris les premières sanctions contre le parti chiite dès 1996. La loi d’Amato-Kennedy sanctionnait la Syrie et l’Iran pour le soutien apporté au mouvement libanais. Or, depuis, les décisions de Washington sont de plus en plus ciblées.
«La guerre directe a échoué, les pressions politiques ont échoué, maintenant c’est au tour des ingérences économiques», estime notre interlocuteur.
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Cherchant coûte que coûte à couper les vivres du Hezbollah, le gouvernement américain a visé plusieurs personnalités proches du parti de Dieu. En 2015, le Président Obama promulguait le «Hezbollah International Financing Prevention Act». Ce décret permettait de geler les avoirs aux États-Unis de tout individu ou entité soupçonné de financer le Hezbollah ou d’avoir un quelconque lien avec le mouvement.
Mais c’est bel et bien sous l’Administration Trump qu’un coup fatal a été porté au parti chiite avec la promulgation de la loi César en juin 2020. Par cette mesure coercitive, toutes les sociétés étrangères ne peuvent plus commercer avec le voisin syrien. De nombreuses entreprises libanaises affiliées au Hezbollah sont depuis impactées. De facto, en ciblant le mouvement pro-iranien, Washington a contribué décisivement à plonger le Liban dans la crise.
Et les alliés de Washington lui ont emboîté le pas, notamment Riyad. En plus d’avoir drastiquement réduit ses investissements au Liban, la monarchie saoudienne a interdit en avril dernier l’importation de produits agricoles libanais. 
«Dans les prochains jours, on va voir l’épilogue. L’affaire du pétrolier iranien peut foutre le bordel au Liban. Ses détracteurs et ses ennemis de l’intérieur comme de l’extérieur ne vont pas lui laisser cueillir les fruits de cette démarche facilement, sinon Hassan Nasrallah sera un héros national», conclut-il.
N’est pas maître du Liban qui veut..
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