L’Algérie choisit l’hydravion russe BE-200 comme pièce maitresse de son dispositif anti-incendie

© Sputnik . Maksim Blinov / Accéder à la base multimédiaAvion amphibie russe Be-200
Avion amphibie russe Be-200 - Sputnik Afrique, 1920, 18.08.2021
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Dans un entretien à Sputnik, Akram Kharief, expert en défense, explique l’utilité de l’achat par l’Algérie d’avions anti-incendie russes BE-200. Selon lui, d’autres moyens aériens pourraient être ajoutés en équipant les avions-cargo et les hélicoptères de l’armée. Une bulle dédiée à cet effet et partagée avec les pays voisins est nécessaire.
Depuis au moins trois décennies, l’Algérie, à l’instar de tous les pays du bassin méditerranéen, est en proie chaque année à des incendies de forêt. Entre le 9 et le 17 août, pas moins de 26 wilayas (régions) ont été touchées, causant la destruction de dizaines de milliers d’hectares de couverture végétale et le décès de 90 personnes, dont 33 militaires, selon un bilan officiel. La wilaya de Tizi Ouzou, en Kabylie, a été la plus ravagée.
Dotée de moyens insuffisants face à ces incendies d’une violence inégalée, la Protection civile algérienne n’a pas pu maîtriser ceux qui se propageaient à une vitesse vertigineuse à travers tout le littoral algérien, malgré l’engagement de ses six hélicoptères bombardiers d’eau. C’est dans ce contexte que la France et l’Espagne ont dépêché quatre Canadairs et un avion de commandement via l’Union européenne à la demande des autorités algériennes. L’arrivée de ces avions bombardiers d’eau a été déterminante dans les opérations de circonscription des incendies.
Ainsi, mardi 17 août, le ministère algérien de la Défense nationale a annoncé avoir commandé «quatre avions amphibies bombardiers d’eau multi-mission neufs, de fabrication russe type BERIEV-200 (BE-200), bimoteur, ayant une capacité de 13.000 litres et pouvant intervenir contre les incendies de forêt dans des conditions météorologiques extrêmes et complexes».
Quelles sont les raisons ayant présidé au choix fait par l’armée algérienne? Quel apport peuvent fournir ces appareils dans la lutte anti-incendies dans le pays? Leurs caractéristiques sont-elles adaptées aux besoins et à la géographie du territoire? Par ailleurs, l’armée algérienne peut-elle exploiter, à l’image de ses hélicoptères, d’autres engins de militaires de fabrication russe dans la lutte? Quelle est la meilleure stratégie pour la mise en place d’une bulle de lutte anti-incendie, intégrant plusieurs moyens matériels, technologiques et humains à différents niveaux d’évaluation de risque, d’anticipation, de surveillance, de prospection et d’action?
Pour répondre à ces questions, Sputnik a sollicité Akram Kharief, expert en défense et éditeur du site d’information militaire algérien Menadefense. Pour lui, «au vu de l’ampleur de la catastrophe enregistrée cette année en Algérie, mais également dans plusieurs pays du bassin méditerranéen, il y a lieu d’élaborer des stratégies nationales intégrant d’autres régionales, maghrébine et méditerranéenne, où notamment les moyens aériens devraient être mutualisés».

Le BE-200, un avion multi-missions

«Le Be-200 est un hydravion hybride qui peut évoluer depuis une base terrestre ou depuis un plan d'eau», explique M.Kharief, soulignant que «l’appareil est également adapté aux missions de surveillance des zones maritimes, de protection de l'environnement, de recherche et de sauvetage, et de transport de passagers (64 personnes) ou de fret (huit tonnes). L’aéronef peut larguer 13.000 litres d’eau ou 1.400 litres de produit retardant qu’il peut mélanger si besoin au moment du largage».
Et d’ajouter que cet avion anti-incendie «peut parcourir 1.700 kilomètres à charge maximale, ce qui met l’ensemble des zones boisées du nord de l’Algérie à sa portée directe. Il écope en mer ou sur les surfaces d’eau douce et peut aussi être rempli au sol». Dans le même sens, il indique que l’appareil est «équipé de huit réservoirs d’eau, quatre écopes rétractables, pouvant ainsi vider 13 tonnes d’eau en près de 20 secondes et délivrer un largage en huit séquences. Son système d’écopage, de stockage et de largage résiste à l’eau salée. Même si l’utilisation d’eau de mer a pour effet d’augmenter les coûts de maintenance et a un impact sur l’heure de vol».
«Le BE-200, qui bénéficie d’une avionique tout écran, concentre le meilleur de la technologie et du savoir-faire russe, notamment en matière d’hydrodynamique et d’aérodynamique, ce qui fait de lui un moyen particulièrement polyvalent ayant participé, durant l’été 2010, à la lutte contre les gigantesques incendies de forêt en Russie, mais aussi en Grèce, en Israël et au Portugal, et récemment en Turquie», expose-t-il, précisant que l’avion «a reçu la certification européenne en 2010, avec l’aide d’Airbus».

Quid des autres moyens dont dispose l’armée?

Outre l’acquisition de ces quatre BE-200, l’armée algérienne dispose d’autres moyens qu’elle pourrait optimiser et mutualiser en cas de besoins immédiats en comptant sur ses propres compétences humaines, affirme l’expert, rappelant que «l’Algérie dispose de 13 avions de type C-130H, dont 12 au sein de son armée de l’air et un chez Air Algérie».
À titre d’exemple, «les Américains utilisent des kits qui transforment l’Hercule en un Canadair, dont les soutes se remplissent d’eau ou de liquide retardant en 12 minutes. Il s’agit de Modular Airborne Fire Fighting System (MAFFS). Ce kit coûte deux millions de dollars à l’achat, ce qui veut dire que pour le prix d’un Canadair à 26 millions de dollars, il y a moyen de transformer l’ensemble de la flotte algérienne de C-130H en bombardiers d’eau, avec une capacité de largage de 11.000 litres», poursuit Akram Kharief.
Le spécialiste souligne que l’Algérie dispose aussi de 15 gros porteurs stratégiques russes de type Ilyushin (Il-76MD et Il-76TD) qui peuvent également être transformés en bombardiers d’eau. «L’alternative russe au MAFFS s’appelle WPA-2 et transforme les Il-76 en un bombardier d’eau avec une capacité de largage de 40.000 litres. Bien qu’inconnu, le prix de ce kit ne dépasserait pas le million de dollars», soutient-il.

Renforcer la flotte des hélicoptères?

Outre les avions, l’armée de l’air algérienne dispose aussi d’une centaine d’hélicoptères moyens Mi (8,17,171,17Sh) et de 14 super-hélicoptères Mi-26.
«Cette flotte équipée de réservoirs largueurs d’eau (Bambi Buckets, Fol Da Tanks, Fire-Flex ou autres) peut, virtuellement, larguer des centaines de milliers de litres à très peu de frais. Le dispositif de largage de 4.500 litres du Mi-17 coûterait 1.200 dollars, celui de 20.000 litres du Mi-26, 3.360 dollars. Si l’on décide donc d’en équiper la moitié de cette flotte, cela représenterait moins de 100.000 dollars d’investissement pour une capacité de largage de 360.000 litres, soit l’équivalent de 60 Canadairs», explique M.Kharief.

La nécessité d’une bulle de lutte anti-incendie?

Afin de remédier aux difficultés d’organisation, de prospection, de prévention et d’action contre les incendies constatées ces derniers jours, notamment en Kabylie et dans l’est de l’Algérie, «il y a lieu de renforcer et de sophistiquer les stratégies établies chaque année par la Protection civile», estime l’interlocuteur de Sputnik.
En effet, «il est nécessaire que des sapeurs-pompiers, des gardes forestiers et des brigades de l’armée s’entraînent ensemble en simulant périodiquement des exercices de grande envergure proches de la réalité, en y engageant tous les équipements (véhicules anti-incendie, Canadairs, BE-200, C-130H, Il-76 et les hélicoptères tous types). Le drame de la perte de 33 militaires dans la lutte contre les incendies, parce que non préparés à ce genre d’opérations, ne devrait et ne doit plus jamais se répéter».
Enfin, Akram Kharief plaide pour «le renforcement du rôle de l’agence spatiale algérienne (ASAL) et la mise en place de capacités technologiques en météorologie dédiées à l’évaluation permanente du risque de feux de forêt et qui doivent fournir des données et des cartographies précises sur les endroits exposés à des départs de feu pour les forestiers, les gendarmes et les pompiers. Ceci devrait permettre à ces derniers de mener un travail préventif dans les zones à haut risque».
«L’armée algérienne pourrait également adapter ses drones de fabrication locale El Djazaïer 54 à la lutte anti-incendie en les équipant de caméras thermiques et de bombes armées de produit retardant à même de sillonner les régions à haut et d’intervenir rapidement en cas de départ de feu», conclut-il, suggérant le «partage de cette vision dans le cadre d’une stratégie maghrébine et méditerranéenne».
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