En Tunisie, l’Algérie craint «une nouvelle guerre par procuration» à sa porte

© AFP 2024 SLIM ABID / TUNISIAN PRESIDENCY / AFPUne photo distribuée par le service de presse de la présidence tunisienne montre le président algérien Abdelmadjid Tebboune (R) recevant son homologue tunisien Kais Saied dans la capitale Alger, le 2 février 2020
Une photo distribuée par le service de presse de la présidence tunisienne montre le président algérien Abdelmadjid Tebboune (R) recevant son homologue tunisien Kais Saied dans la capitale Alger, le 2 février 2020 - Sputnik Afrique, 1920, 09.08.2021
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Les autorités algériennes épient d’un œil inquiet le développement de la crise politique en Tunisie. Aux yeux d’Alger, son voisin devient un nouveau terrain d’affrontement pour les puissances régionales qui sévissent déjà en Libye. Un scénario du pire pour l’Algérie qui entend peser de tout son poids pour empêcher une «libysation» de la Tunisie.
Alger s’inquiète sans cesse davantage de la situation en Tunisie. Depuis les événements du 26 juillet, qui ont vu le Président tunisien, Kaïs Saïed, annoncer le gel des travaux du Parlement pour une durée d’un mois, la levée de l’immunité des députés et le limogeage du chef du gouvernement, la crise politique s’accentue à Tunis. Le cours normal des institutions étant suspendu, le Président gouverne seul un pays qui s’enfonce tous les jours un peu plus dans une grave crise économique. Une situation qui exaspère la population et fait craindre une radicalisation politique, notamment des partis d’opposition.
Cette semaine, deux appels entre les Présidents algériens et tunisiens, ainsi que deux visites du ministre des Affaires étrangères algérien, Ramtane Lamamra, en Tunisie, n’ont pas suffi à calmer les angoisses algériennes.
«L’Algérie a peur d’une implication importante des puissances étrangères dans la crise tunisienne», résume Yahia Zoubir, professeur en relations internationales et spécialiste de la géopolitique du Maghreb, au micro de Sputnik.  
Après la Libye, Alger craint donc qu’une nouvelle «guerre par procuration» éclate à sa porte. Une inquiétude partagée par l’ancien Président tunisien Moncef Marzouki. Selon lui, les influences régionales qui s’opposent en Tunisie sont les mêmes que celles qui sévissent en Libye.

Inclure les islamistes

«Il y a une opposition entre les Émirats et leurs alliés régionaux, à savoir l’Égypte et l’Arabie saoudite, face au Qatar, voire la Turquie, soutien des Frères musulmans*», affirme celui qui a été le chef de l’État de 2011 à 2014, dans une interview au Point publiée le 6 août. Sur le théâtre tunisien, les premiers soutiennent le Président Kaïs Saïed, tandis que les seconds soutiennent les islamistes, proches des Frères musulmans*, d’Ennahdha qui ont été mis au ban du pouvoir. Ces derniers ont qualifié les manœuvres politiques de Saïed de «coup d’État constitutionnel».  
Or «l’Algérie ne pense pas que les islamistes proches des Frères musulmans* doivent être exclus», précise notre interlocuteur.  
Exclure les Frères musulmans* et leurs soutiens ferait courir le risque de les voir se radicaliser. Et donc que le mouvement troque le bulletin de vote contre le glaive, en somme. Un processus de radicalisation qui s’était déjà manifesté en 2013 au lendemain du printemps arabe, rappelle Yahia Zoubir. Les néo-djihadistes tunisiens de l’époque étaient partis se battre en Libye et Syrie. 

Multiplication de djihadistes en perspective?

Le Président tunisien Kais Saied donne une conférence sur le droit constitutionnel lors d'une visite d'État au Qatar, lors d'un événement organisé par l'université de Lusail, le 16 novembre 2020. - Sputnik Afrique, 1920, 28.07.2021
«Ce n’est pas un coup d’État qui s’est produit en Tunisie, en tout cas pour l’instant»

Ce risque pris en compte, une source algérienne haut placée, citée par le Middle East Eye, affirme qu’Alger s’alarme de la démarche de Kaïs Saïed, craignant qu’un nouveau dirigeant autoritaire n’incite par ricochet au renforcement des mouvances djihadistes. «Ce coup d’État n’a aucune chance de réussir. Nous avons demandé que Kaïs Saïed négocie avec [Rached] Ghannouchi et nous savons exactement comment les Égyptiens et les Émiratis ont influencé ce coup d’État. Nous ne voulons pas d’un autre Haftar à Tunis. Nous ne voulons pas d’un gouvernement à Tunis asservi à ces forces», a déclaré le dignitaire algérien.

Au contraire, Alger pousse pour une réconciliation de toutes les composantes politiques du pays, hormis celles dont la violence est avérée. Notamment les cellules clandestines résiduelles d'Al-Qaïda* et de Daech* présentes sur le territoire tunisien L’Algérie affirme, à en croire Yahia Zoubir, exporter son modèle de réconciliation hérité de son conflit civil et basé sur la non-ingérence.  
«L’Algérie croit dur comme fer à une réconciliation comme cela s’est fait en Algérie après la guerre civile des années 1990. À savoir, réconcilier tous les acteurs, sauf les terroristes, sans être favorable à un camp plutôt qu’à un autre», clarifie le chercheur.   
Officiellement, cette crise n’a rien à voir avec des considérations géopolitiques. Celle-ci découle de l’instabilité chronique générée par le mode de gouvernance parlementaire mixte choisi au lendemain de la révolution de Jasmin [de 2010-2011, ndlr]. Celui-ci serait à l’origine des autres problèmes dont le pays souffre actuellement.

Une économie en ruine  

À savoir, une situation économique terrible, marquée par un PIB en recul de 8.8% l’an dernier, une dette publique qui avoisine les 100% du PIB et un taux de chômage des jeunes entre 35 et 40%. Son système de santé s’effondre également depuis l’été 2021, sous la pression du Covid-19 et de ses variants. «La situation est dramatique. Dans certaines villes, on a des taux de contamination qui n’ont jamais été atteints en Europe et qui sont, en plus, probablement faussés parce que trop peu de gens sont testés», explique à 20 Minutes le docteur Alexandre Mbazaa.    
Le Président Kaïs Saïed a toutefois tenté de rassurer son homologue algérien la semaine passée, assurant: «La Tunisie est sur la bonne voie pour consolider la démocratie et le pluralisme.» Pas de quoi dissiper les craintes algériennes. Le pays, entouré par le frère ennemi marocain à l’ouest, la guerre sahélienne au sud et le conflit libyen à l’est ne tolérera pas une Libye 2.0 à sa porte, prévient Yahia Zoubir.   
*Organisation terroriste interdite en Russie.
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