Pass sanitaire: «On n’avait pas connu une telle brutalisation du corps social depuis l’occupation allemande»

© AFP 2024 JOEL SAGETUn homme marche dans la rue pendant le second confinement en France, décembre 2020
Un homme marche dans la rue pendant le second confinement en France, décembre 2020 - Sputnik Afrique, 1920, 04.08.2021
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Alors qu’une nouvelle journée de mobilisation anti-pass sanitaire est prévue le 7 août prochain dans tout le pays, le sociologue Frederick Lemarchand se penche sur le message politique, anti-élites et «antilibéral» porté, selon lui, par les manifestants.
«Tous les États aujourd’hui, dans leur composante la plus dure, ont cette tendance très forte qui vise à vouloir contrôler le corps social. Nous avons de toute évidence franchi un pas historique», lance Frederick Lemarchand devant les caméras de Sputnik.
Pour le sociologue, la mobilisation contre le pass sanitaire, qui rassemble chaque samedi des centaines de milliers de personnes dans toute la France, n’a rien de surprenant au regard de la tentation autoritaire du pouvoir actuel.
«Nous n’avions pas connu une telle brutalisation du corps social depuis l’occupation allemande de 1944. [Cette mobilisation] est aussi une réponse de la société civile au pouvoir politique afin de demander des comptes», analyse Lemarchand.
«C’est un mouvement qui questionne ce que l’on pourrait appeler avec beaucoup de prudence une “dictature sanitaire”», poursuit-il. «En tout cas, nous ne sommes plus aujourd’hui dans un État de droit à bien des égards. Quand les mesures d’exception perdurent, on est dans autre chose qu’un état démocratique», assène ainsi le directeur du Centre de recherche risques et vulnérabilités de l’Université de Caen-Normandie.

Des contradictions «de plus en plus inacceptables aux yeux de la population»

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Le 26 juillet dernier, une note des renseignements territoriaux, révélée par Le Parisien, notait les différences et similitudes entre le mouvement des Gilets jaunes et les mobilisations contre l’extension du passe sanitaire. Première remarque: «contrairement au mouvement des Gilets jaunes, qui avait connu une baisse de participation dès son acte II, la mobilisation contre les nouvelles mesures sanitaires gouvernementales, en pleine saison estivale, s’est étoffée». De fait, les contestations continuent de prendre de l’ampleur: de 110.000 personnes (selon les chiffres du ministère de l’Intérieur), le mouvement a doublé et réuni plus de 200.000 personnes le 31 juillet dernier. Une nouvelle journée de mobilisation prévue le 7 août montrera si la tendance est encore à la hausse. La décision du Conseil constitutionnel, qui doit statuer ce jeudi 5 août sur la loi portant l’extension du pass sanitaire, pourrait influer également sur la dynamique de la contestation.

Mais pour Frederick Lemarchand, tout porte à croire que le mouvement est voué à durer. Pour une raison simple selon lui: la défiance envers les élites et les «vulnérabilités des sociétés contemporaines» alimentent une colère sociale qui vient de loin.
«Ce mouvement n’est pas voué à s’éteindre, car les contradictions sociales, économiques, écologiques et politiques auxquelles il est censé répondre ne s’éteignent pas. Ces contradictions-là deviennent même de plus en plus inacceptables aux yeux de la population», avance-t-il.
À une différence près tout de même, si l’on compare le mouvement anti-pass actuel à celui des Gilets jaunes: là où les premiers occupants des ronds-points, à l’automne 2018, s’insurgeaient contre la hausse des taxes sur le carburant, les revendications des manifestants semblent cette fois-ci plus hétéroclites. «Les gens se mobilisent pour une cause collective, mais aussi individuelle: ils défendent leurs libertés», signale Lemarchand.

Refus de la récupération politique

Selon les renseignements territoriaux, on trouve dans les rassemblements aussi bien des antivax que des personnes vaccinées, mais hostiles à la méthode employée par les autorités, d’anciens Gilets jaunes (plus de 1.500 d’entre eux ont été identifiés par les RT, soit 1% de la totalité des manifestants), des abstentionnistes ou encore des «antisystème» de manière générale. Fait notable selon les services de renseignement: les rassemblements anti-pass sont «urbains» alors que les cortèges des Gilets jaunes venaient pour l’essentiel des «territoires». Le 31 juillet dernier, plus de 15.000 personnes ont ainsi défilé à Paris contre l’ausweis sanitaire.
S’il estime qu’il est «beaucoup trop tôt pour dresser une cartographie sociologique précise de ce mouvement», Frederick Lemarchand reconnaît toutefois de fortes similitudes entre les «jaunes» et les anti-pass.
«Comme les Gilets jaunes, c’est un mouvement qui se veut très horizontal, donc très difficile à saisir avec une grille d’analyse traditionnelle. C’est ce qui fait sa force, car le pouvoir politique a par conséquent peu de prise sur lui», explique le sociologue.
Si l’on observe d’autres rapprochements entre les deux mouvements (pas de véritable leader, manifestations improvisées et souvent non déclarées via des appels sur les réseaux sociaux, participants peu habitués à manifester…), c’est surtout sur refus de la récupération politique ou syndicale que les Gilets jaunes et les anti-pass semblent se retrouver.
«Depuis les Gilets jaunes, c’est un mouvement qui transcende l’échiquier politique traditionnel. Il va de l’extrême droite à l’extrême gauche en passant par les apolitiques. C’est un mouvement qui renouvelle la question du politique dans les sociétés contemporaines», décrypte Frederick Lemarchand.
Signe de cette défiance envers la classe politique de manière générale: lors du lancement du média LaUneTv, Richard Boutry, figure de proue des «covidosceptiques», a annoncé que la chaîne «ne servira la soupe à personne et encore moins à nos politiques, qui nous ont tous trahis». Dans le viseur de l’ancien présentateur de France Soir: certains chefs de partis d’opposition, aperçus en tête de cortège dans les premières manifestations anti-pass et désireux de se poser en têtes de pont du mouvement.
«Les chefs de parti font leur travail de professionnels de la politique et font évidemment feu de tout bois. C’est la nature même des institutions politiques de ce pays que de s’emparer de ces questions, avec plus ou moins d’authenticité et d’honnêteté pour prétendre y apporter des réponses», conclut Lemarchand.
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