L’explosion du port de Beyrouth, «c’est la vague qui a fait déborder le vase»– témoignages

© AFP 2023 JOSEPH EIDUn an après l'explosion du port de Beyrouth
Un an après l'explosion du port de Beyrouth  - Sputnik Afrique, 1920, 04.08.2021
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Journée de deuil pour le Liban. Un an jour pour jour après l’explosion du port de Beyrouth, les cicatrices sont encore béantes pour les Libanais: ruine du pays et mystère entourant le drame. Face à la détérioration des conditions de vie, certains préfèrent quitter le pays. Témoignages.
Il est 18 h 08, le 4 août 2020. Beyrouth la festive, l’accueillante, la généreuse, plonge dans l’obscurité la plus totale.
Une première détonation qui ressemble à plusieurs feux d’artifice dans un hangar du port, puis l’apocalypse avec la deuxième explosion, véritable champignon sorti de terre qui ravage la moitié de la capitale. L’odeur de soufre s’empare de la ville, les corps immobiles jonchent le sol et le sang se mêle à la poussière. Bâtiments effondrés, habitations éventrées: le Liban a connu la troisième explosion la plus puissante de l’histoire. Selon l’Onu, 73.000 appartements, 163 écoles et six hôpitaux ont été détruits ou endommagés, provoquant l’exode interne de 300.000 Beyrouthins.
Chaque Libanais se rappelle où il était à l’instant T. «J’ai entendu un bruit assourdissant alors que j’étais à Jounieh [ville à 20 km au nord de Beyrouth, ndlr]», témoigne à notre micro Jonathan, un Franco-Libanais en vacances au Liban durant l’explosion. La fumée de la déflagration était visible jusqu’à Damas, à 80 km derrière les montagnes libanaises. Les secousses ont été ressenties jusqu’à Chypre, à plus de 200 km de la capitale.
«C’était comme un film, comme 20 ans de guerre en une seconde. On n’aurait jamais imaginé que ça pourrait se produire en réalité», glisse Andrea, une jeune Libanaise, encore sous le choc.
«Au moment du drame, je quittais le travail pour rentrer chez moi et le souffle a explosé le pare-brise de la voiture, grâce à Dieu je n’ai eu que des blessures légères», se souvient Fadi, un miraculé.

Le poumon économique du pays dévasté

Le bilan est terrible: 218 tués, plus de 6.500 blessés, des dégâts matériels estimés à quatre milliards de dollars, selon les chiffres de la Banque mondiale. Véritable poumon économique du pays, le port représentait 69,7% des flux commerciaux du Liban et permettait aussi de stocker les réserves de blé et de médicaments du pays. Mais à qui la faute?
«Une explosion à Beyrouth, c’est une multitude de scénarios possibles. S’agit-il d’une attaque israélienne contre un entrepôt d’armes du Hezbollah, s’agit-il d’un accident industriel, d’une bombe en guise de représailles? Le Liban a connu tellement de drames qu’on ne peut rien écarter. Mais aujourd’hui, on veut des comptes», assène Nour, une ancienne habitante de la capitale.
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Les avis divergent, il y a autant de versions que d’habitants. Les uns disent avoir entendu un avion survoler le port peu avant explosion et accusent Israël, les autres incriminent des hommes d’affaires syriens affiliés à Damas. L’enquête officielle menée par le juge Tarek Bitar patine, faisant ainsi planer le doute sur la responsabilité de certains hommes politiques –anciens ministres ou chefs de services de sécurité– retranchés derrière leur immunité. Certains médias libanais ont affirmé que l’explosion serait survenue suite à des travaux de soudage dans le port, une hypothèse pas plus confirmée que les autres.

Les causes de l’explosion toujours floues

Cette inconnue en cache une autre. La majorité des témoins de l’explosion ne comprennent toujours pas pourquoi 2.750 tonnes de nitrate d’ammonium étaient stockées dans le port depuis des années. Il s’agit de la cargaison du bateau Rhosus, confisquée pour défaut de paiement en 2013, dont seulement 500 tonnes auraient explosé, selon le FBI, ce qui en laisserait encore 2.200 tonnes dans le port.
«Un an plus tard, on n’a toujours pas compris ce qui s’était passé. On n’a pas de réponse et il n’y a aucune intention de l’État de dévoiler la vérité. Depuis, je descends très rarement à Beyrouth, ce n’est plus la même chose, ça n’a plus le même goût, plus la même saveur. J’ai toujours à l’esprit la mort des innocents qui ont payé le prix de l’irresponsabilité des dirigeants», s’indigne Andrea.
Indépendamment des raisons troubles de l’explosion, cette catastrophe a plongé le Liban dans une crise aux multiples facettes. Au lendemain du drame, le soulèvement populaire contre la classe politique issu de l’octobre 2019 a pris un second souffle. Dès le 8 août 2020, la foule brandissait des guillotines en bois et des mannequins représentant les différents dirigeants. «C’est la vague qui a fait déborder le vase, on pensait que nous avions touché le fond, mais les abysses de l’enfer sont profonds», s’insurge Abdel, un Beyrouthin qui a perdu sa boutique dans l’explosion.

Un quart de la population vit dans l’extrême pauvreté

Les difficultés s’accumulent depuis au pays du Cèdre. L’économie du Liban est littéralement exsangue. La livre libanaise a dégringolé à 20.000 pour un dollar au marché noir alors qu’en 2019 elle était à 1.500, le salaire minimum a perdu environ 90% de sa valeur et le pays connaît des pénuries d’essence et d’électricité. «Plusieurs fois par jour, le prix de la livre libanaise varie», nous raconte Fadi avant d’ajouter: «on regarde le moindre centime qu’on dépense». Une situation qui n’en finit pas d’empirer. Selon l’Onu, plus de 55% de la population vivrait sous le seuil de pauvreté et 23% dans l’extrême pauvreté. Tous les pans de la société libanaise se sont ainsi paupérisés.
De surcroît, le système bancaire libanais est en faillite totale, les banques étant devenues insolvables. Impossible pour les Libanais d’avoir accès à leurs économies. «J’avais mis de l’argent à la banque pour payer la scolarité de mes enfants, mais aujourd’hui je ne peux plus compter dessus», s’indigne Tony, un ingénieur qui gagnait 3.000 dollars avant la crise et qui n’en gagne plus que 500.
«Il y a clairement un avant et un après 4 août. Les Libanais qui n’étaient pas du tout ouverts à quitter le pays et qui défendaient corps et âme leur semblant de vie ici se sont rendu compte après l’explosion que tout était parti en fumée. Aujourd’hui, la sécurité prime et malheureusement, l’avenir au Liban est plus que jamais incertain», déplore Tatiana, une jeune franco-libanaise abattue par l’évènement, qui se sent plus que jamais chanceuse de vivre en France.
Contrée d’accueil, le pays du Cèdre semble se transformer à nouveau en terre d’émigration. Les derniers chiffres montrent que les départs s’accumulent: depuis 2018, le nombre d’émigrants a quadruplé et risque d’augmenter encore si la situation ne s’améliore pas.
«J’aime le Liban, mais je le déteste tout autant. J’avais envie de faire ma vie là-bas. Aujourd’hui, face à l’insécurité, à la perte de mon travail, à la dégradation du coût de la vie, j’ai multiplié les appels pour trouver un poste à l’étranger, quitte à changer de domaine», déplore Imad, parti vivre aux Émirats.
Et pour ceux qui restent, l’espoir se réduit comme peau de chagrin…
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