Paris et Londres VS Malabo: lutte contre la corruption ou jeux d’intérêts stratégiques?

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Guinée équatoriale, image d'illustration  - Sputnik Afrique, 1920, 02.08.2021
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Londres tout comme Paris ont sanctionné et condamné Téodorin Obiang, fils du Président de Guinée équatoriale pour faits de corruption, d’enrichissement aux dépens de ses concitoyens et dans l’affaire des «biens mal acquis». Alors que Malabo crie au complot, certains évoquent les visées stratégiques de ces puissances occidentales.
La saison des sanctions en terre européenne semble être ouverte pour Téodorin Obiang Nguema, fils du Président de Guinée équatoriale au pouvoir depuis 42 ans et lui-même vice-Président de ce petit eldorado pétrolier au cœur de l’Afrique centrale. D’abord, le 23 juillet, l’homme fort de Malabo a été sanctionné par Londres notamment pour avoir «détourné de l'argent public sur son compte en banque personnel» et pour avoir «sollicité des pots-de-vin». Le tout puissant fils du Président Obiang Nguema aurait consacré plus de 500 millions de dollars à l'acquisition de résidences de luxe à travers le monde, d'un jet privé, de voitures et d'objets de collection. Les sanctions prises contre Teodorin Obiang, a précisé Londres, sont inscrites dans le cadre d'un régime de sanctions anticorruption et prévoient un gel des avoirs et l’interdiction d'entrée au Royaume-Uni.

Malabo dénonce et condamne une «ingérence»

Des mesures très mal prises par les autorités de Malabo qui n’ont pas tardé à réagir. Ainsi le 26 juillet, Simeon Oyono Esono, ministre des Affaires étrangères, a annoncé à la télévision nationale guinéenne que «le gouvernement [allait] procéder à la fermeture totale» de sa mission diplomatique à Londres, suivi du retrait de son personnel. Malabo dénonce, «des sanctions sans fondement imposées par le gouvernement britannique» et qui trouvent «leur justification dans les manipulations, les mensonges (...) que promeuvent certaines organisations non gouvernementales contre la bonne image de la Guinée équatoriale».
«Nous demandons la levée de ces sanctions unilatérales et illégales», a précisé dans un communiqué le ministre équato-guinéen des Affaires étrangères, considérant ces mesures «comme un geste inamical» de la part du gouvernement britannique.

«Fils gâté de chef d’État»

Pour le gouvernement britannique, il s’agit de sanctionner «des individus qui se sont enrichis aux dépens de leurs concitoyens». Depuis que la Guinée équatoriale est devenue un Eldorado pétrolier, la petite contrée autrefois ignorée est très souvent sous le feu des projecteurs, et convoitée depuis les quatre coins du monde. Si le pays broie du noir depuis peu, en raison de la chute en 2014 du cours des hydrocarbures dont il dépend à 90%, les scandales de corruption et de détournement de fonds publics y sont légion. Concernant la corruption, les indicateurs y sont au rouge. Dans le classement 2020 de l'ONG Transparency International, la Guinée équatoriale se retrouve à la 174e place sur 180.
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Au cœur des scandales de corruption, le cercle fermé du Président Obiang, 79 ans, dont le fils Téodorin, ouvertement présenté comme son dauphin est même devenu un sujet récurrent de la presse occidentale depuis qu'il est poursuivi par la justice française dans une affaire de «biens mal acquis». D’ailleurs, alors que le dossier des sanctions britanniques contre Téodorin fait encore l’actualité, le golden boy de Malabo a été définitivement condamné mercredi 28 juillet par la justice française, après le rejet de son pourvoi par la Cour de cassation, pour s'être constitué frauduleusement un patrimoine luxueux. En effet en février 2020, Téodorin avait été condamné par la cour d'appel de Paris à trois ans de prison avec sursis, 30 millions d'euros d'amende et la confiscation de tous ses biens saisis pour «blanchiment d'abus de biens sociaux, […] détournement de fonds publics et […] abus de confiance» entre 1997 et 2011. Ses avocats entendent porter l’affaire devant la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) sur les questions de «l'immunité des gouvernants ou celle de l'ingérence d'un pays étranger dans l'ordre juridique interne d'un pays tiers». Décryptant ces évènements successifs Serge Éric Dzou Ntolo, enseignant en sciences politiques à l’université de Ngaoundéré (Cameroun), souligne d’emblée qu’ils sont de nature à «affecter l’image» de celui qui est présenté comme le futur Président de la Guinée équatoriale.
«Téodorin traîne l’image d’un fils gâté de chef d’État, bien que depuis quelques années son père ait décidé de le placer à de hautes fonctions afin de redorer cette image écornée par de nombreux scandales», explique au micro de Sputnik le chercheur au centre africain d’études stratégiques pour la promotion de la paix et le développement (CAPED).

«Géopolitique du positionnement moral»

Cependant, au-delà des motifs officiels, qu’est-ce qui pourrait expliquer la démarche obstinée de ces grandes puissances autour de l’affaire des «biens mal acquis» de Téodorin Obiang? Pour Bertrand Tatsinda, analyste politique et consultant permanent sur les questions sous-régionales d’une chaîne de télévision privée de Douala, la démarche viserait avant tout à le «disqualifier» dans la course à la succession de son Président de père.
«Que ce soit Paris ou Londres qui entre dans la danse, [cela] nous démontre qu'en Europe, on ne veut absolument pas voir Téodorin succéder à son père. Je crois qu'il s'agit ici de grandes puissances qui veulent arbitrer dans la succession au pouvoir de cet Eldorado pétrolier au cœur du golfe de Guinée», suppute Bertrand Tatsinda au micro de Sputnik.
Scrutant les intérêts de Paris et de Londres dans cette affaire, Serge Éric Dzou Ntolo précise qu’au-delà des aspects éthique et de mal gouvernance, ces nombreuses poursuites judiciaires pourraient aussi viser «des objectifs d’anticipation stratégique» de certaines puissances occidentales dans le jeu des intérêts dans cette partie du monde.
«L’on se souvient qu’entre la fin des années 1990 et le début des années 2000, la Guinée équatoriale est classée par Washington parmi les «États voyous» pour sa répression et son hostilité à la démocratie. Après le 11 septembre 2001, le golfe de Guinée est déclaré «zone d’intérêt stratégique et vitale» par le gouvernement de Georges Walker Bush, et les États Unis exploitent prioritairement le pétrole équato-guinéen. L’on observe que le pays d’Obiang, pour sortir de ce classement, a dû accorder une priorité aux États Unis pour la réalisation de son projet géopolitique dans le golfe de Guinée», analyse le spécialiste en relations internationales et stratégiques.
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Sans occulter, pour autant, toute intention de lutte contre la corruption dans le monde, le géostratège estime que le Royaume-Uni, à travers sa démarche, veut aussi «s’ériger sur la scène étrangère comme une puissance de la moralité publique internationale».
«S’il ne semble pas évident d’identifier une géopolitique basée sur des intérêts matériels liant, pour le moment, le Royaume-Uni à la Guinée équatoriale, l’on observe incontestablement la consolidation d’une géopolitique du positionnement moral. Cette géopolitique procède du domaine de l’influence et de la civilisation des mœurs internationales», poursuit Serge Éric Dzou Ntolo.
Quant aux rapports toujours tendus entre la France et la Guinée équatoriale, l’expert relève la particularité de la Guinée équatoriale par rapport à d'autres pays de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC). Les pays de cette sous-région sont liés à la France par «la langue, la monnaie, le découpage historico-géographique du reflet de l’ancienne Afrique équatoriale française (AEF)».
«La Guinée équatoriale est un élément d’extranéité dans ce dispositif, au moins pour les deux facteurs que sont la langue, et la non-appartenance à l’AEF coloniale. Malabo entretient donc des rapports décomplexés vis-à-vis de la France. Ceci justifierait le traitement inégal, par la France, des dossiers de ˝biens mal acquis˝ dont disposent les différentes progénitures des Présidents d’Afrique centrale», compare le spécialiste des relations internationales.

«Le patrimonialisme est structuré par la longévité au pouvoir»

Depuis 2010, suite aux plaintes des ONG Sherpa et Transparency international, des investigations sur les «biens mal acquis» de nombreux dirigeants africains et de leur entourage avaient été ouvertes. Dans le viseur de nombreuses familles de dignitaires africains à l’instar des Bongo au Gabon et des Sassou Nguesso au Congo-Brazzaville, la famille Obiang en Guinée équatoriale…Des cas et d’autres qui trouvent leur essence, constate Serge Éric Dzou Ntolo dans le «patrimonialisme» qui a cours dans plusieurs pays africains.
«Ce patrimonialisme est structuré par la longévité au pouvoir d'un homme et ses proches. Cette longévité conforte ces chefs d'État africains dans leurs prétentions aussi bien sur le pouvoir politique dans leur pays que sur l’utilisation de ses ressources», déplore le géostratège.
Alors que cette affaire a exacerbé les tensions entre Paris et Malabo, la France a annoncé jeudi 29 juillet qu'un de ses hélicoptères militaires avec à son bord six soldats avait été retenu après son atterrissage en Guinée équatoriale. Les autorités équato-guinéennes ont indiqué que l’appareil français s’était posé avec son équipage sans autorisation préalable de l’aéroport. Ce qu’a démenti l’armée française, qui évoque le ravitaillement en carburant pour justifier sa présence. Cependant, Malabo «n’exclut pas que cet incident militaire soit une opération d’espionnage et de provocation de Paris». Les six militaires français ont été autorisés à quitter le territoire vendredi 30 juillet après des tractations diplomatiques.
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