Darmanin proscrira les mains courantes pour lutter contre les violences conjugales: «Inutile mais, en plus, dangereux»
19:59 02.08.2021 (Mis à jour: 16:07 19.11.2021)
© AFP 2024 THOMAS COEXGérald Darmanin
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Le fléau des violences conjugales continue de faire des ravages en France. Le ministre de l’Intérieur vient à la rescousse avec une série de mesures appelées à éviter les féminicides. Une «révolution» qui est loin d’avoir convaincu les associations féministes. À l’image des Effrontées qui dénoncent l’inutilité de certains dispositifs.
«Lorsque Gérald Darmanin utilise le mot “prioritaire”, que le gouvernement présente comme la grande cause nationale du quinquennat, on n’est pas dupe, on sait très bien que tout cela n’est que de la com’.»
Tiffany Coisnard, membre du bureau national des Effrontées, s’étonne encore au micro Sputnik de la faiblesse des initiatives du ministre de l’Intérieur en matière de lutte contre les violences conjugales. Pourtant, Gérald Darmanin s’est montré déterminé dans un entretien accordé au Parisien. Dorénavant, «les plaintes pour violences conjugales doivent être traitées devant toutes les autres», a-t-il indiqué.
De très nombreuses interventions pour violences intrafamiliales
Une sortie que n’a pas manqué de saluer Marlène Schiappa. «C'est une révolution dans la manière dont on traite les violences conjugales. [...] Cela devient une priorité», s’est félicitée le ministre délégué à la Citoyenneté sur Cnews.
«C'est une révolution dans la manière dont on traite les violences conjugales [...] Cela devient une priorité», Marlène Schiappa, ministre déléguée à la citoyenneté dans #MidiNews pic.twitter.com/xlGA6D3pfZ
— CNEWS (@CNEWS) August 2, 2021
La situation est préoccupante. 102 femmes et 23 hommes ont été tués par leurs partenaires, selon le bilan 2020 des «morts violentes au sein du couple». L’hôte de la place Beauvau a souligné que l’année dernière avait été particulière, en raison de «deux confinements». Et ce, même si le nombre de féminicides a baissé par rapport à 2019, où 146 femmes avaient péri sous les coups de leur compagnon ou ex-conjoint!
Cependant, «il ne se passe pas une journée sans que le GIGN ou le Raid aille libérer une femme ou des enfants pris en otage», a déclaré le ministre. Plus de 400.000 interventions ont lieu chaque année, soit 45 par heure!
Pour endiguer cette spirale de violences intrafamiliales, qui «sont en train de devenir le premier motif d'intervention des policiers et gendarmes», Gérald Darmanin propose plusieurs pistes. À savoir, la désignation d'un officier spécialisé dans chaque commissariat et brigade de gendarmerie, ou encore le recrutement d’officiers de police judiciaire pour répondre à l’augmentation des procédures. «Une impression de recyclage» a rétorqué à l’AFP Fabienne El Khoury, porte-parole d’Osez le féminisme. Et pour cause, les associations dénoncent le fait que ces mesures existent déjà mais ne sont pas appliquées faute de moyens financiers.
Le ministre de l'Intérieur (mis en cause pour des faits de viol), a donné une interview au Parisien dans laquelle il annonce des "mesures" pour lutter contre les féminicides.
— #NousToutes (@NousToutesOrg) August 2, 2021
Ces mesures existent déjà. Elles ne sont simplement pas appliquées par manque de moyens. ⤵️
Parmi les autres dispositions annoncées, le premier flic de France a plaidé en faveur de la proscription «définitive» des mains courantes, pas assez souvent suivies d’effets judiciaires à son goût. Une proposition qui fait bondir Tiffany Coisnard: c’est une «réponse complètement à côté de la plaque», déplore-t-elle :
«Il ne s’agit même pas de quelque chose qui sera inutile, comme on a l’habitude d’en voir malheureusement avec le gouvernement actuel, mais d’un changement qui aura des conséquences dangereuses.»
La militante craint ainsi que cela ne «dissuade les victimes de violences» d’entamer cette première démarche. Un mécanisme qui permet pourtant «de laisser une trace juridique», avant un éventuel dépôt de plainte, dans le cas où la victime trouve le courage de le faire, ou si la situation empire. Or il s’agit justement pour le gouvernement d’assurer un meilleur suivi de ces situations, afin que «100% des constatations se transforment en plainte ou en signalement à la justice», a notamment fait valoir Gérald Darmanin.
Un système qui met en danger les victimes de violence
Si les intentions sont louables, reste que, dans les faits, de nombreux dysfonctionnement sont pointés par la féministe. Ainsi, 29% des plaintes ne sont transmises au procureur de la République, rappelle Tiffany Coisnard. Pour celles qui passent ce premier sas, 80% sont classées sans suite faute de preuve. Des chiffres s'appuyant sur les résultats d'un rapport réalisé par l'Inspection Générale de la Justice (IGJ). En outre, le temps de traitement de ces affaires peut également mettre en danger les victimes.
«Alors que l’on est sur des situations dangereuses, des violences conjugales qui peuvent mener à des féminicides, qui peuvent mettre aussi en danger des enfants, il faut en moyenne trois mois pour que les commissariats transmettent la plainte au procureur de la République. Une fois que ce dernier a pris connaissance des faits, c’est onze mois de traitement», comptabilise Tiffany Coisnard.
Des délais jugés trop longs par la membre des Effrontés. Elle invite le gouvernement à prendre exemple sur l’Espagne. Notamment sur la création de tribunaux spécialisés qui assurent un traitement plus rapide des cas et de ce fait protègent les victimes.
«Concernant les ordonnances de protection, par exemple, on met en moyenne quarante-deux jours pour les délivrer en France. En Espagne, c’est soixante-douze heures. Pourquoi en délivre-t-on moins de 2.000 par an, sachant qu’il y a plus de 220.000 femmes victimes de violences, et que, en Espagne, ils en délivrent près de 20.000 par an? C’est alarmant.»
Ce manque de réponse judiciaire s’arrangera-t-il en supprimant l’étape de la main courante? Il est permis d’en douter...