Tirs d'armes à feu, nuages de gaz lacrymogène… Comme un symbole du chaos régnant dans le pays, le dernier hommage rendu à Jovenel Moïse a vite été écourté à cause de flambées de violence. Deux semaines après avoir été sauvagement assassiné, le Président haïtien a ainsi été enterré le 23 juillet à Cap-Haïtien. Des obsèques auxquelles a assisté sa veuve. Gravement blessée lors de l’attaque, Martine Moïse avait le bras en écharpe. «Quel crime as-tu commis pour mériter un tel châtiment?» a demandé l'épouse éplorée. Les représentants du corps diplomatique se sont alors succédé devant le cercueil. Parmi eux, la délégation envoyée par Joe Biden. Celle-ci se composait de Daniel Foote, nouvel émissaire américain pour Haïti, et de Linda Thomas-Greenfield, ambassadrice des États-Unis à l'Onu. De retour chez l’Oncle Sam, cette dernière a déclaré: «Le peuple d'Haïti mérite la paix, la sécurité et un avenir meilleur.»
Les États-Unis impliqués?
Des déclarations qui trouvent un écho particulier alors que le Core Group, conglomérat de pays occidentaux associés politiquement vis-à-vis d’Haïti dont font partie les États-Unis, a soutenu le nouveau gouvernement d’Ariel Henry formé le 20 juillet. Selon la porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères, Washington est intervenu «très activement dans l’agenda politique intérieur» de la république caribéenne. Pis, Maria Zakharova a évoqué l’hypothèse de la piste taïwanaise derrière le meurtre de Jovenel Moïse.
Dans un post Facebook publié le 26 juillet, celle qui a passé son enfance à Pékin s’est interrogée sur un faisceau d’informations liant l’homicide du Président haïtien à sa volonté de rapprochement avec la Chine. Un virage en politique étrangère qui aurait irrité les États-Unis, premier allié et fournisseur d’armes de Taipei. Un des rares pays à entretenir encore des relations diplomatiques avec Taïwan, que la Chine considère comme son territoire, Haïti a été jusqu’au mois de l’assassinat de son Président «le seul État de l’hémisphère occidental sans plan ni programme de vaccination», constate la diplomate russe. Elle estime que «les Américains ne se sont pas montrés pressés de l’aider».
«Alors que les Haïtiens mouraient du coronavirus, le Président haïtien avait sous les yeux l’exemple de la République dominicaine, qui a récemment reconnu la Chine, rompu ses relations diplomatiques avec Taïwan et a reçu de ce fait l’aide de Pékin dans sa lutte contre le coronavirus. La République dominicaine a également attiré des investissements chinois dans la construction du chemin de fer frontalier», rappelle Maria Zakharova.
Durant une audition devant la commission de la Chambre des représentants, le 17 juin dernier, Linda Thomas-Greenfield confirmait l’agacement américain face à l’influence chinoise grandissante. L’ambassadrice aux Nations unies critiquait ainsi la «diplomatie vaccinale» de Pékin qui mettrait «une énorme pression» sur Haïti afin que l’île caribéenne ne reconnaisse plus Taipei. En somme, des vaccins contre une rupture diplomatique avec Taïwan. Des contacts sino-haïtiens qui auraient ainsi «provoqué une irritation de Washington qui a frôlé l’hystérie» interprète la porte-parole russe avant d’ironiser: «Comment ont-ils osé ce rapprochement à l’insu des grands!» Le début d’une explication de l’assassinat?
Une influence chinoise qui dérange Washington
Pour Jean-Jacques Kourliandsky, peu d’éléments concrets confirment ce scénario. Spécialiste de l’Amérique latine à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) et à la Fondation Jean-Jaurès, il reconnaît les «demandes pressantes de la part de Pékin» qui, considérant «qu’il n’y a qu’une seule Chine», a obtenu que quelques pays latino-américains rompent leurs relations avec Taipei. C’est le cas du Panama en 2017, du Salvador et de la République dominicaine en 2018.
«Et le suivant sur la liste aurait été Haïti. Cela dit, il est très difficile de considérer que cet élément a joué un rôle central et fondamental dans la crise que traverse Haïti en ce moment. Les raisons sont locales», juge, pour sa part, notre interlocuteur.
Les ex-militaires colombiens «très recherchés» par les sociétés paramilitaires
Depuis le 7 juillet, jour de ce meurtre brutal, plusieurs pays sont cités dans les médias. À commencer par les États-Unis et la Colombie, mais pas Taïwan. Certains des suspects «se cachaient dans la mission de Taïwan» rappelle la diplomate russe. Dans un communiqué, la représentation de Taipei le confirme, tout en indiquant avoir autorisé la police haïtienne à interpeller les suspects au sein de la mission diplomatique. Plus d’une vingtaine de personnes ayant participé activement à l’opération (parmi lesquelles dix-huit Colombiens et trois Haïtiens, deux d'entre eux ayant aussi la nationalité américaine) ont ainsi d’ores et déjà été arrêtées par la police locale. Les mercenaires colombiens clament avoir été recrutés pour capturer Jovenel Moïse. Leur mission consistant à le remettre à l'Agence antidrogue américaine (DEA). Et le Pentagone a confirmé que certains de ces Colombiens avaient bénéficié de sessions de formation proposées par l'armée américaine, à l'époque où ils étaient engagés dans les forces colombiennes. Autre élément pointé par Maria Zakharova, le rôle de la firme de sécurité vénézuélienne CTU, basée à Miami. Une société qui aurait déjà été impliquée dans une tentative d’assassinat du dirigeant vénézuélien Nicolas Maduro en 2018, selon le président de l'Assemblée nationale du Venezuela.
«On sait qu’il n’a pas été simplement assassiné, mais qu’il aurait été quelque peu torturé: on l’a retrouvé les jambes brisées, les yeux énucléés… Ça relève de quelque chose qui dépasse un contrat d’assassinat qui en général ne comporte pas ce genre de sévices», conclut le directeur de l’Observatoire de l’Amérique latine.
De nombreuses zones d’ombres perdurent autour du meurtre du chef de l’État haïtien. Les révélations de l’enquête, dont la neutralité pose question, ne manqueront pas d’empoisonner durablement le climat dans l’île. Décidément, l’avenir d’Haïti se présente sous de sombres auspices…