Coopération militaire Chine-Mali: Pékin veut-il sécuriser sa route de la soie après l’enlèvement de trois Chinois?

© AP Photo / Mohamed SalahaAu Mali, août 2020
Au Mali, août 2020 - Sputnik Afrique, 1920, 27.07.2021
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Dans un entretien à Sputnik, le Dr Daouda Kinda, expert malien en sécurité internationale, analyse la convention de coopération militaire signée le 23 juillet entre son pays et la Chine, dans le contexte de l’enlèvement de ressortissants chinois dans la région de Nara. Il évoque également les possibles enjeux géostratégiques entourant cet accord.

Le vendredi 23 juillet, le Mali et la Chine ont signé une convention de coopération militaire assortie d’un don chinois de près 9.200.000 euros sous forme d’aides en armes, munitions, véhicules, équipements de transports et protections.

Cet accord intervient six jours après l’enlèvement, samedi 17 juillet, de trois ressortissants chinois et de deux Mauritaniens, travaillant pour un consortium sino-mauritanien chargé du bitumage de routes et de la construction de ponts, sur un site de travaux à quelque 55 kilomètres de la ville de Kwala, dans la région malienne de Nara, située non loin de la frontière mauritanienne. Le 20 juillet, dans la mosquée de Bamako, à l’occasion de la célébration de l’Aïd el-Kébir, un inconnu avait tenté de poignarder le colonel Assimi Goïta, Président de la transition au Mali.

Quel impact pourrait avoir cet acte d’enlèvement de travailleurs chinois et mauritaniens? Quelle portée donner à la convention de coopération sino-malienne? Y a-t-il des enjeux géopolitiques et géostratégiques à prendre en considération dans l’analyse des objectifs possibles de cet acte terroriste?

Pour répondre à ces questions, Sputnik a sollicité le Dr Daouda Kinda, expert malien en sécurité internationale et politiques de défense. Pour lui, «ce qui s’est passé à Kwala, dans la région de Nara, pose le problème de la sécurisation des investissements étrangers au Mali, notamment chinois». Par ailleurs, il n’écarte pas l’éventualité «d’une tentative de retarder les projets structurants dans la région, dans le cadre d’un jeu de zones d’influences entre les grandes puissances mondiales», dont la Chine, la Russie, la France, le Royaume-Uni, les États-Unis et la Turquie.

«Il y a déjà eu un enlèvement en 2017»

«Ce n’est pas la première fois que la région de Nara connaît ce genre d’actions terroristes», indique le Dr Kinda, rappelant qu’«il y a déjà eu un enlèvement en 2017, revendiqué par le Groupe de soutien de l’islam et des musulmans (GSIM), dirigé par le chef touareg malien Iyad Ag Ghali et le djihadiste, également malien, Amadou Koufa, qui détiennent toujours des otages, dont un officier de la gendarmerie locale».

Et d’informer qu’«ils sont plusieurs groupuscules djihadistes, terroristes et salafistes à s’activer dans cette région, en plus des réseaux de contrebande et de criminalité transnationale». Dans le même sens, l’expert estime qu’«il faut ajouter que la région de Nara est également sous-équipée en termes de forces de sécurité et de moyens matériels à même d’asseoir l’ordre et la sérénité dans ce territoire».

Par ailleurs, il explique que «la Mauritanie qui devrait jouer un important rôle dans la sécurisation de tout le Sahel, n’a pas une politique à la mesure de ses responsabilités dans la région, d’autant plus qu’elle dispose de plusieurs leviers en termes de négociation avec certains milieux salafistes».

Qu’est-ce qui se joue à Kwala?

Le site des travaux de bitumage de routes et de la construction de ponts, à quelques dizaines de kilomètres de la ville de Kwala, est en réalité le tronçon du corridor qui permet de relier la capitale Bamako à Dakar au Sénégal et Nouakchott en Mauritanie. Ce qui fait de lui un tronçon névralgique pour deux autres routes transcontinentales africaines: la transsaharienne qui relie Alger à Lagos au Nigéria et celle qui établit la liaison entre Dakar (ou Nouakchott), sur la côte atlantique, et Djibouti sur le golfe d’Aden au large de la mer Rouge, où la France, la Chine, les États-Unis et le Japon ont tous des bases militaires.

La Russie a de son côté conclu un accord avec le gouvernement soudanais, portant sur la construction d’une base navale à Port-Soudan, qui va lui permettre d’établir la jonction avec sa base de Tartous en Syrie, sur les côtes méditerranéennes, et l’océan indien via le détroit de Bab El-Mandeb, sur le golfe d’Aden.

«Il faut rappeler que la Chine est devenue l’un des plus importants investisseurs étrangers en Afrique depuis plus d’une décennie, notamment dans le cadre de son projet de la "route de la soie", dont le contrôle des grands axes routiers sur le continent africain est vital», souligne le Dr Daouda Kinda.

À ce titre, il constate que «les points stratégiques de jonction entre le corridor Dakar-Djibouti et la transsaharienne Alger-Lagos sont tous des zones infestées par les groupes terroristes. En effet, en plus de Kwala, Kano au Nigéria est le terrain d’opération de Boko Haram, et le nord du Mali (Gao et Kigali) et la région des trois frontières (entre le Mali, le Niger et le Burkina Faso) jusqu’au Tchad en passant par Agadez au Niger, constitue la zone de déploiement de l’opération française Barkhane contre le terrorisme djihadiste. Ceci en plus de la zone frontalière entre la Libye et le Tchad, où feu le Président Idriss Déby Itno a été mortellement blessé. La présence de groupes terroristes dans ces zones retarde les travaux de construction de la liaison Tamanrasset (dans le sud de l’Algérie)-Bamako, pour compléter les tronçons manquant de la transsaharienne, et de la Tripoli-N’Djamena».

​L’ombre des États-Unis?

Après celui du G7 du 11 au 13 juin à Carbis Bay au Royaume-Uni, le sommet de l’Otan s’est tenu le 14 juin à Bruxelles. Dans leurs allocutions au sommet de l’Alliance atlantique, le Président américain et le secrétaire général de l'Otan, le Norvégien Jens Stoltenberg, ont qualifié la Russie et la Chine, ainsi que leur coopération politique et militaire, de menaces auxquelles il faut faire face, y compris en Afrique.

Dans ce contexte, «la France, aidée par les Américains et d’autres pays européens, a décidé de réorganiser le déploiement de ses soldats dans le cadre de l’opération Barkhane. Ainsi, la France et les États-Unis, qui disposent d’une base militaire dans le nord du Niger, et dans d’autres pays africains, ont les moyens de négocier face à la Chine et éventuellement à la Russie qui pourrait coopérer avec elle pour défendre leurs intérêts en Afrique», affirme l’interlocuteur de Sputnik.

À ce propos, il rappelle la visite du 19 juillet, «soit deux jours après l’enlèvement des travailleurs», «du ministre chinois des Affaires étrangères, Wang Yi à Alger, où il avait affirmé que Pékin soutenait fermement l'Algérie dans la poursuite d'une voie de développement adaptée à ses conditions nationales et dans ses efforts visant à jouer un rôle plus important dans les affaires régionales et internationales».

Dans ce sens, il juge important d’avoir à l’esprit que «l’Algérie, le Maroc, l’Égypte, la Libye, le Mali, le Niger et la Mauritanie ont tous signé des accords avec la Chine portant sur des projets faisant partie de la "route de la soie"».

En conclusion

Enfin, le Dr Daouda Kinda informe que depuis «2012, le Mali est également devenu un partenaire clé de la Chine en termes de vente d’armements et de coopération dans le secteur de la Défense. Au-delà de son aspect purement militaire, l’accord signé entre le Mali et la Chine a une importante signification diplomatique dans le sens où Pékin cherche à s’implanter de plus en plus dans la région du Sahel, profitant du contexte de la révision par la France de son engagement dans le cadre de l’opération Barkhane».

«Le tout, dans un climat où les peuples africains, dont les Maliens, contestent d’une façon de plus en plus affirmée la présence et la politique néocoloniale de la France dans le continent», conclut-il.

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