La Chine est un «ami bienvenu» pour la reconstruction de l’Afghanistan, a affirmé Suhail Shaheen, porte-parole des talibans*, le 9 juillet dans le South China Morning Post. Préparant leur prise de pouvoir, les combattants fondamentalistes tendent ainsi la main aux investissements de l’Empire du Milieu. Pour l’heure, la diplomatie chinoise, pourtant peu encline à donner des leçons de morale, ne semble guère rassurée par l’instabilité de ce turbulent voisin.
Vers un deal Chine-talibans*?
«Certains talibans* sont très favorables aux investissements chinois», confirme Jean-Paul Tchang, cofondateur de la Lettre de Chine. Les insurgés sont d’ailleurs prêts à apporter des gages à Pékin. Leur représentant a même assuré au South China Morning Post qu’ils interdiraient à quiconque d’utiliser l’Afghanistan comme base pour attaquer «quelque pays que ce soit, y compris la Chine.»
«Bien accueillies par la presse chinoise», selon Tchang, ces déclarations sont révélatrices des relations qu’entretiennent depuis longue date, talibans* et Chinois, via le Pakistan. Des liens qui ont permis à la Chine «d’éviter toute attaque terroriste majeure sur ses projets en Afghanistan», rappelle à l’AFP Thierry Kellner, professeur au département de science politique de l’Université libre de Bruxelles. C’est le cas notamment de la mine de cuivre géante d’Aynak, près de Kaboul, sous contrôle chinois depuis 2007.
De même, Pékin a aussi donné des signes d’une volonté d’implication économique plus poussée. Le ministre chinois des Affaires étrangères, Wang Yi, a proposé en juin d’accueillir un dialogue interafghan. Il faut «ramener les talibans* dans le jeu politique normal», a-t-il déclaré lors d’une rencontre avec ses homologues afghan et pakistanais. Une seule condition: «éviter le retour des terroristes» et «intensifier le combat» contre le Mouvement islamiste du Turkestan oriental (Mito)*, organisation séparatiste ouïghoure considérée par l’Onu comme terroriste. Pour notre interlocuteur, il ne faut pas que «le vide créé par le retrait des troupes américaines et l’incertitude qui règne» actuellement profite aux mouvements séparatistes, tels que le Mito*.
Le rapprochement avec les islamistes afghans ressemble donc fort à un marché: la lutte commune contre ces groupes en échange d’investissements chinois. Car la Chine a des intérêts dans la balance. Celle-ci partage avec l’Afghanistan une frontière terrestre, longue de 76 km, culminant à près de 5.000 mètres d’altitude. Une frontière certes discrète, mais qui demeure un point de contact aboutissant au Xinjiang, sa vaste région du nord-ouest à majorité musulmane que Pékin est accusée de maltraiter. Assurant de la «politique d’amitié avec le peuple afghan» menée par la Chine, Wang Yi rappelle ainsi que les deux pays «partagent des montagnes et des rivières.»
Le départ américain inquiète Pékin
Mais la volonté chinoise de s’aventurer en Afghanistan a ses limites. D’une part, les investissements chinois restent faibles dans ce pays peu intégré au sein des nouvelles routes de la Soie: à peine 4,4 millions de dollars en 2020, selon le ministère chinois du Commerce. D’autre part, les talibans* «ne forment pas un ensemble cohérent», rappelle Jean-Paul Tchang.
«Les Chinois savent que parmi les talibans*, il y a aussi des extrémistes religieux. L’évolution incertaine de la situation avec le départ des États-Unis peut fournir l’occasion pour des groupes extrémistes de se servir de l’Afghanistan pour essayer de provoquer des troubles dans la région frontalière du Xinjiang. Les Chinois sont extrêmement prudents.»
«La Chine ne prendra jamais cette direction. Elle évitera de tomber dans ce piège […] S’ils sont prêts à dialoguer, ils n’ont absolument pas l’intention d’être entraînés dans un marécage géopolitique en intervenant dans la politique intérieure de l’Afghanistan. Contrairement aux Américains, ils ne choisiront pas le gouvernement, ils n’organiseront pas la vie politique. C’est impossible que cela arrive.»
Place à la prudence donc. Le 16 juillet, Xi Jinping a confirmé à son homologue afghan, Mohammad Ashraf Ghani, soutenir les pourparlers de paix, espérant que les acteurs de la guerre civile «s’accorderont rapidement sur une solution politique, par la négociation». Un échange qui a précédé une rencontre entre les deux chefs de la diplomatie à Douchanbé, au Tadjikistan, le 14 juillet.
* Organisations terroristes interdites en Russie.