Le logiciel espion Pegasus de la société israélienne NSO Group serait utilisé «pour le compte d’une dizaine de gouvernements», révèle une enquête menée par l’organisation française Forbidden Stories et l’ONG Amnesty International. Elle a été publiée ce dimanche 18 juillet par un consortium de 17 médias internationaux, dont Le Monde. Parmi les bénéficiaires, les auteurs citent notamment le Premier ministre hongrois, Viktor Orban, qui semble-t-il entretient des rapports complexes avec l’un des donateurs de Forbidden Stories.
Dans le cadre de l’enquête sur cette «arme numérique» utilisée contre des opposants politiques, des journalistes ou des fonctionnaires des États voisins dans de nombreux pays, un annuaire contenant 50.000 numéros de téléphones dont certains actifs en France, a été analysé.
Qu’est-ce que le logiciel Pegasus?
C’est en raison des failles de sécurité dans les logiciels d’Apple et de Google que Pegasus peut être installé sur un smartphone à distance. Le propriétaire du téléphone ciblé n’a même pas besoin d’ouvrir tel ou tel lien pour «attraper» ce logiciel malveillant, précise Le Monde.
Le Monde indique qu’au cours d’«analyses techniques extrêmement poussées» sur les téléphones mobiles de cibles potentielles, réalisés grâce aux experts du Security Lab d’Amnesty International, l’authenticité de certaines données a été confirmée: nombre de ces personnes appartenant à la société civile ont en effet été infectées par Pegasus.
Pourquoi s’en servir?
Tandis que le but proclamé du logiciel est de contribuer «à la lutte contre le terrorisme et le crime organisé», la majorité des clients de NSO Group s’en sont servis dans un autre but, indique l’enquête. Selon le quotidien français et ses partenaires, qui ont consulté l’analyse des données en question, pour la plupart des clients de l’entreprise israélienne, «terrorisme et grand banditisme ne constituent qu’une infime partie des utilisations». Il s’agit surtout de l’espionnage des hommes politiques des pays voisins ainsi que de détracteurs dans leur propre pays.
Contacté par les journalistes, NSO Group réfute toutes les accusations de l’enquête, arguant que celle-cine s’appuie «sur aucune base factuelle».
«NSO Group nie fermement les fausses accusations portées dans votre enquête. Ces accusations sont pour beaucoup des théories non corroborées, qui jettent de sérieux doutes sur la crédibilité de vos sources, ainsi que sur le cœur de votre enquête», a répondu l’entreprise, citée par Le Monde, tout en promettant de continuer «d’enquêter sur les accusations crédibles d’utilisation abusive» de son logiciel.
Cibles françaises
Selon l’enquête, plusieurs milliers de numéros téléphoniques français, sont devenus la cible de Pegasus, la majorité pour le compte du Maroc. Sollicité par les enquêteurs, Rabat «rejette catégoriquement les allégations».
Le Monde souligne qu’en France, c’est également la société civile qui se trouve dans le viseur, à savoir des journalistes, des athlètes, des youtubeurs, des prêtres et des imams, des avocats ainsi que «des hommes et des femmes dont le seul tort est d’être proches, par liens d’amitié ou familial, de personnes critiques du gouvernement».
Selon les témoignages recueillis par les journalistes qui ont travaillé sur le Projet Pegasus, les conséquences de la surveillance pour les cibles ont été lourdes menant notamment à «l’autocensure de voix dissidentes, même les plus modérées».
Soros vs Orban?
D’après le Guardian, les téléphones de deux journalistes du partenaire hongrois du projet enquêtant sur Pegasus, le média d'investigation Direkt36, ont été infectés par le logiciel espion israélien. D’après l’analyse de données d’Amnesty International, l’appareil de l’un d’entre eux, Szabolcs Panyi, l’a été en 2019 peu après les demandes de commentaires effectuées par le journaliste auprès du gouvernement hongrois dirigé par Viktor Orban.
Il est d’ailleurs à préciser que l’un des donateurs de Forbidden stories, l’auteur de l’enquête sur le Pegasus, est l’organisation Open Society Foundations, financée par le milliardaire américain George Soros. Les relations entre cet homme d’affaires d’origine hongroise et le Premier ministre hongrois Viktor Orban sont d’ailleurs assez tendues, le bras de fer entre eux quant à la fermeture à Budapest de l’Université d'Europe centrale financée par Soros en étant l’exemple le plus parlant.