Amis de longue date, la France et le Canada pourraient-ils voir leur relation affectée par la politique sanitaire du Premier ministre canadien, Justin Trudeau? C’est du moins ce qu’a laissé envisager Kareen Rispal, ambassadeur de France à Ottawa, la veille du 14 Juillet. La diplomate a rappelé que les relations entre le Canada et son pays avaient «besoin de s’entretenir au quotidien, de se nourrir»:
«Il faudrait que les frontières rouvrent assez rapidement maintenant pour qu’on remette le Canada sur nos plans de voyage et de déplacement. […] On serait très heureux si les Français pouvaient revenir au Canada sans contraintes autres que d’être doublement vaccinés, prendre des tests, etc. On ne demande pas à rentrer n’importe comment au Canada», a déclaré Mme Rispal de l’ambassade française d’Ottawa.
Cette intervention est survenue moins de vingt-quatre heures avant celle de plusieurs acteurs phares de l’industrie du tourisme, en faveur de la réouverture du pays. À l’occasion d’une conférence de presse à l’aéroport de Montréal, le groupe a fustigé la lenteur du gouvernement Trudeau à proposer un plan précis en la matière.
Au Canada, le marché du tourisme gravement affecté
Expert de l’industrie du tourisme à l’université du Québec à Montréal, Michel Archambault pense qu’il est temps d’ouvrir la frontière aux visiteurs qui ont reçu deux doses d’un vaccin contre le Covid-19. La réouverture est d’autant plus souhaitable que le secteur est toujours durement éprouvé par les différentes mesures sanitaires. Dans ce dossier, le professeur estime que la France veut d’abord obtenir «la réciprocité», les Canadiens étant, eux, déjà autorisés à se rendre dans l’Hexagone.
«L’appel de l’ambassade vise à trouver une solution. C’est une stratégie légitime. […] En revanche, si le Canada s’entend avec la France, comment pourrait-il justifier qu’il maintient sa frontière fermée auprès des autres pays européens, et en premier lieu auprès des États-Unis, son premier marché touristique? C’est comme ouvrir une boîte de Pandore», analyse l’expert à notre micro.
«Imaginez si, en pleine campagne électorale, Justin Trudeau était accusé dans les médias ou par des adversaires d’avoir créé une quatrième vague en raison de la réouverture des frontières… Imaginez s’il était obligé de les refermer… On peut penser que ce genre de développement aurait des répercussions assez grandes sur la campagne du Parti libéral. […] C’est une réalité politique dont il faut tenir compte», souligne Michel Archambault.
Lors de la première vague de la pandémie, des politiciens et des chroniqueurs avaient reproché au Premier ministre fédéral d’avoir tergiversé avant de fermer les frontières.
Bloquer les frontières par intérêt politique?
Justin Trudeau a été accusé d’avoir favorisé une progression plus rapide du virus, des attaques émanant, entre autres, du Premier ministre québécois, François Legault. Le chef libéral redoute d’essuyer de nouvelles charges et la crainte de ce scénario l’a incité à annoncer, ce 14 juillet, que la réouverture ne serait pas pour demain:
«On vient juste de permettre aux Canadiens pleinement vaccinés de revenir sans avoir à faire de quarantaine. […] Ce serait un désastre de devoir revenir en arrière parce qu’on a été trop pressé de quelques semaines, alors qu’on n’a pas atteint le niveau de vaccination nécessaire et le niveau de protection nécessaire», a déclaré Trudeau dans la région de la Gaspésie.
Directrice aux affaires corporatives et aux relations avec les médias à l’aéroport de Montréal, Anne-Sophie Hamel évoque une «grande incompréhension» dans l’industrie du tourisme devant la politique de Trudeau.
Aéroport de Montréal: seulement 20% des activités ont repris
«Nous voulons d’abord que le gouvernement nous présente un plan de réouverture pour les ressortissants étrangers doublement vaccinés. Un citoyen canadien qui a reçu deux doses peut aller en France et revenir, mais le contraire n’est pas vrai . […] Les conséquences sont lourdes pour des pans entiers de l’économie. […] S’il n’y a pas de passagers, il n’y a pas de revenus», explique Anne-Sophie Hamel.
Michel Archambault évoque un «désastre total du côté aérien». Mais l’universitaire ne craint pas pour les relations entre la France et le Canada: «Justin Trudeau et Emmanuel Macron finiront par trinquer à la santé de l’un et de l’autre», assure-t-il.