C’est loin d’être la fin des haricots dans le duel qui oppose Paul Biya aux plus irréductibles de la diaspora. Début juillet, des centaines de Camerounais hostiles au pouvoir de Yaoundé, s’identifiant pour certains comme partisans de l'opposant Maurice Kamto, ont manifesté place de la République à Paris. Ils s'indignaient des massacres dans les régions séparatistes du Cameroun, fustigeant aussi la «mal gouvernance» dans leur pays et réclamant pour certains, la libération des «prisonniers politiques» et pour d’autres, le départ de Paul Biya. Entre autres messages lus sur divers supports, «Cameroon Stop Répression» ou encore «l'alternance c'est Kamto».
Des manifestations qui agacent Yaoundé
Cette récente manifestation est l’œuvre de plusieurs organisations de la diaspora hostiles à Paul Biya. Parmi celles-ci, la Brigade anti-sardinards (BAS), un mouvement né au sein de la diaspora camerounaise au lendemain de la présidentielle d’octobre 2018 et qui ne manque pas une occasion de réclamer ouvertement, sur les réseaux sociaux ou sur le terrain, le départ du Président au pouvoir depuis 1982. Les organisateurs annoncent d’ailleurs d’autres rassemblements dans les prochains jours dans d’autres capitales européennes et même aux États-Unis.
En réaction aux crises sociopolitiques dans leur pays, de nombreux militants camerounais installés à l’étranger expriment de façon régulière et bruyante leur mécontentement face à la gestion des affaires internes. Mi-juin dernière, des dizaines d’éléments de la même BAS ont réussi à s’introduire dans les locaux de l’ambassade du Cameroun en Belgique. Ils dénonçaient alors l’arrestation dans leur pays d’origine d’un jeune homme pour avoir proféré des propos jugés désobligeants envers le Président et son gouvernement dans une vidéo devenue virale. Irrité par cet incident, Lejeune Mbella Mbella, ministre des Relations extérieures, a convoqué le 14 juin sur ordre de Paul Biya, Éric Jacquemin, ambassadeur de la Belgique au Cameroun.
«Cette entrevue a été l’occasion pour le ministre d’exprimer la vive préoccupation ainsi que la protestation du gouvernement camerounais, face à la répétition des actes de vandalisme perpétrés par certains groupuscules d’individus, à l’encontre des biens de l’État du Cameroun (Chancelleries, Résidences, etc.) ou de ses officiels, en Europe en général, et en Belgique en particulier », a déploré le ministère camerounais des Affaires étrangères dans un communiqué rendu public.
Que peut Yaoundé face à ces manifestations?
Par cette sortie, Yaoundé entend «voir ses partenaires bilatéraux tenir leurs engagements en termes de respect de l’obligation de protéger les locaux des missions diplomatiques et consulaires étrangères découlant des Conventions de Vienne de 1961 et 1963, respectivement sur les relations diplomatiques et les relations consulaires», développe ce document publié le 14 juin.
Pour la diplomatie camerounaise, il ne s'agit pas d'un cas isolé. Le 26 janvier 2019, quelques dizaines d'individus ont fait irruption à l'ambassade du Cameroun à Paris. Ils ont saccagé les locaux, s'en prenant au passage à des portraits de Paul Biya. Cette action a été menée en réaction à ce qu'ils avaient qualifié de «hold-up électoral» en rapport avec la présidentielle d’octobre 2018.
À travers cette protestation diplomatique qui paraît juridiquement fondée, certains observateurs croient déceler dans la récente sortie de Yaoundé une manière de mettre la pression sur les pays qui hébergent ces Camerounais afin, non pas de veiller à l'intégrité des locaux diplomatiques, mais d’entraver les velléités contestataires qui émanent de ces mobilisations répétitives. Et pour cause, ces différentes manifestations semblent une source sérieuse d'agacement pour le pouvoir. En témoignent les réactions hostiles des partisans du gouvernement camerounais ou même de hauts cadres du parti au pouvoir.
André Luther Meka, communicant du RDPC, le parti au pouvoir, fustige l'attitude des manifestants qui auraient violenté une pro-Biya au cours de la mobilisation du 3 juillet à Paris. Il demande également à la France d'interdire les actions de la diaspora camerounaise.
Pour Aristide Mono, enseignant de Sciences politiques à l'université Yaoundé 2, l’impact «dépend fortement du poids diplomatique du Cameroun qui à son tour dépend du poids du pays dans le concert des nations». Or, «le Cameroun a-t-il la ressource symbolique et matérielle conséquente pour amener ces puissances occidentales à faire ce qu’elles n’aimeraient pas faire?»
À cette question, l’analyste affirme que l'on ne peut que répondre par la négative.
«Le Cameroun ne peut pas compter sur la pression diplomatique pour venir à bout des manifestations de la diaspora parce qu’il ne dispose pas d’assez de ressources de contraintes pour faire fléchir ces pays occidentaux. D'autant plus qu'il s’agit de pays reconnus comme défenseurs des libertés», poursuit le politologue au micro de Sputnik.
«Il faut penser la question de l’insertion de ces Camerounais qui pour la plupart sont soit des exilés socioéconomiques soit des exilés politiques. Il est temps qu’on mette sur pied des politiques de réduction des fuites des capitaux humains en même temps qu’il faut pouvoir favoriser le retour de ceux qui ont préféré quitter leur pays pour fuir la crise sociale et économique sévère», poursuit Aristide Mono.
Dans son adresse à la Nation, le 31 décembre 2019, Paul Biya n’avait pas hésité à marquer son mécontentement devant les manifestations d’activistes camerounais organisées lors de ses récents séjours en Europe, en appelant ses détracteurs à faire preuve de «patriotisme». Un appel réitéré le 10 février dernier à l’occasion d’un discours à la jeunesse dans lequel le Président du Cameroun invitait la diaspora à revenir construire le pays. Des paroles qui n'ont manifestement pas produit l'effet escompté.