Éric Zemmour viré d’Albin Michel: pression idéologique ou mesure de précaution?

© AFP 2024 SAMEER AL-DOUMYEric Zemmour lors de la "Convention de la Droite" à Paris le 28 septembre 2019.
Eric Zemmour lors de la Convention de la Droite à Paris le 28 septembre 2019. - Sputnik Afrique, 1920, 01.07.2021
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L’éditorialiste vedette de CNews ne verra pas son prochain livre publié chez Albin Michel. Les potentielles velléités présidentielles d’Éric Zemmour dérangent le PDG de la maison d’édition parisienne. L’auteur, de son côté, avance des pressions exercées sur son éditeur. Me Régis de Castelnau explique à Sputnik les ressorts de l'affaire.

La décision d’Albin Michel ne sera pas passée inaperçue. Lundi 28 juin, le polémiste phare de Face à l’info, sur CNews, annonçait sur le plateau de l’émission que sa maison d’édition refusait de publier son prochain essai. Un refus confirmé dans un communiqué de presse dès le lendemain par son président, Gilles Haéri.

Une décision connue en réalité d’Éric Zemmour depuis bien une semaine, selon Le Parisien. Motif de la rupture, selon le président d’Albin Michel: le journaliste aurait confié à son éditeur sa volonté de se présenter à la prochaine élection présidentielle. Une information démentie depuis par le principal intéressé, qui a chargé mercredi 30 juin son avocat, maître Arnaud de Senilhes d’assigner la maison «en réparation des préjudices considérables que crée cette résiliation abusive.»

​Interrogé par Sputnik, l’avocat Régis de Castelnau, fin connaisseur des financements de campagnes électorales, ne s’offusque guère de cette décision, qui aurait placé selon lui la maison d’édition dans une position inconfortable, voire risquée.

Une «complicité» risquée

Bien que non officielle, la candidature d’Éric Zemmour est sur toutes les lèvres. À l’appui de cette hypothèse, ses confidences à la chaîne Livre Noir sur sa volonté de «passer à l’action» ou plus récemment sa visite vendredi dernier dans le Nord, qui ressemblait à un premier déplacement de campagne. Dans des cartes postales vidéo, il dresse un parallèle entre le général de Gaulle et lui-même, s’affiche avec des commerçants ou pourfend les projets d’éoliennes en mer. Dans la nuit de dimanche 27 juin, plusieurs villes de France étaient recouvertes d’affiches arborant le portrait du polémiste et le slogan «Zemmour Président».

​Albin Michel, de son côté, pouponne le polémiste depuis des années. Avec Le Suicide Français en 2014, grand succès de librairie écoulé à 500.000 exemplaires, la maison d’édition a publié cinq ouvrages de l’éditorialiste de CNews. À quelques mois des Présidentielles, le groupe prendrait ses précautions, selon Régis de Castelnau.

«Albin Michel a signé un contrat d’essayiste avec Éric Zemmour et se retrouve à dix mois des Présidentielles avec un candidat qui fait campagne. On passe de l’essai au brûlot politique, ce qui donnerait une orientation idéologique claire à la maison d’édition, qui pourrait d’ailleurs se retrouver devant la justice!», analyse à notre micro l’animateur du site Vu du Droit.

Avec une publication d’un auteur aussi attendu, une promotion intensive de l’ouvrage aurait dû suivre, à coups d’affiches publicitaires et de pleines pages de publicité dans la presse. Et ce, en pleine campagne électorale.

Eric Zemmour - Sputnik Afrique, 1920, 17.06.2021
L’électorat potentiel d’Éric Zemmour pour 2022: «ça ne représente pas grand-chose»… pour l’instant
À supposer que Zemmour se lance effectivement dans la course, cela pourrait être considéré, précise Régis de Castelnau, comme de «la propagande électorale» par la loi, comme des dons non déclarés au candidat. Les dépenses de communication engagées pour la promotion de l’ouvrage pourraient en effet être constitutives d’une infraction pénale reconnue par le code électoral, celle du financement de campagne par une personne morale.

Un risque pourtant assez théorique, tant les précédents sont légion dans le milieu de l’édition. En novembre 2016, un certain Emmanuel Macron publiait un livre-programme intitulé Révolution chez Xo Éditions. Et ce, quelques jours après s’être déclaré candidat à l’élection présidentielle de 2017, alors que dès janvier 2016, sa candidature était déjà testée par les instituts de sondage. Au total, 112.000 exemplaires du livre seront vendus. Une «mansuétude sans égale» accordée à Emmanuel Macron, admet Régis de Castelnau, pour qui le monde de l’édition prend, plus généralement, des risques assumés avec ce type de publications dans les neuf mois précédents l’élection. Et ce au mépris de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques.

L’échange qui n’a pas eu lieu?

Des livres électoraux qui, selon l’avocat, devraient être édités à compte d’auteur. De même que les dépenses liées à leur fabrication et leur diffusion, portées aux comptes de campagne «dès lors qu’il peut être démontré que le livre a bien un contenu politique à visée électoraliste», précise-t-il à notre micro. L’avocat en profite pour rappeler ce qu’il en coûte d’être complice de dépassement du plafond des dépenses de campagne, à l’exemple de l’affaire Bygmalion actuellement devant la justice.

Reste que l’ouvrage d’Éric Zemmour est «presque terminé», donc encore inabouti, et son contenu définitif toujours inconnu. Dans la motivation de son communiqué, le président d’Albin Michel avance ouvertement qu’après «un échange très franc», Éric Zemmour aurait confié à la fois «son intention de s’engager dans la Présidentielle et de faire de son prochain livre un élément clé de sa candidature.» Sauf que la conversation franche n’a peut-être jamais eu lieu.

«Éric Zemmour dément formellement avoir dit à Gilles Haéri qu’il était candidat à l’élection présidentielle de 2022», écrit l’éditorialiste de CNews et du Figaro dans un communiqué. Une «conversation inventée», qui «laisse à penser que le patron des éditions Albin Michel a été l’objet de diverses pressions», ajoute-t-il.

Étiquetée à droite, la maison d’édition a-t-elle souhaité rompre avec cette réputation, qu’une candidature du polémiste accusé de flirter avec l’extrême droite n’aurait fait que renforcer? Gilles Haéri est l’ancien compagnon d’Aude Lancelin –ex-dirigeante de Le Média, site Internet classé à la gauche de la gauche– et père d’un de ses enfants. Il est PDG d’Albin Michel depuis le 1er janvier 2019, après avoir succédé à ce poste à Francis Esménard. Impossible de savoir aujourd’hui si sa décision a été motivée par autre chose que la crainte de se retrouver complice du financement de la campagne électorale d’Éric Zemmour.

​On se rappelle néanmoins qu’en 2018 déjà, Albin Michel avait refusé de publier les mémoires de Jean-Marie Le Pen. À cette annonce, plusieurs auteurs de la maison, dont l’impératrice des lettres Amélie Nothomb, avaient réagi en menaçant de changer d’éditeur. Une source proche d’Éric Zemmour citée par Le Parisien confiait qu’Amélie Nothomb et Bernard Werber (également auteur chez Albin Michel) jugeaient les positions d’Éric Zemmour sur CNews «trop clivantes». Contactés par le journal, les intéressés démentent la rumeur, qu’ils jugent «grotesque». En attendant, selon Le Point, le polémiste est toujours en quête d’un autre éditeur au sein du groupe Editis, qui a le même actionnaire principal que la chaîne CNews, Vivendi.

La mauvaise main d’Haéri

Depuis l’annonce de cette rupture, les réactions s’enchaînent. Philippe de Villiers, publié également chez Albin Michel, indigné «qu’un auteur d’une telle qualité soit censuré», a annoncé sur son compte Twitter qu’il quittait la maison d’édition. Un départ qui pourrait coûter cher à l’éditeur de la rue Huyghens, dans le XIVe arrondissement de Paris, le fondateur du Puy du Fou enchaînant les succès en librairie. Le moment est venu de dire ce que j’ai vu (Éd. Albin Michel, 2015) affleurait les 250.000 exemplaires vendus.

​Quelques cadors de la droite sont aussi montés au créneau, à l’exemple de Gilbert Collard ou de Jean Messiha, qui a lancé sur le compte Twitter de son Institut Apollon un appel à «tous les auteurs à quitter le groupe éditorial Albin Michel». Gilles Haéri, écumeur de casinos et notoirement passionné de black jack, vient peut-être d’abattre la mauvaise carte. Le polémiste quant à lui, crédité pour l’instant d’à peine 5,5% d’intentions de vote dans les sondages, s’offre à l’inverse une page de pub inespérée.

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