«C’est la nuit des morts-vivants», ironise d’entrée de jeu Christophe Boutin au micro de Sputnik.
Le second tour des élections régionales, ce dimanche 27 juin, a confirmé la tendance observée lors du premier tour une semaine plus tôt, à savoir une prime à l’implantation locale pour les barons LR et les caciques du Parti socialiste: sur treize présidents sortants en France métropolitaine –dont sept LR et affiliés et cinq PS–, treize ont été réélus.
«L’électorat qui s’est déplacé pour aller voter est plutôt âgé, en recherche de sécurité et de stabilité. La prime au sortant, habituelle dans les élections locales, est donc logique», fait remarquer le politologue Christophe Boutin.
Le traditionnel clivage gauche/droite est-il à nouveau pertinent? «Ce soir, le dégagisme a été dégagé», a plastronné l’ancienne ministre socialiste Najat Vallaud-Belkacem, elle-même défaite en région Auvergne-Rhône-Alpes, sur le plateau de France 2, dimanche soir.
«LR et le PS sont devenus des partis de notables»
Mais de là à dire que cette élection consacre le retour de «l’Ancien Monde», il n’y a qu’un pas que le professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie ne franchit pas. Pour une raison toute simple: l’abstention record (seuls 34,58% des électeurs se sont déplacés) ne permet pas, selon lui, de tirer de grandes leçons de cette élection:
«Ni le PS ni LR n’ont intérêt à faire de triomphalisme excessif. Leur électorat “classique” s’est déplacé, soit. Mais l’électorat RN s’est moins mobilisé, ce qui crée cette impression de retour à la case départ.»
«Les Républicains et le Parti socialiste sont devenus des partis de cadres et de notables avec une implantation locale et territoriale liée à des réseaux d’intérêts», souligne Christophe Boutin.
En d’autres termes, la défaite cuisante de LREM et du RN lors de ces Régionales ne serait pas forcément de mauvais augure pour les deux principaux favoris de l’élection présidentielle de 2022, si l’on en croit le politologue: «Le manque d’implantation locale de leur parti n’a handicapé ni Emmanuel Macron ni Marine Le Pen en 2017. Gardons-nous de penser que les électeurs ont émis un “pré-vote” pour les Présidentielles ou les Législatives!»
Les problèmes de fond de la société française demeurent
Si le terme de «dégagisme» semble donc un peu fort, la mise en garde est tout de même bien réelle pour Marine Le Pen et Emmanuel Macron, qui se sont avérés incapables de mobiliser leur électorat. Un revirement total par rapport aux élections européennes d’il y a seulement deux ans. Le RN arrivait alors premier avec 23,34% des suffrages (23 sièges), talonné de près par la liste LREM de Nathalie Loiseau (22,42%, 23 sièges également). Les Républicains n’obtenaient que huit sièges au Parlement européen, contre cinq pour le Parti socialiste.
«C’est vrai qu’une partie de l’électorat LREM a été déçue, en particulier celui de gauche, qui s’est replié sur une gauche plus radicale que le PS après 2017. En 2019, lors des élections européennes, ce vide de la gauche avait été compensé par des électeurs de droite ayant soutenu LREM. Les uns comme les autres sont revenus au bercail», décrypte Christophe Boutin.
Pour autant, si l’on en croit le professeur de droit public, l’opposition entre «mondialistes» et «souverainistes» ou, pour reprendre la terminologie du politologue Jérôme Sainte-Marie, entre «bloc populiste» et «bloc élitaire», est loin d’être caduque.
«Je ne pense pas qu’on en revienne à la “vieille droite” et à la “vieille gauche”. La page n’est pas tournée, car les problèmes de fond de la société française, qui ont conduit au dégagisme en 2017, restent parfaitement présents», tranche Christophe Boutin.