Alors que le premier tour des élections régionales de 2021 en France a été marqué par une abstention record, avec un taux de participation de 33,28% selon les données de l’Intérieur, Franceinfo a interrogé des sociologues et des spécialistes des médias pour comprendre si la manière de traiter le scrutin avait influencé celui-ci.
Après que le journaliste de France 2 Laurent Delahousse a critiqué le 20 juin le traitement médiatique de la politique, lequel ne s’oriente plus vers les «sujets essentiels», la question a été largement soulevée.
Une responsabilité «collective»
Ainsi, David Medioni, journaliste et directeur de l’Observatoire des médias à la Fondation Jean-Jaurès, a déclaré auprès de Franceinfo qu’«il y a une part de responsabilité collective et tripartite, entre les politiques, les médias et les citoyens».
«Les médias se sont gargarisés des sondages, en expliquant que le Rassemblement national (RN) allait rafler deux ou trois régions, en parlant d’un duel entre le RN et La République en marche (LREM). La nationalisation de la campagne n’a pas réellement aidé les citoyens à se motiver à aller voter», a-t-il expliqué.
De même, Erik Neveu, sociologue des médias et professeur à l’IEP de Rennes, a noté auprès de la chaîne que les «émissions politiques où l’on peut débattre avec du sérieux et des arguments ont virtuellement disparu».
En parlant des médias, les spécialistes sollicités par Franceinfo mentionnent souvent la télévision et la radio, dont l’invité politique est central dans la construction des émissions, plutôt que la presse écrite et notamment la presse quotidienne régionale.
À son tour, Patrick Eveno, sociologue des médias et vice-président du Conseil de déontologie journalistique et de médiation, a indiqué à Franceinfo qu’«il est toujours facile de faire porter aux médias cette responsabilité, mais les médias ne font pas l’élection et ne décident pas du comportement électoral des électeurs».
Un manque «d'exigences»
Alors que les élections régionales ont été marquées par deux thèmes: la sécurité, qui n’est pas dans les compétences des régions, et la future élection présidentielle, Jean-Marie Charon, sociologue spécialisé dans le journalisme et l'information, a noté auprès de Franceinfo que les médias «ont sans doute insuffisamment pris le contre-pied de cette "nationalisation de l’enjeu"».
«Le rôle de contre-pouvoir des médias aurait dû les pousser à davantage d'exigences et d'interrogations des politiques sur les vraies prérogatives», a-t-il souligné.
Une réflexion nécessaire
Ces spécialistes ont également noté la nécessité de «mener une réflexion autour de la manière de traiter le fait politique».
«Il est urgent de reprendre le sujet à partir des enjeux à traiter, du fond des réponses avancées par les uns et les autres, et de cesser la polarisation sur les questions essentiellement tactiques», estime Jean-Marie Charon en ajoutant que les stratégies politiques «n'intéressent plus la majorité des Français, voire les dégoûtent du champ politique et des échéances électorales».
Manque d'intérêt et défiance
En analysant cette faible participation au scrutin, un sondage Odoxa-Backbone consulting réalisé pour Le Figaro et Franceinfo et publié le 24 juin, montre que 50% des abstentionnistes interrogés expliquent leur «non-vote» par un manque d'intérêt ou une défiance envers la politique. Parmi eux, 17% estiment que voter aux régionales «ne servait à rien» et 13% pensent que «l’offre politique proposée dans leur région ne leur convenait pas».
De plus, 16% des sondés expliquent leur attitude «par un défaut d’information sur ce scrutin». Dans le détail, 5% affirment qu'ils ne «savaient pas que le premier tour des élections avait lieu ce jour-là ou l’ont réalisé trop tard».
Les Français se méfient des médias
Dans la foulée, une étude de l'IFOP pour l'application d'intelligence artificielle Flint, publiée le 17 juin et relayée par Franceinfo, montre que 55% des sondés éprouvent de la «méfiance» envers les médias. Plus de 90% d'entre eux estiment également que le débat public, dont les médias se font l’écho, est «trop brutal, trop polarisé et manque d'apaisement».