Les Démocrates clamaient vouloir rompre avec l’ère Trump, mais la crise migratoire les a rattrapés.
Depuis quelques semaines, le nombre de migrants parvenant à la frontière américaine explose. Le Service américain des douanes et de la protection des frontières a annoncé avoir stoppé 180.000 personnes le long du tracé durant le seul mois de mai, soit une augmentation de 78% par rapport à février. Il s’agit du nombre mensuel le plus élevé depuis 21 ans.
Ironie de l’histoire: la nouvelle Administration semble en être la cause. Rappelons que le premier jour de son mandat, Joe Biden s’était empressé de signer un décret ordonnant la suspension de la construction du mur frontalier avec le Mexique. Par la même occasion, le Président Démocrate avait divulgué son intention de régulariser la situation des «dreamers», ces 700.000 personnes arrivées clandestinement aux États-Unis quand elles étaient mineures. Des dizaines de milliers de migrants y vont vu le signal de la réouverture de la frontière.
Arrestations de migrants à la frontière USA-Mexique: + 78%
Paradoxe ultime: les autorités abusent de l’une des mesures de Donald Trump, qu’ils n’ont pas remise en cause. Parmi les migrants arrêtés, quelque 112.000 ont immédiatement été renvoyés en vertu du «Titre 42». Prise par la précédente Administration dans le contexte de la crise sanitaire, cette mesure exceptionnelle permet aux autorités de refuser l’entrée aux gens voyageant pour des raisons jugées «non essentielles».Une politique qui irrite l’aile gauche progressiste du parti. Professeur à l’Université Del Valle dans la ville de Guatemala, dans le pays homonyme, Aracely Martínez estime que les Démocrates et autres gouvernements utilisent la crise sanitaire «comme prétexte au renvoi des migrants dans des conditions inacceptables sur le plan des droits humains.»
Crise sanitaire, bonne excuse pour bloquer les migrants?
Spécialiste des migrations en Amérique latine et directrice du programme de la maîtrise en développement socioéconomique de la même université, Mme Martínez dénonce une «hypocrisie» et des «doubles intentions» du côté des Démocrates.
«Trump fut l’expression la plus forte de la politique anti-immigration des États-Unis, mais rien n’a jamais vraiment changé avec les Démocrates. Que le gouvernement américain soit Républicain ou Démocrate, c’est toujours la même logique de fermeture. […] Le discours peut se faire plus ou moins humanitaire, mais la répression des mouvements de migrants irréguliers se poursuit. C’est la même viande avec une autre sauce», analyse le professeur guatémaltèque.
Début juin, la vice-présidente américaine, Kamala Harris, a entrepris un important voyage au Mexique et au Guatemala afin de faire le point sur la situation des migrations irrégulières.
Para el pueblo de Guatemala, la visita de la @VP @KamalaHarris representa la oportunidad de abordar la agenda conjunta para trabajar en las líneas de acción que nos permitan alcanzar soluciones sostenibles para el desarrollo integral de Guatemala. #VPHarrisGuatemala 🇬🇹🤝🇺🇸 pic.twitter.com/Kgrj0UV2E5
— Alejandro Giammattei (@DrGiammattei) June 7, 2021
Dans le cadre d’une rencontre avec le président guatémaltèque, Alejandro Giammattei, dans la ville de Guatemala, la vice-Présidente a tenté de dissuader les citoyens de ce dernier pays tentés par l’immigration clandestine:
«Je tiens à souligner que le but de notre travail est d’aider les Guatémaltèques à retrouver l’espoir chez eux. En même temps, je veux être claire avec les habitants de cette région. Si vous prévoyez de faire ce voyage dangereux à la frontière du Mexique et des États-Unis: ne venez pas, ne venez pas», a martelé Kamala Harris.
À la fin du mois d’avril, la vice-Présidente américaine avait déjà annoncé le lancement d’un nouveau programme d’aide aux pays centroaméricains, à partir desquels partent les migrants. Le plan totalisant 310 millions de dollars US, notre interlocutrice estime toutefois que ses potentielles retombées sont encore très abstraites:
«Il est bien que les États-Unis reconnaissent qu’ils ont une responsabilité dans cette crise migratoire. Mais je suis très sceptique par rapport à ce programme d’aide. La question est: comment le programme sera-t-il implanté? Qui va recevoir et administrer les sommes? Qui supervisera l’ensemble du programme? […] Le Guatemala est l’un pays composé d’une multitude de groupes ethnoculturels. Il n’y a pas une seule et grande solution uniforme aux multiples problèmes à l’origine de la migration», constate Aracely Martínez.
Le 16 juin dernier, la presse américaine a appris que le FBI et les Services de protection de l’enfance du Tennessee enquêtaient sur des cas d’abus commis sur des enfants migrants dans l’une des structures d’hébergement. L’Administration Biden a effectivement autorisé que soient transportés des milliers d’enfants migrants vers des centres d’accueil éloignés de la frontière, parmi lesquels celui de la ville de Chattanooga, au Tennessee.
Migrants mineurs, des «expulsions sommaires»
Si des dizaines d’enfants mineurs sont détenus dans des centres supervisés, Amnesty International s’inquiète aussi, voire surtout de l’expulsion systématique des mineurs:
«Le gouvernement Biden expulse de manière sommaire quasiment tous les mineurs mexicains non accompagnés quelques heures à peine après que ceux-ci ont demandé la protection des États-Unis, dans de nombreux cas sans avoir pris en considération les dangers auxquels ces jeunes pourraient se trouver confrontés à leur retour», a dénoncé le 11 juin dernier Erika Guevara Rosas, directrice Amériques d’Amnesty International.
Aracely Martínez n’est pas du tout surprise par ces révélations sur la condition de nombreux enfants migrants. Dans ce contexte, «les Démocrates n’ont que l’image», laisse-t-elle tomber. Selon le professeur de l’Université Del Valle, «les migrants vont continuer à migrer tant et aussi longtemps que les problèmes structurels et d’ordre régional ne seront pas réglés» dans les zones les plus marquées par l’exil.
«Plus la sécurité est renforcée autour des frontières, et plus les passeurs et mafias font courir des risques importants aux migrants lors du trajet. […] Le Mexique et le Guatemala repoussent des migrants à leur propre frontière. Pour régler le problème, il ne suffit pas de le repousser plus au sud», conclut Aracely Martínez.