Le Hezbollah serait-il au-dessus de la mêlée? En pleine crise politique et économique, les dirigeants libanais peinent toujours à se mettre d’accord sur la formation d’un gouvernement.
«Je veux que Hassan Nasrallah soit l’arbitre [du conflit gouvernemental, ndlr] parce que j’ai confiance en lui. Je lui confie la question des droits des chrétiens, un slogan si cher aux aounistes. Je suis convaincu que vous vous attachez à ce qui est juste», a affirmé Gebran Bassil, chef du Courant patriotique libre (CPL), premier parti chrétien du pays.
Et d’ajouter: «Sans vouloir vous faire assumer un fardeau quelconque, j’accepte ce que vous acceptez pour vous-mêmes.» Par cette déclaration pour le moins partisane, l’homme politique a réaffirmé l’importance d’une alliance avec le parti chiite pour tenter d’arriver à une solution politique.
Mais pour l’analyste politique et journaliste franco-libanaise Maya Khadra, cette prise de position est «indécente pour les Libanais».
«À chaque fois qu’il est en difficulté, Gebran Bassil sort son arsenal linguistique sur la sauvegarde des chrétiens. C’est écœurant alors que le pays est au bord du précipice économique. C’est littéralement honteux, il va bientôt y avoir la fin des subventions sur les produits alimentaires», fustige-t-elle au micro de Sputnik.
Michel Aoun et Hassan Nasrallah alliés depuis 2006
Un appui qui ne date pas d’hier: «L’entente de Mar Mikhaël entre les deux partis remonte à 2006», explique Maya Khadra. Un pacte qui a été signé entre Michel Aoun et Hassan Nasrallah lui-même dans l’église de Mar Mikhaël à Beyrouth. Il devait entériner la période de la guerre civile et promouvoir une réconciliation nationale entre les différentes communautés libanaises. Grâce à cette alliance, «le parti chrétien a pu constituer un grand bloc parlementaire», tient à rappeler la journaliste.
Gebran Bassil «ne cache pas ses ambitions présidentielles et compte sur cette alliance». Mais le Hezbollah semble tiraillé, il est allié du président du Parlement Nabih Berri qui, lui, est favorable à Saad Hariri, principal adversaire politique du parti chrétien. À en croire les propos de notre intervenante qui ne cache pas son parti pris sur le sujet, cette obsession politique n’a mené à «aucun résultat tangible».
«Gebran Bassil était ministre de l’Énergie et avait promis de l’électricité 24h/24: aujourd’hui l’électricité est rationnée. 50% de la dette provient du secteur de l’énergie. Il compte sur son alliance avec le Hezbollah pour protéger ses magouilles. Cette alliance n’a rien apporté de concret au Liban. Les deux partis redoutent profondément des élections anticipées», avance Maya Khadra.
«Ils savent pertinemment qu’ils ont perdu en popularité», juge la journaliste. Les deux partis ont été au cœur des critiques pendant le soulèvement populaire d’octobre 2019, «c’est surtout Gebran Bassil qui était visé», ajoute-t-elle.
Le Hezbollah aurait pourtant tout intérêt à conserver son alliance avec le parti chrétien.
«Un axe chiite qui va de l’Iran au Liban»
«Cette alliance est une ombrelle de légitimité pour le parti chiite qui lui permet de se faire passer pour ce qu’il n’est pas», poursuit Maya Khadra. Farouchement opposée au Hezbollah, elle critique «cet axe de la résistance qui prétend regrouper les minorités face à la majorité sunnite». De surcroît, le Hezbollah profiterait de son entente avec le Courant patriotique libre pour avoir un soutien de poids pour le maintien de son arsenal militaire au Liban. Depuis la fin de la guerre civile en 1990, toutes les milices ont rendu leurs armes à l’exception du parti de Dieu qui justifiait son armement pour s’opposer aux menaces israéliennes. Ainsi, cet accord entre les deux partis serait perçu comme «un troc: on ne dit rien sur vos armes et vous nous apportez un soutien politique», résume l’analyste.
L’opposition politique libanaise se réfère à la résolution 1559 de l’Onu pour exiger le désarmement du parti chiite. À ce titre, Gebran Bassil a évoqué le 7 juin la possibilité que le Hezbollah conserve ses armes «si (elles) s’inscrivent dans le cadre de la stratégie de l’État». Pour la journaliste, le Hezbollah ne représente pas le peuple libanais puisqu’il «obéit à Téhéran».
«Ses armes sont là pour le défendre et pour empêcher quiconque osera s’opposer à lui. Il se sert de cette alliance avec certains chrétiens pour étendre son influence et réaliser cet axe chiite qui va de l’Iran au Liban en passant par l’Irak et la Syrie», tranche Maya Khadra.
Quoi qu’il en soit, cette alliance hétérogène entre les partis chiite et chrétien est loin de faire consensus.