L’annonce était attendue, mais elle n’en est pas moins brutale pour les principaux concernés. «Le temps est venu d'amorcer une transformation profonde de notre présence militaire au Sahel. Cette évolution impliquera la fin de l'opération Barkhane en tant qu'opération extérieure», a déclaré, le 10 juin Emmanuel Macron lors d’une conférence de presse à l’Élysée. Celle-ci était consacrée aux sujets internationaux dans la perspective du G7 et du sommet de l'Otan qui viennent d’avoir lieu respectivement au Royaume-Uni et à Bruxelles. Un calendrier loin d’être anodin puisque le Président français a profité de ces deux événements pour mettre la pression sur ses partenaires transatlantiques afin qu’ils soutiennent des initiatives multilatérales.
Le chef d’État français voudrait remplacer Barkhane par une «opération d’appui, de soutien et de coopération aux armées des pays de la région du Sahel qui le souhaitent». Laquelle s’inscrira dans une alliance internationale de lutte contre le terrorisme dans la bande sahélo-saharienne.
En actant la fin prochaine de Barkhane, Paris tente d’éviter l’enlisement et de sortir de l’impasse militaire dans laquelle son armée est engouffrée depuis des années au Sahel. Une sortie de secours que le pouvoir français cherche depuis près de quatre ans pour réajuster cette guerre coûteuse, épuisante et sans fin contre les groupes djihadistes sahéliens. « Force est de constater qu'il y a un phénomène d'usure et un sentiment généralisé qu’on perd le fil de ce pourquoi nous sommes là», a reconnu Emmanuel Macron lui-même lors de sa conférence de jeudi dernier.
Facteurs aggravants
Lancée officiellement le 1er août 2014, l'opération Barkhane concentre aujourd'hui quelque 5.100 soldats français dans la région du Sahel, principalement au Mali. Ces derniers ont déjà déploré 51 décès dans leurs rangs alors qu’un milliard d'euros était engagé, chaque année, dans leurs opérations. Ce qui pèse lourd dans l'opinion publique française: selon un sondage Ifop, 51% des Français se disaient défavorables à l’opération Barkhane, début 2021.
Contestation également du côté sahélien, où l’intervention militaire française est perçue par une grande frange de la population comme une forme d’occupation plutôt que de libération. Et pour quel résultat? Les djihadistes continuent à prospérer dans la région et les attaques terroristes sont toujours nombreuses.
L’issue de secours de «ce piège sahélien», comme l’appellent certains observateurs, la France l’aurait finalement trouvée dans la foulée du «coup d'État dans le coup d'État» qui a secoué Bamako, lundi 24 mai dernier et qui a réinstallé au pouvoir le colonel putschiste Assimi Goïta. Est-ce ce coup de force du nouveau chef de l’État malien qui a donné le coup de grâce à l’opération Barkhane? Emmanuel Macron a nié jeudi que sa décision était fondée sur les récents développements politique au Mali.
«D’abord, il y a le manque d’engagement sérieux des pays africains, premiers concernés dans cette lutte contre les groupes djihadistes, je pense au Mali en particulier. Le Président Macron a explicitement déclaré que lorsque les Forces françaises contrent les djihadistes dans une zone, qu’ils la sécurisent, l’État malien ne réinvestit pas dans cette même zone après. C’est comme si les efforts consentis n’avaient été qu’un coup d’épée dans l’eau. Ensuite, il y a l’usure naturelle que présente une opération extérieure pour la population en France et au Sahel. Au bout de huit ans de guerre, le soutien s’effrite envers Barkhane. Le Président en est bien conscient et a agi en conséquence, obligeant les pays sahéliens à prendre encore plus leurs responsabilités. La balle est dans leur camp», analyse le général Trinquand.
La France déplore aussi des dissensions avec les autorités maliennes quant à la stratégie à adopter face aux djihadistes, alors que le nouveau pouvoir de Bamako ne s'oppose plus à négocier avec les groupes terroristes. D’ailleurs, le Président français avait lié la reprise des opérations conjointes, qu’il a suspendues d’une manière «temporaire et conservatoire» le 3 juin dernier, à «l’engagement clair des autorités de transition à ne pas dialoguer avec les djihadistes». Un signal fort qui indiquait déjà cette volonté de l’Élysée de changer de paradigme.
Autre facteur décisif: la mort du Président tchadien Idriss Déby, qui était à la tête de l'un des rares pays doté d'une armée robuste au Sahel. La France a ainsi perdu un acteur majeur sur l'échiquier sécuritaire dans la région.
Un lourd fardeau
L’arrêt de Barkhane ne signifie cependant pas un départ définitif et complet de la France du Sahel. La présence militaire française sera simplement remplacée par une «alliance internationale» de forces spéciales appelée Takuba, «associant les États de la région et tous nos partenaires, [et qui sera] strictement concentrée sur la lutte contre le terrorisme», précise Emmanuel Macron. Ce dernier n'a cependant pas fourni de détails sur l'évolution de cette nouvelle mission, expliquant qu'il communiquerait de nouveau à ce sujet à la fin de ce mois de juin.
«La France insiste beaucoup pour qu’il y ait des pays européens qui viennent combattre le djihadisme au Sahel. Paris souhaite également engager les États-Unis qui sont un soutien dans le domaine du renseignement et de la logistique très important pour l’armée française. C’est autour de cet axe-là qu’une coalition beaucoup plus internationale que ne l’était Barkhane doit se former graduellement», poursuit-il.
Cette transformation s'organisera autour de deux axes, selon le général Trinquand. Un premier pilier poursuivra la coopération avec les partenaires locaux. La mission de formation de l'Union européenne (EUTM) en sera le pivot central. L'autre pilier se concentrera sur la lutte antiterroriste. Elle sera structurée autour de la force Takuba qui aura pour mission de former et d'accompagner au combat les armées locales. Ce groupement de forces spéciales européennes, initié par la France en mars 2020, rassemble l'Estonie, la République tchèque et la Suède. D'autres pays comme l'Italie ou la Serbie, ou encore le Danemark, avaient manifesté leur intérêt envers ce dispositif.
Et maintenant?
En somme, la France entend renoncer à ces tentatives de sécurisation de vastes zones sahélienne sur lesquelles les États de la région ne parviennent pas à garder pied. La lutte sera plutôt ciblée contre les djihadistes en internationalisant l’effort d'accompagnement au combat des forces locales à travers Takuba.
«Globalement, il va y avoir un retrait d’un certain nombre de composantes comme les éléments lourds qui faisaient du ratissage de zone. Ces derniers vont disparaître avec une diminution progressive des effectifs français. On parle aujourd’hui d’une diminution à l’horizon 2023 de près de 50% (environ 2.500 hommes) et de la fermeture des bases militaires début 2022. Les éléments de renseignement et d’intervention comme tout ce qui est hélicoptères, avions, Forces spéciales, vont probablement rester sous une forme différente. À terme, la présence française devrait encore se compter par plusieurs centaines» d’hommes, révèle Dominique Trinquand.
Le nouveau modèle envisagé pour remplacer l'opération Barkhane est essentiellement axé sur «un dispositif de renseignement pour arriver à identifier où sont les djihadistes et de capacité de frappes contre ces djihadistes. Cela concernera essentiellement des drones, des avions, des hélicoptères et une capacité d’agir très rapide et très forte contre les djihadistes qui seront identifiés. Donc ce n’est plus du tout un dispositif de ratissage de zones», conclut l’expert militaire.
En annonçant la fin de l’opération Barkhane, le Président de la République a réaffirmé avec force notre objectif au Sahel : lutter contre le terrorisme, aux côtés des Sahéliens, avec les Européens et les Américains. Pour notre sécurité à tous, nous resterons engagés au Sahel.
— Florence Parly (@florence_parly) June 11, 2021
Paris veut croire qu'il parviendra à réunir un nombre croissant de candidats pour ce nouveau dispositif. Mais rien ne semble acquis pour l’instant. Aucun pays, même ceux de l'Union européenne, n'a réagi à l’annonce de la fin de l’opération Barkhane. Difficile de persuader les Européens de s'aventurer dans les sables sahéliens. L'expérience de la France, presque enlisée dans une guerre sans fin, incite à la prudence. Sans compter que dans nombre d'États voisins, l'engagement de forces à l'étranger nécessite le feu vert du Parlement.