Assis devant son atelier de couture à Port-Bouët centre, Jean Noël Séka est désespéré. Il est dans l’impossibilité d’honorer ses rendez-vous avec ses nombreux clients à la veille de la fête des mères à cause des coupures répétées d’électricité qui l’empêchent de travailler normalement avec ses machines électriques.
«Je ne sais pas comment m’y prendre et pourtant, mes clientes ont déjà payé le prix de la couture. Depuis que le problème est arrivé, je ne peux plus travailler. Je suis sans ressources financières non seulement pour mon fonctionnement et les charges de ma famille. Je vais perdre au moins 50.000 francs CFA pour rien», se plaint cet opérateur économique qui emploie cinq personnes.
Tout comme ce couturier, le jeune Yao Kouamé, propriétaire d’un salon de coiffure, a stoppé ses activités avec ses tondeuses électriques.
Recours aux méthodes traditionnelles
Il emploie désormais une méthode plus traditionnelle: une lame, un peigne et des ciseaux pour coiffer ses clients qui le veulent bien. «C’est la galère pour l’heure», confie-t-il. Une situation qui lui porte préjudice car plusieurs personnes n’apprécient plus l’utilisation des objets tranchants pour le rasage de leurs cheveux. Dans ce périmètre sont alignés au moins cinq ateliers de coiffures. Les jeunes gens qui y travaillent se demandent quand les coupures d’électricité qui perturbent leur quotidien prendront fin.
«Lorsque le courant fait défaut, nous travaillons manuellement et nous avons peu de clients dans les salons de coiffure. C’est un grand manque à gagner. On a du mal à payer le loyer du local… nous sommes locataires ici», dépeint Yaya Ouattara.
Traoré Adama, ferronnier, est installé à quelques mètres de là, dans le quartier de Petit Bassam. Il vit essentiellement de la fabrique de portes et fenêtres métalliques. Entouré de ses cinq apprentis, ils discutent. La cinquantaine révolue, ce père de famille s’est résigné et s’en est remis à la volonté de Dieu. «Il n’y a pas d’électricité souvent les matins et les soirs. Que puis-je faire si ce n’est de ranger mes outils à l’atelier et causer avec les apprentis?», s’interroge le cinquantenaire.
À moins de deux kilomètres de cet endroit, dans le quartier de Vridi, toujours dans la commune portuaire, Mme Eugénie Diomandé tient une chambre froide qui tourne presque au ralenti. Cette femme, qui commercialise de la volaille et du poisson congelés, révèle que du jeudi 28 au samedi 30 mai 2021, soit trois jours consécutifs, l’électricité a été interrompue dans ce quartier de Port-Bouët. Deux jours après cet incident, une situation pareille s’est produite mettant à mal ses activités.
«Beaucoup de mes aliments se sont décomposés. J’ai perdu beaucoup d’argent dans cette situation, car j’étais obligé de faire fumer certains des produits pour pouvoir les consommer moi-même. Depuis ces interruptions, j’ai décidé de freiner mes activités en attendant la fin de la période de rationnement», explique-t-elle.
En face de son entrepôt sont assises tristement ses cinq employées. Désormais, elles sont confrontées à un problème d’emploi. «Si cela continue, qui va acheter de la viande ou du poisson qui sortent d’un frigo dont le fonctionnement n’est pas garanti? J’ai libéré tout le personnel en attendant le retour à la normale de l’électricité», poursuit la gérante.
Le problème semble plus sérieux dans les cybers qui doivent faire face non seulement aux coupures d’électricité, mais aussi aux caprices des connexions Internet.
«Depuis le début des problèmes d’électricité, j’ai décidé de fermer mes deux cybers à Vridi. Lorsque j’ouvre mon local, s’il n’y a pas de coupure d’électricité, c’est plutôt des problèmes de connexion. Et pourtant, ce sont les vacances. C’est en cette période que nous réalisons le plus de recettes», se lamente Hervé Adou, un opérateur économique.
Assis dans une buvette en compagnie Koné Hugues, qui exerce le métier de la maçonnerie, les deux hommes digèrent mal la situation.
Maçons et travailleurs du bâtiment au chômage
M. Koné qui travaille à Ayaou, près de Bonoua, sur un chantier de construction est au chômage à cause de l’arrêt du projet. La charpente qui devrait être montée depuis le début du mois de mai 2021 n’a pas été effective à cause de la hausse des coûts. En plus de lui, dix autres personnes qui travaillent sur le même site sont obligées de suspendre les travaux et rester à la maison. «Avec la hausse du prix de ciment, nos projets sont au ralenti pour ne pas dire à l’arrêt. C’est la désolation générale. En plus, les charges fixes n’ont pas varié», déplore le chef de chantier de ce projet immobilier, N’Guessan Gérard.
Il affirme avoir mis plusieurs de ses travailleurs au repos, en attendant la fin de cette situation et le retour des prix du ciment à la normale. Comme lui, Zézé Martin, un ancien fonctionnaire qui réalise actuellement sa maison de retraite dans la même zone, est désemparé. Son projet, qui avait bien démarré, est à l’arrêt et les personnes qui y gagnaient leur vie sont dans l’obligation d’observer une période de chômage.
«J’ai pris un prêt pour achever la réalisation de ce projet. Avec la hausse du ciment, les maçons sont venus me dire qu’il y a des surcoûts auxquels je dois faire face. J’ai donc décidé qu’on arrêtait tout pour le moment», déplore M. Zézé.
Le relèvement du prix du ciment impacte fortement les particuliers et les entreprises engagées dans des projets de construction car cette situation vient créer un dépassement de leurs devis prévisionnels et des délais de livraison. Selon une source au sein d’une cimenterie située à la zone industrielle de Yopougon, cette situation crée la surenchère du produit, car ce sont les plus offrants qui sont approvisionnés, malgré les prix de plafonnement du gouvernement. Elle précise que la fourniture de l’électricité dans les cimenteries est de 50 heures, soit deux jours et demi de travail sur les sept jours de la semaine.
Le marché ivoirien, de ce fait, connaît un approvisionnement insuffisant en dépit de l’existence de plusieurs usines de ciment. Sur place, devant les cimenteries de la zone industrielle de Yopougon en passant par la zone portuaire, de nombreux camions forment une file indienne dans l’attente d’un chargement pour approvisionner leur clientèle.
Une reprise progressive
Le président de la Confédération des petites et moyennes entreprises (PME) du bâtiment et des travaux publics de Côte d’Ivoire, Soro Doté, a confié que la hausse du ciment a un impact réel sur tous les projets en cours depuis avril 2021. À l’en croire, plusieurs programmes sont à l’arrêt et près des 80% des emplois sont menacés. Ainsi, on ne compte plus le nombre d’administrations et d’entreprises ayant été contraintes à tourner au ralenti ou à mettre purement et simplement la clé sous le paillasson.
Lors du Conseil des ministre du mercredi 10 juin 2021, le gouvernement a promis qu’avec le retour du terminal à vapeur (TAV) de la centrale d’Azito prévu à la fin du mois de juin 2021, le niveau de déficit de l’électricité pourrait se réduire de façon progressive jusqu’en juillet. Et à partir du début du mois de juillet, la fourniture d’électricité serait continue pour les ménages. Quant aux industriels, ils pourraient bénéficier d’une fourniture continue d’électricité à partir de mi-juillet 2021.