Décidément, Erdogan est partout. Après le timide réchauffement des relations avec la France la semaine dernière, la reprise des contacts avec l’Arabie saoudite et l’Égypte au mois de mai, voilà qu’Ankara avance ses pions en Afghanistan. Recep Tayyip Erdogan a déclaré dimanche 13 juin que la Turquie serait «le seul pays fiable» à conserver une présence militaire en Afghanistan après le retrait des Américains et de l’Otan.
En avril dernier, Joe Biden,, avait annoncé le départ des troupes américaines d’Afghanistan pour le 11 septembre prochain. «Il est temps de mettre fin à la plus longue guerre américaine», avait-il déclaré. Après un échange avec le locataire de la Maison Blanche lors du sommet de l’Alliance atlantique Nord à Bruxelles le 14 juin, le Président turc a affirmé «s’ils ne veulent pas que nous nous retirions d’Afghanistan, le soutien diplomatique, logistique et financier américain est important».
Les #EtatsUnis sont dans la phase finale de leur retrait d' #Afghanistan, tout comme les troupes de l' #Otan, d'ici le 11 septembrehttps://t.co/NZQS13SkAK
— ArabNewsFR (@ArabNewsfr) June 14, 2021
Avec l’appui financier de Washington, la Turquie se positionne ainsi comme un acteur incontournable de l’après-présence américaine et dispose maintenant du plus grand contingent militaire étranger sur place avec pas moins de 500 hommes. Pour Umar Karim, chercheur à l’université de Birmingham, Ankara jouera un rôle central en Afghanistan:
«La Turquie s’est maintenue militairement dans le cadre de la présence otanienne dans le pays. Toutefois, les troupes turques ne participeront pas aux opérations de combat et leur rôle se limitera à assurer la sécurité de l’aéroport de Kaboul. La Turquie sera d’une certaine manière responsable de la sécurité de tous les diplomates présents sur place», explique-t-il au micro de Sputnik.
Ce n’est pas la première fois qu’Ankara s’intéresse au dossier afghan. Par le passé, la Turquie avait voulu se poser en médiateur entre les différents belligérants. En avril dernier, les dirigeants turcs –avec le Qatar et l’ONU– avaient rappelé leurs engagements dans le processus de paix. Doha va d’ailleurs devenir une base d’entraînement pour les forces afghanes. L’Otan s’est en effet approchée du petit émirat pour rechercher une base militaire et l’entraînement sera assuré en partie par les forces turques. Évidemment, ce rôle actif de la Turquie ne sera pas sans arrière-pensée politique.
Washington et Ankara: je t’aime moi non plus?
Et pour cause, Erdogan chercherait à obtenir les bonnes grâces de Washington. Depuis l’arrivée au pouvoir de Joe Biden, les rapports entre les deux pays se sont tendus, plusieurs dossiers étant venus entraver les relations bilatérales. Dès sa prise de fonction, le Président américain s’est entouré de conseillers partisans de la défense des minorités kurdes en Orient. Ce qui n’a pas manqué de déplaire à son homologue turc. Le paroxysme de ce refroidissement entre les deux pays est intervenu le 24 avril dernier, lorsque Washington a décidé de reconnaître le génocide arménien.
Ce qui n’étonne guère «quand on sait que les États-Unis ne disposent pas de beaucoup d’options sur le dossier afghan», estime Umar Karim.
«La Turquie voit définitivement l’Afghanistan comme un lieu de coopération avec les États-Unis. Ankara tentera de faire comprendre à Washington qu’il est un allié utile et qu’il est prêt à travailler avec eux sur des objectifs communs», souligne-t-il.
«Le déploiement de la Turquie entraîne certains défis. Et les États-Unis pourraient voir la présence turque comme un bon arrangement après le départ de leurs troupes», ajoute notre interlocuteur. Le déploiement des forces turques avec l’aval de l’Otan et des États-Unis servirait accessoirement les intérêts de politique étrangère orientale d’Erdogan.
Les talibans, future menace pour la Turquie ?
«Avec ce déploiement en Afghanistan, il y aura indubitablement des problèmes avec les talibans qui eux refusent catégoriquement le futur rôle des forces turques sur le terrain. Il pourrait en résulter des attaques contre les intérêts turcs, ce qui n’est jamais arrivé auparavant», explique-t-il.
En effet, un porte-parole des talibans a fait savoir qu’ils s’opposaient fermement à la présence des forces turques dans le pays et qu’Ankara devait retirer ses troupes dans le cadre de l’accord de 2020 pour le retrait des forces étrangères.
À force de vouloir jouer sur tous les tableaux, la Turquie pourrait bien finir par perdre quelques plumes à son tour. «Avec sa présence au sol, cela fera de la Turquie un acteur de la violence afghane, rôle qu’elle avait évité jusqu’à présent», conclut Umar Karim.