«Pourquoi 23 heures plutôt que minuit? Pourquoi ouvrir un stade et pas d’autres? Il faut se poser maintenant la question de la levée du couvre-feu. Plus personne ne comprend rien à la signification des consignes données.»
Sur Twitter, Jean-Luc Mélenchon, chef de file de la France insoumise, a voulu se joindre au désir de relâchement. Sur France info, Philippe Laurent, maire UDI de Sceaux (Hauts-de-Seine), secrétaire général de l'Association des maires de France (AMF), a abondé dans ce sens: cette mesure «n’est plus audible». «On comprenait quand on était à 19 heures où on voulait éviter que trop de gens soient dans les magasins, dans les rues, etc. 23 heures, cela ne change pas grand-chose», a-t-il expliqué.
Un point de vue d’ailleurs partagé par Martin Blachier: «Sur le plan sanitaire, ça n'a pas énormément de sens», a déclaré l’épidémiologiste sur BFMTV.
L'épidémiologiste Martin Blachier estime que le couvre-feu "n'a plus vraiment de sens" sur le plan sanitaire pic.twitter.com/DNCWAhjfIQ
— BFMTV (@BFMTV) June 13, 2021
Avant d’ajouter: «Cela ne va pas changer la situation épidémique. [...] Il n'y a plus trop lieu d'avoir ces étapes les unes après les autres.»
Des indicateurs dans le vert, mais…
Plusieurs chiffres épidémiologiques vont dans le bon sens. En témoigne le taux de reproduction du virus, R0, inférieur à 1 (0,75). Ce qui atteste une régression de l’épidémie. De plus, le nombre de personnes hospitalisées ou placées en réanimation continue sa décrue. Autre indicateur encourageant: les nouveaux cas positifs journaliers. Ces derniers se situent au-dessous de la barre symbolique des 5.000. Entre le 4 juin et le 10 juin, selon Covid Tracker, 4.510 cas étaient à déplorer, soit -40% ces sept derniers jours.
Alors, le gouvernement doit-il modifier son calendrier de déconfinement?
Contacté par Sputnik, le professeur Christian Rabaud, épidémiologiste au CHRU de Nancy, estime d’emblée qu’il ne faut pas changer de cap, notamment pour des «raisons électorales» ou pour «envoyer des messages». Pour lui: «On n’est pas encore dans une situation complétement relâchée.»
«L’hôpital retrouve enfin sa configuration de base. Mais il doit maintenant se réengager dans son mode de fonctionnement et assurer la prise en charge des patients retardés. On a 2.000 patients en réanimation. C’est beaucoup mieux que les 6.000 que l’on a connus. Mais, en juin 2020, on était descendu en dessous de 1.000», analyse-t-il.
En outre, comme le professeur Rabaud le rappelle, le taux d’incidence «est encore entre 40 et 50 pour 100.000 habitants». Tandis que, au mois de juin l’année dernière, «même si les chiffres ne sont pas exactement comparables car on prélevait moins, on était descendu à 5 pour 100.000».
«Il faut se donner le temps d’aller bien au bout de la descente. […] Il y a quelques personnes qui voudraient aller plus vite. Mais, concernant le couvre-feu, c’est terminé dans quinze jours. Un certain nombre d’épisodes où l’on peut voir des jeunes sont médiatisés, etc. Ce n’est quand même pas la majorité des gens», nuance le professeur Rabaud.
Une référence aux incidents qui sont survenus à Paris le week-end dernier, où la police a dû évacuer des milliers de jeunes fêtards.
PARIS - Nouvelle soirée #ProjetX aux #Invalides : les forces de l’ordre font des sommations. Aucun effet chez les participants. @CLPRESSFR pic.twitter.com/x8I36L9MWQ
— Clément Lanot (@ClementLanot) June 12, 2021
Des regroupements qui posent, d’ailleurs, des problèmes aux forces de l’ordre. Dans une interview donnée au Parisien, le secrétaire général délégué du syndicat Unité SGP Police FO, Grégory Joron, ne cachait pas son appréhension: «La levée du couvre-feu à 21 heures le 9 juin a changé la donne. La jeune génération, et pas seulement elle, a bien du mal à aller se coucher une fois que la soirée a commencé et que le niveau d’alcoolémie a augmenté.»
Or, si les gens se «regroupent», «on sera dans une situation potentiellement plus favorable à la transmission», prévient le professeur Rabaud.
Masque non obligatoire en extérieur, la «pire erreur»?
Outre la question du couvre-feu, c’est le port du masque en extérieur qui cristallise les critiques. Et pour cause, après un an d’épidémie, rares sont les clusters apparus en plein air. Jérôme Salomon, directeur général de la Santé, a d’ailleurs laissé entendre sur RTL, ce lundi 14 juin, que le port du masque pourrait ne plus être obligatoire au 1er juillet: «Si tout se passe bien, on lèvera encore un certain nombre de contraintes. Le 30 juin, si les conditions le permettent.»
Alexis Hautemaniere, médecin épidémiologiste et hygiéniste, estime au micro de Sputnik que lever cette mesure serait «la pire erreur» d’un point de vue immunologique. Comme il le précise, le vaccin produit des anticorps Igg et Igm, qui, «certes, sont neutralisants, mais on n’est pas complètement sûr qu’ils vont arrêter le virus».
Le variant indien pourrait jouer les trouble-fête
Ainsi, nous explique le spécialiste, ce sont les anticorps de type Iga, «situés dans les muqueuses (bronchiques et ORL), qui vont être en contact direct avec le virus dès qu’il va entrer dans les voies respiratoires».
«Ces anticorps vont vraiment éviter que le virus s’installe dans votre arbre respiratoire, que vous tombiez malade et, ensuite, que vous contaminiez quelqu’un. Les vaccins que l’on injecte ne produisent pas d’Iga, il faudrait des vaccins nasaux», précise le docteur Hautemaniere.
Aussi le médecine tient-il au masque en raison du variant indien. D’autant plus que la France n’a pas encore atteint l’immunité collective et que l’efficacité des vaccins diminue en présence de ce mutant. Il est beaucoup plus transmissible, indique le docteur Hautemaniere: «Pour faire simple, le variant anglais était entre 40 et 50% plus contagieux que la souche chinoise, et l’indien est 40% plus contagieux que la souche britannique.»
«Les épidémiologistes prévoient une quatrième vague en août ou septembre en France. Entre autres, à cause du variant indien», car «c’est exactement la courbe épidémique en Angleterre qui a un taux de vaccination élevé, plus haut que le nôtre, ça redémarre», prévient le docteur Hautemaniere. À cela s’ajoute la crainte naissante du variant delta.
«C’est pour cela qu’il faut vacciner vite et avec les produits les plus efficaces. Si tout le monde était vacciné, le R0 s’effondrerait par défaut et donc vous auriez une probabilité de fabriquer de nouveaux variants qui chuterait dans la même proportion», avance le médecin.
«Tous ces éléments justifient donc une forme de prudence et un certain rythme», résume le professeur Christian Rabaud.