Les États-Unis «ne lâcheront pas la Colombie» malgré la répression féroce des manifestations

© REUTERS / KEVIN LAMARQUEJoe Biden
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Depuis son investiture, le 20 janvier, Joe Biden s’est fait le héraut des droits de l’homme à travers le monde, quitte à proférer des déclarations incendiaires envers les adversaires de Washington. La Maison-Blanche se fait toutefois plus discrète sur la répression des manifestations en Colombie, son plus proche allié en Amérique latine.

«He may be a bastard, but he's our bastard.»  C’est en ces termes flatteurs que le Président américain Franklin D. Roosevelt aurait évoqué Rafael Trujillo, ancien militaire et président de la République dominicaine. Ces propos reflétaient une application brutale de la doctrine Monroe, Washington souhaitant conserver à tout prix sa zone d’influence latino-américaine. Aujourd’hui le plus proche allié de l’oncle Sam en Amérique du Sud, la Colombie, est en proie à d’importants troubles sociaux. Les autorités répriment les soulèvements dans le sang. Toutefois, il serait «excessif» d’établir un parallèle avec le cynisme de Roosevelt, nuance Christophe Ventura, spécialiste de l’Amérique latine à l’IRIS. «Ce n’est pas le même registre», estime l’auteur de L’éveil d’un continent: Géopolitique de l’Amérique latine et de la Caraïbe (éd. Armand Colin).

La Colombie, partenaire mondial de l’Otan

À l’issue d’une rencontre le 28 mai avec son homologue colombienne, le Secrétaire d’État américain Blinken a même exprimé «sa préoccupation et ses condoléances pour les pertes de vies humaines» survenues en Colombie. Il a «réaffirmé le droit incontestable des citoyens à manifester pacifiquement». Des déclarations diplomatiques «tout en subtilité» pour ne pas froisser la Colombie, constate le spécialiste de l’IRIS. Car, le même jour, treize morts étaient signalés à Cali, la troisième ville du pays, suite à des manifestations qui ont dégénéré.

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Des civils vêtus de gilets pare-balles, armés de pistolets et de fusils, ont notamment tiré sur les manifestants, sous les yeux de la police. Depuis, l’armée a volé au secours de forces de police très critiquées pour la répression des foules hostiles à la nouvelle réforme fiscale. Selon un décompte officiel, au moins 59 décès sont à déplorer, dont deux policiers, depuis un mois, ainsi que 2.300 blessés et 123 disparus. Human Rights Watch évoque même 63 morts.

Pourtant les États-Unis «ne lâcheront pas la Colombie», prédit Christophe Ventura pour deux raisons:

«La Colombie est le principal allié de Washington en Amérique latine, c’est le pays avec lequel les États-Unis ont le plus d’accords de coopération sécuritaire et militaire. En particulier sur le narcotrafic, les conflits internes, les guérillas… On pourrait presque dire que c’est l’opérateur de Washington dans le conflit avec le Venezuela. Ça a été comme ça jusqu’à la fin du mandat de Trump.»

La Colombie est en pointe régionalement pour mener le bras de fer contre Caracas, poursuit notre interlocuteur: «C’est à travers Bogota que les intérêts de Washington ont beaucoup transité.»

La Colombie est d’ailleurs le seul pays latino-américain qui ait obtenu le statut de partenaire mondial de l’Otan en 2018 «grâce à l’intervention, à l’influence des États-Unis», ce qui lui permet de s’associer aux activités de l’alliance de l’Atlantique Nord, la sécurité maritime, le terrorisme, la criminalité organisée en échange «de matériel et d’équipements militaires».

Dilemme cornélien pour Biden

Cette entente ne constitue toutefois pas un blanc-seing pour Bogota. La Maison-Blanche a changé de locataire depuis janvier 2021. La relation bilatérale se révélait plus fluide sous l’égide de Donald Trump, avec l’aide du faucon John Bolton, son conseiller à la sécurité nationale. «Biden ce n’est pas tout à fait la ligne» d’Ivan Duque, président de droite dure. Ainsi la situation sociale en Colombie «gêne aux entournures» l’Administration américaine. Celle-ci déploie des trésors de diplomatie pour ne pas condamner ouvertement le gouvernement colombien:

«D’un seul coup, nous voyons apparaître dans la colonne des pays habituellement pointés du doigt par les médias,  [le] plus proche allié [des USA], qui montre ses fêlures, l’autoritarisme de son pouvoir, sa mécanique répressive tout à fait brutale avec sa cinquantaine de morts et ses milliers de blessés. Un appareil répressif qui est largement équipé de matériel américain, montrant d’ailleurs la militarisation de la vie politique et sociale colombienne.»

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Afin de prendre le contre-pied de son prédécesseur, Joe Biden aurait la volonté de «restaurer l’image pour restaurer le leadership américain à l’international». Une telle démarche passe par la promotion des droits de l’homme et la relance de l’idée du modèle dit démocratique contre tous les «autoritarismes». C’est-à-dire, «dans la vision de Biden, Moscou, Pékin et périphériquement Caracas ou Cuba», rappelle le spécialiste. La nouvelle Administration a donc haussé le ton vis-à-vis de la Chine, Antony Blinken accusant l’empire du Milieu de «génocide» contre les Ouighours et incriminant Moscou pour l’affaire Navalny. Le Président américain a même promis d’évoquer les droits de l’homme lors de sa rencontre le 16 juin à Genève avec le Président russe.

​Les troubles colombiens et la répression féroce qui s’ensuit «ne tombent pas au bon moment» pour la diplomatie américaine. Cela «ne correspond pas» à l’image que veut envoyer Joe Biden. Les États-Unis sont confrontés à un dilemme qui ne remettra toutefois «pas en cause les fondamentaux» de la relation bilatérale, estime Christophe Ventura:

«Ils vont même peut-être agir discrètement pour inciter leur ami Ivan Duque à régler la crise sans excès répressif supplémentaire. Cela étant dit, on est dans le registre des nuances de conjoncture. Ça ne change pas du tout la vision de Biden sur la relation que doivent entretenir les États-Unis avec la Colombie qui restera leur principal allié dans la région.»
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