Michel Maffesoli juge l’entretien de Macron au magazine Zadig: «c’est du Canada Dry!»

© AFP 2024 MIGUEL RIOPAEmmanuel Macron
Emmanuel Macron - Sputnik Afrique, 1920, 26.05.2021
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Dans un entretien accordé au trimestriel Zadig, Emmanuel Macron compare notre époque à celle de «la fin du Moyen-âge». Or, au rebours de la confiance affichée par l’hôte de l’Élysée, le sociologue Michel Maffesoli estime ce n’est pas la Renaissance qui s’annonce, mais «l’ère des soulèvements» et «le temps des tribus».
«Lorsqu’on n’a rien à dire, on le théâtralise», ironise Michel Maffesoli.

Pour le sociologue, la nouvelle démonstration d’optimisme du Président de la République relève de «la théâtrocratie». Dans un entretien publié mercredi 26 février par le trimestriel Zadig, Emmanuel Macron s’estime «très confiant» dans la force du peuple français à «repartir de l’avant». À l’heure de la sortie de crise du Covid-19, le Président juge l’époque actuelle comparable à celle «des grandes épidémies» et «des grandes peurs» des «temps moyenâgeux». L’heure serait selon le chef de l’État au basculement: celui de «la fin du Moyen-âge et au début de la Renaissance». 

«C’est l’époque de phénomènes qui forgent un peuple, je dirais même de la réinvention d’une civilisation. C’est aussi un moment de tensions qui travaillent le pays, entre un État central et des féodalités. C’est enfin un temps où la question européenne se pose, sans oublier le rapport entre les religions. La capacité à embrasser le futur, à se projeter, est alors déterminante pour le rebond que prend le pays.»

Des propos qui rappellent les travaux du Professeur Michel Maffesoli, traversés par les bouleversements entre les époques. Notre interlocuteur admet ainsi la pertinence du propos d’ensemble développé par le chef de l’État sur le basculement en cours.

Changement d’époque, oui, mais laquelle?

Et l’auteur de L’Ère des soulèvements (Éd. du Cerf) de rappeler que le mot «époque» signifie «parenthèse» en grec. Or, «tout comme à la fin du Moyen-âge s’est fermée la parenthèse médiévale», aujourd’hui «celle de la modernité se clôt». En revanche, celle qui lui emboîte le pas n’aurait que très peu à voir avec la Renaissance prophétisée par Emmanuel Macron.

«C’est plutôt la Renaissance, c’est-à-dire la Modernité, qui se termine. L’époque qui s’ouvre est bien plus proche de ce qui était le propre des sociétés prémodernes, dont le Moyen-âge. On peut parler de féodalité, mais je préfère les expressions d’enracinement et de spatialisation du temps…», explique le sociologue à notre micro. 

Le Président de la République reste, pour notre interlocuteur, un enfant de ladite modernité. Une époque, selon Michel Maffesoli, structurée par trois principes fondamentaux: le progrès d’abord, le rationalisme ensuite, l’individualisme enfin. La foi en l’avenir manifestée par Emmanuel Macron dans cet entretien en témoignerait. «Si on a une énergie collective et une vision, on repartira de l’avant. Je pense que nous en avons la possibilité», clame ainsi le locataire de l’Élysée dans les colonnes de Zadig

​Une vision progressiste puisant ses sources dans le monde anglo-saxon, en particulier celui de la Silicon Valley. Quitte à emprunter tous les raccourcis: ainsi la Seine–Saint-Denis représente-t-elle à ses yeux «un espace unique de transformation économique et sociale», où «il ne manque que la mer pour faire la Californie». 

Macron plus «astucieux» que prophétique

Le Président vise néanmoins juste à plusieurs reprises, estime le sociologue, notamment quand il mentionne les Gilets jaunes, évoquant un peuple français «extraordinairement tenace», mais qui «s’embrase sur le coup de colères». Pour Maffesoli, ce sont «des mouvements appelés à se reproduire», dans «l’ère des soulèvements» en gestation. Emmanuel Macron fait en effet part de son attachement à Amiens, sa ville natale, et à la France des territoires.

Autant de renvois au monde de l’enracinement, «du lieu qui fait lien» qui, selon Michel Maffesoli, sont les marqueurs de la postmodernité en devenir. Mais si «l’intuition du changement de temps est bonne, Emmanuel Macron n’en voit pas le dépassement», tranche notre interlocuteur. Les propos présidentiels seraient en définitive plus «astucieux» que prophétiques. Ils illustreraient davantage le sempiternel «en même temps» d’Emmanuel Macron:

«Tout cet entretien est du Canada Dry, s’amuse Michel Maffesoli. Ça a la couleur de l’alcool, mais sans la saveur. On est dans le domaine de la théâtralisation qui est la sienne. De même que son dernier coup de com’ avec les deux Youtubeurs en est la dernière illustration. Il emprunte des habits de scène successifs.»

«Lorsque la cité dégénère, s’affirme ce pouvoir du théâtre, de la théâtrocratie», insiste le sociologue. Et l’acteur Emmanuel Macron peinerait à masquer l’idéal d’une «République une et indivisible, colbertiste et verticale» dont il serait le produit. Une vision menacée par «le temps des tribus» et le «retour des communautés», prévient Michel Maffesoli.

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