Ce 25 mai à Bruxelles, Emmanuel Macron a affirmé que l'Union européenne avait «besoin de recadrer très profondément» sa relation avec Moscou. Reconnaissant que «la politique des sanctions» envers la Russie comme envers la Biélorussie atteignait ses «limites», le président français a prôné plus de fermeté.
Pour André Filler, professeur des Universités, spécialiste de l’espace russe et post-soviétique à l’Université Paris VIII, ce discours «très réfléchi et soigneusement préparé» s’adresse aux futurs électeurs français. Interview.
Sputnik: Dans son discours, Emmanuel Macron a englobé les sanctions envers la Russie avec les mesures contre la Biélorussie. Pourquoi?
Pour l’exécutif, il y a une différence majeure d’enjeux entre la Biélorussie, où la présence française est relativement minime, et la Russie, qui est un partenaire stratégique, malgré toute la complexité de la relation bilatérale. En Russie, la France a des intérêts économiques et des projets de coopération intense.»
Sputnik: Sur fond d’«efficacité relative» des dispositions prises «durant ces dernières années», Emmanuel Macron a proposé, ce 25 mai à Bruxelles, de «définir une stratégie de court, moyen et long terme» avec la Russie. Quelle lecture faites-vous de ces propos?
André Filler: «J’y vois plutôt une forme de réalisme que le Président a toujours su montrer dans sa politique russe. Les sanctions sont doublement inefficaces. Elles ne permettent ni à l’UE ni à la France d’obtenir de la Russie ce qu’elles aimeraient.
L’«inefficacité» énoncée par le président Macron visait, d’une manière sibylline, deux types d’inefficacité. D’abord, on n’obtient pas de la Russie ce qu’on veut obtenir. C’est-à-dire des assouplissements politiques internes. Ensuite, on bloque des projets d’intérêt commun que les sanctions empêchent de mettre en œuvre dans les domaines de coopération qui ne sont pas entachés par des désaccords profonds.»
Sputnik: Le Président français a affirmé que l'Union européenne avait «besoin de recadrer très profondément» sa relation avec Moscou. Dans quel sens, selon vous?
André Filler: «Pour moi, il s’agit d’un «nouveau cadre» non de sanctions, mais de négociations. Ça a été, d’ailleurs, la stratégie de Macron depuis son entrée en fonctions lors de tous les contacts avec Vladimir Poutine: une tentative d’engager des négociations.
Sputnik: Peut-on dire que ça marche moyennement parce que les sanctions ont une incidence relative sur l’économie russe, mais affectent l’économie française et européenne?
André Filler: «C’est précisément ce dont le président Macron se rend compte. La Russie aujourd’hui n’a pas été touchée dans ses intérêts vitaux par ces mesures. Il y a deux points qui pourraient atteindre la Russie à la suite des sanctions européennes: des sanctions personnelles et le projet Nord Stream 2, maintenu et soutenu par l’Allemagne.
En revanche, l’économie française et européenne s’en sort beaucoup moins bien. Un lobby de grandes entreprises, à commencer par le Total, qui a d’énormes intérêts en Russie, se trouve économiquement perdant.
Donc, ces échéances de «court, moyen, long terme» sont dictées par les intérêts de l’État, mais également par des objectifs très personnels du président de la République qui prépare sa campagne.»
Sputnik: Ainsi, Emmanuel Macron utiliserait donc la tribune européenne pour s’adresser à ses électeurs...
André Filler: «Bien entendu! Ce message s’adresse, d’une part, aux grands secteurs de l’économie française touchés par les sanctions et la crise sanitaire. Et, d’autre part, il vise les électeurs français. D’autant plus que, aujourd’hui, tout porte à croire que nous revivrons au second tour son duel avec Madame Le Pen, qui va jouer sur le rapprochement avec Moscou.
Par rapport à la Russie, des courants divers existent au sein de la majorité présidentielle et au sein du gouvernement. Mais la politique personnelle de Macron a toujours consisté à maintenir le partenariat tout en réaffirmant les valeurs françaises et républicaines. Les sanctions sont inefficaces pour le maintien des valeurs françaises, parce que la Russie ne va pas changer sa position sur les points où la France considère que ces valeurs sont bafouées. En revanche, ces sanctions retombent sur l’économie francaise.»