À la suite du tollé provoqué dans les pays occidentaux par l’atterrissage en urgence d’un avion de Ryanair à Minsk, une certaine détérioration des relations entre l’Europe et la Biélorussie pourrait se profiler, mais l'isolement international n’est pas à craindre, estime Nikolaï Mejevitch, chef du centre d'études biélorusses de l'Institut russe de l'Europe.
Il a notamment commenté l’action du maire de Riga, Martins Stakis, qui avait précédemment annoncé que parmi les drapeaux des pays représentant les équipes au championnat du monde de hockey, qui se tient dans la ville, le drapeau biélorusse officiel avait été remplacé par celui blanc-rouge-blanc de l'opposition. Le ministre biélorusse des Affaires étrangères, Vladimir Makeï, a déclaré que la Biélorussie expulsait plusieurs employés de l’ambassade lettone et l'ambassadeur lui-même qui s’est vu formuler «une protestation résolue». La Lettonie a elle aussi expulsé l’ambassadeur et le personnel de la mission diplomatique de Biélorussie.
«Il y avait en Union soviétique des affiches qui disaient: "Exigeant du vendeur d’être poli, soyez poli vous-même." Exigeant de Minsk d’être courtois et de respecter toutes les normes protocolaires, Riga devrait faire de même. Lorsque, en pleine compétition sportive qui se tient à Riga, le drapeau officiel est remplacé par celui qui est considéré comme l’unique possible par l'opposition biélorusse, c’est, normalement, une insulte au drapeau de l'État», explique Nikolaï Mejevitch.
Il fait remarquer dans ce contexte que la Lettonie entretient des relations diplomatiques avec la Biélorussie et que le drapeau de ce pays est rouge et vert.
«Vous entretenez des relations non pas personnellement avec [le Président biélorusse, ndlr] Alexandre Loukachenko, mais avec la Biélorussie dont c’est le drapeau. Vous n'aimez pas le drapeau ou le Président, ça peut arriver. Dans ce cas, vous annoncez la rupture des relations diplomatiques, rappelez votre ambassadeur et expulsez le personnel biélorusse», poursuit Nikolaï Mejevitch.
«Mais voir le maire et le ministre des Affaires étrangères lettons débouler et retirer le drapeau national, puis s'attendre au silence en réponse, c’est impossible», déclare-t-il.
Une rupture se profile-t-elle?
Cependant, selon lui, il ne faut pas en tirer la conclusion que la Biélorussie et la Lettonie mettront fin à leurs relations diplomatiques.
«Une telle escalade implique toujours de regarder attentivement la réaction de son partenaire d’entraînement. Si le ministre n’avait rien dit, d'autres mesures auraient pu être prises», avance le chef du centre d'études biélorusses de l'Institut russe de l'Europe.
Nikolaï Mejevitch prévoit toutefois «la détérioration des relations de Minsk avec d'autres pays européens», mais qui n'ira pas jusqu'à la rupture des relations internationales.
Le directeur des travaux scientifiques du Club de discussion international Valdaï, Fiodor Loukianov, fait remarquer pour sa part que «l'Union européenne est confrontée à un dilemme».
«D’une part, du point de vue européen, cet incident d'atterrissage est flagrant et devrait susciter une réaction vigoureuse en termes de sécurité des transports, d'où toutes ces mesures visant pratiquement au blocus de la Biélorussie concernant les vols. D’autre part, il est évident qu’il existe un autre argument éternel: plus les sanctions de l'Union européenne sont nombreuses, plus Minsk se rapproche de Moscou. Par conséquent, je pense que, comme toujours, les grands pays feront les déclarations nécessaires pour proposer de ne pas couper les ponts», a-t-il déclaré à Sputnik.
Un avion de la compagnie Ryanair, qui effectuait un vol entre Athènes et Vilnius, a réalisé un atterrissage d'urgence à Minsk le 23 mai après une alerte à la bombe à bord. Un chasseur biélorusse MiG-29 a escorté l'avion qui comptait parmi ses passagers Roman Protassevitch, ancien rédacteur en chef de la chaîne Telegram Nexta, considérée comme extrémiste en Biélorussie. Celui-ci a été arrêté après l'atterrissage.
Réactions
Le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, a clamé ce mardi devant l’Assemblée nationale la solidarité de son pays avec l’opposition biélorusse et déclaré que Paris ne reconnaîtrait jamais l’élection d’Alexandre Loukachenko en août 2020. Air France a fait savoir de son côté qu’elle suspendait «jusqu'à nouvel ordre» le survol de l'espace aérien biélorusse, conformément à une recommandation de l'UE qui a décidé lundi de fermer son espace aérien aux avions biélorusses pour sanctionner Minsk.
Au Royaume-Uni, le président de la commission des Affaires étrangères à la Chambre des communes, Tom Tugendhat, a proposé de sanctionner les gazoducs Nord Steam 2 et Yamal-Europe parce qu’ils donnent «de l’argent à ce régime tyrannique».
Moscou a pour sa part appelé l’Occident à évaluer la situation tranquillement et «à s’abstenir de recourir au "deux poids deux mesures" […] en se basant sur les informations disponibles et en coordination avec les autorités aériennes biélorusses qui font preuve d’ouverture».
Snowden et militant anti-Maïdan
Ce n'est pas le premier cas du genre. Le plus connu est sans doute celui de l'atterrissage à Vienne de l'avion du Président bolivien Evo Morales en juillet 2013. Les autorités autrichiennes avaient fouillé de fond en comble l’appareil du Président qui rentrait chez lui de Moscou. Elles soupçonnaient la présence à bord de l’ancien agent de la CIA Edward Snowden, qui avait remis aux médias des informations secrètes sur la surveillance du renseignement américain. Snowden n’ayant pas été découvert à bord, l’avion a été autorisé à poursuivre son vol.
En outre, le ministère russe des Affaires étrangères rappelle le cas de l’appareil de la compagnie Belavia qui, après avoir décollé de Kiev, a dû rebrousser chemin alors qu’il ne se trouvait plus qu’à une cinquante de kilomètres de l’espace aérien biélorusse. La raison: la présence d’un militant anti-Maïdan à bord.