Ex-Premier ministre malien: «toutes les violences sont à craindre» – Entretien exclusif

© AP Photo / Mohamed SalahaDes soldats maliens contrôlent un véhicule dans la ville de garnison de Kati, au Mali, mardi 18 août 2020. Les soldats maliens ont pris les armes et ont commencé à détenir des officiers supérieurs de l'armée dans une mutinerie apparente, suscitant des craintes d'un coup d'État potentiel après plusieurs mois de manifestations antigouvernementales appelant à la démission du président.
Des soldats maliens contrôlent un véhicule dans la ville de garnison de Kati, au Mali, mardi 18 août 2020. Les soldats maliens ont pris les armes et ont commencé à détenir des officiers supérieurs de l'armée dans une mutinerie apparente, suscitant des craintes d'un coup d'État potentiel après plusieurs mois de manifestations antigouvernementales appelant à la démission du président.  - Sputnik Afrique, 1920, 25.05.2021
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Moussa Mara, ancien Premier ministre malien, désormais figure de l’opposition, appelle à la libération du Président de la transition, Bah N’Daw, et de son Premier ministre, Moctar Ouane, arrêtés ce 24 mai par les forces armées maliennes. Il plaide pour un retour à une transition politique civile.

Dix mois après le dernier coup d’État militaire, le Mali replonge dans la crise politique.

Le Président de la transition, bah N’Daw, et son Premier ministre, Moctar Ouane, ont ainsi fait les frais d’un nouveau coup de force militaire. Les deux hommes ont été interpellés à Bamako après avoir annoncé la formation d’un nouveau gouvernement excluant les colonels Sadio Camara et Modibo Koné, figures emblématiques du coup d’État de 2020, de leurs postes de ministres de la Défense et de la Sécurité. Ce 25 mai, Assimi Goïta, le vice-Président de la transition et chef de la junte de 2020, a annoncé qu’il plaçait «hors de leurs prérogatives» les deux responsables politiques civils afin de «préserver la charte de transition et défendre la République

© HABIBOU KOUYATEMoussa Mara, ancien Premier ministre malien de 2014 à 2015, désormais figure de l’opposition et candidat à la Présidentielle de 2022, appelle au maintien du processus de transition entamé en septembre 2020, qui doit aboutir sur les élections de 2022.
Ex-Premier ministre malien: «toutes les violences sont à craindre» – Entretien exclusif - Sputnik Afrique, 1920, 25.05.2021
Moussa Mara, ancien Premier ministre malien de 2014 à 2015, désormais figure de l’opposition et candidat à la Présidentielle de 2022, appelle au maintien du processus de transition entamé en septembre 2020, qui doit aboutir sur les élections de 2022.

Sputnik France: Comment percevez-vous ce nouveau coup de force militaire au Mali, neuf mois après le dernier putsch?

Moussa Mara: «Il y a une volonté d’une partie des militaires de ne pas perdre leurs postes de pouvoir. C’est aussi simple que ça. Il faut avoir honte de cette situation. Quand on regarde la situation du Mali aujourd’hui, il y a une trentaine de pays qui ont des soldats sur notre sol et certains de ces soldats meurent pour la défense de notre pays. En marge de cet effort, vous avez des soldats maliens, qui sont recrutés et payés par nous-mêmes, en train de se battre et semer la zizanie pour des postes politiques à Bamako… C’est honteux.»

Sputnik France: Vous êtes donc de ceux qui condamnent cette tentative de coup de force militaire?

Moussa Mara: «Il faut condamner toute tentative de prise de pouvoir par la force, que l’on soit dans un gouvernement de transition ou un gouvernement élu. Nous demandons également la libération de ceux qui ont été arrêtés et la continuation du processus de transition. D’autant que les personnes arrêtées sont les personnes qui ont été désignées par ces mêmes militaires pour mener la transition. Ce n’est pas nous qui les avons mis au pouvoir.»

Le vice-Président de la transition du gouvernement malien, Assimi Goïta - Sputnik Afrique, 1920, 25.05.2021
Deuxième coup d’État au Mali: «Toute cette zone subit l’influence des puissances postcoloniales»

Sputnik France: Une partie de la presse et de la société civile proche de la junte met en cause le fait que les militaires responsables du coup d’État de 2020, qui étaient soutenus par une partie de la rue –à l’image du mouvement du 5 juin–, ont été écartés par le pouvoir politique des postes clés qui leur avaient été promis le temps de la transition. Que répondez-vous?

Moussa Mara: «Si les militaires ont désigné ce Président et ce gouvernement en 2020, c’est qu’ils ont confiance en lui. Maintenant que le Président de la transition est reconnu comme tel par toute la planète comme étant celui qui parle au nom du Mali, il faut qu’il puisse continuer jusqu’à la fin de la transition, avec ou sans les militaires. Pareil pour le Premier ministre. Nous, peuple malien, n’avons rien choisi, mais nous exigeons qu’ils puissent continuer leur travail.»

Sputnik France: Quel rôle jouent l’opposition et la société civile, dont vous faites partie, dans cette crise?

Moussa Mara: «Il faut que l’on fasse confiance à la société civile et aux partis politiques d’opposition. Nous devons faire entendre nos voix. Nous faisons chauffer les téléphones et nous allons travailler dur pour convaincre les militaires que leur stratégie est une voie sans issue. Nous travaillons depuis hier, chacun à son modeste niveau, pour parler aux institutions militaires, mais aussi à la société civile, afin qu’elle puisse faire pression sur les militaires. Il y a beaucoup d’acteurs qui sont en train d’agir en coulisse et en public pour que la situation se décante.

J’ai bon espoir en la capacité des forces vives maliennes à dépasser cette étape et à reprendre la voix de la transition avec le nouveau gouvernement désigné par le Président de la transition, Bah N’Daw, et son Premier ministre, Moctar Ouane. Il y a une dynamique interne et je lui fais confiance, car si la société civile et politique malienne arrive à parler d’une seule voix, elle sera entendue par les militaires.»

Sputnik France: l’Union africaine, la CEDEAO et l’écrasante majorité des organisations internationales ont dénoncé ce coup de force militaire, sans que cela n’ait d’effet sur les putschistes pour le moment. Ces derniers ont d’ailleurs annoncé ne pas reculer, même après les mises en garde des acteurs internationaux. Qu’attendez-vous de ces derniers si les putschistes ne cèdent pas?

Moussa Mara: «Il y a une dynamique externe qui appelle à une libération et un retour des responsables arrêtés ce 24 mai, notamment à travers la médiation de la CEDEAO, qui a envoyé une délégation au Mali ce mardi 25 mai. Son discours va dans notre sens. Tout comme la plupart des communiqués issus de la communauté internationale, la France en tête. J’espère donc que les militaires entendront raison et que cet épisode ne sera qu’une malheureuse étape dans la transition.

Mais avant de parler de l’international, j’attends d’abord des choses au niveau interne. Pour moi, c’est primordial que l’on se parle et que l’on s’organise. Il y a beaucoup d’initiatives qui se mettent en place actuellement, notamment au niveau du Haut conseil islamique et d’autres organisations de la société civile. Les partis devraient également entrer en jeu. On va d’abord compter sur les dynamiques internes et ensuite, concernant les dynamiques externes, on verra bien. Pour l’instant, il ne faut pas anticiper sur ce que doit faire la communauté internationale pour nous aider. Nous allons dialoguer “à la Malienne” et j’ai bon espoir qu’on s’en sortira comme ça.»

Sputnik France: Jean-Yves le Drian a indiqué que des mesures seront prises à l’encontre de ceux qui entravent la transition politique au Mali. Est-ce le type de position que vous espérez de Paris? Quelles mesures attendez-vous?

Moussa Mara: «Comme je vous l’ai dit, je fais d’abord confiance aux dynamiques internes. Et surtout, j’espère que l’on n’arrivera pas au point de se voir imposer des sanctions qui feront souffrir le pays ou même des sanctions individuelles. On va se parler entre nous, et nous arriverons à une solution politique, j’en suis sûr.»

Jean-Yves Le Drian - Sputnik Afrique, 1920, 25.05.2021
La France condamne le «coup de force» au Mali
Sputnik France: La France a soutenu avec la prudence d’usage le gouvernement de transition mis en place par la junte en septembre 2020. Aujourd’hui, elle condamne le «coup de force» de cette même junte. Quelle analyse faites-vous de la position française face à ces crises successives? La France tourne-t-elle aujourd’hui le dos à cette même junte qu’elle a soutenue hier?

Moussa Mara: «Pour le moment, je ne porte pas de jugement sur la position des uns et des autres à l’extérieur des frontières du Mali concernant notre transition politique.»

Sputnik France: En France comme au Sahel, certains mettent en cause la pertinence de poursuivre la mission Barkhane. Les crises politiques successives n’arrangent rien au niveau sécuritaire. Pensez-vous qu’elles mettent en péril ou qu’elles justifient d’autant plus la présence de la force Barkhane au Mali?  

Moussa Mara: «Je comprends parfaitement que ceux qui nous aident, dont la France, se posent des questions sur la pertinence de leur présence militaire chez nous quand nos militaires qui devraient se battre sur le front se battent pour des postes politiques. Si j’étais la France ou n’importe quel autre pays, je me poserais des questions. C’est une raison de plus pour que nous, à l’intérieur, nous soyons responsables et que l’on corrige nos erreurs pour que les soldats extérieurs nous aident. Si l’on veut que l’on nous aide, nous devons nous aider nous-mêmes d’abord.»

Sputnik France: Ce nouveau coup de force intervient sur fond de crise sociale marquée par l’importante grève de L’Union nationale des travailleurs du Mali (UNTM), principale centrale syndicale du pays, qui paralyse l’économie du pays. Comment voyez-vous la situation évoluer?

Moussa Mara: «Aujourd’hui, le Mali n’a pas besoin de nouvelle crise politique pour que l’on avance dans la transition, c’est évident. La situation politique est la plus importante, c’est elle qui a le plus d’impact sur tout le reste des problèmes du Mali. Nous sommes déjà dans un contexte social très tendu, avec une grève qui a des conséquences économiques importantes. Si on ajoute une crise politique durable, ça ne peut être que catastrophique sur le plan politique, économique et évidemment sécuritaire. Il faut donc que l’on sorte de cette situation, que l’on consolide la transition et qu’on l’accompagne pour avancer tous ensemble. On n’a pas besoin que les ambitions d’une ou deux personnes mettent le pays dans une situation de crise plus grave que celle que le Mali connaît déjà.»

Sputnik France: Craignez-vous une explosion de la violence civile et militaire si le coup d’État venait à se confirmer dans la durée?

Moussa Mara: «C’est une perspective qui est réelle si les positions des uns et des autres se radicalisent. Toutes les violences sont à craindre si l’on n’avance pas vers une transition politique. Non seulement la violence par rapport à la société civile, mais aussi entre les militaires. Ce à quoi il faut ajouter la violence exacerbée par les groupes terroristes ou autre. C’est une réalité qu’il faut porter à la connaissance des protagonistes qui, de fait, détiennent aujourd’hui le pouvoir.»

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