Conflit israélo-palestinien: l’Afrique du Sud aux avant-postes

© Sputnik . Ahemd Zakot  / Accéder à la base multimédiaSituation en Palestine
Situation en Palestine  - Sputnik Afrique, 1920, 25.05.2021
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Les morts causés par Israël à Gaza ont suscité indignations et protestations aux quatre coins du globe. En Afrique, l’Afrique du Sud a été l'un des rares pays à afficher ouvertement sa solidarité avec le peuple palestinien, quand les autres États se sont montrés assez réservés. Analyse de Patrick Mbeko, spécialiste de l’Afrique centrale.

La situation désastreuse que connaît Gaza suite aux affrontements entre l’État d’Israël et le Hamas n’a pas laissé les opinions publiques à travers le monde indifférentes. Malgré le cessez-le-feu intervenu entre les belligérants il y a quelques jours, les manifestations se sont poursuivies aux quatre coins du globe. En Afrique, l’Afrique du Sud est l’un des rares pays à avoir ouvertement affiché son soutien indéfectible à la Palestine. «Notre soutien envers le peuple palestinien est une question de principe», a déclaré le Président sud-africain, Cyril Ramaphosa, en marge du sommet sur le financement des économies africaines qui s’est tenu à Paris la semaine dernière.

​Si l’Union africaine (UA) a publié une déclaration dans laquelle elle «condamne fermement» le bombardement meurtrier de la bande de Gaza par Israël et a exprimé le soutien ferme de l’UA à la «quête légitime du peuple palestinien pour un État indépendant et souverain avec Jérusalem-Est comme capitale», il n’en demeure pas moins que la plupart des États africains ont préféré adopter une posture attentiste, tout en appelant les parties à la retenue.

Afrique du Sud-Palestine : une histoire d’apartheid

Depuis la fin du régime d’apartheid en Afrique du Sud, l’analogie a souvent été faite entre le cas sud-africain et la situation que connaît la Palestine depuis des décennies. Les expériences douloureuses auxquelles Pretoria et l’entité palestinienne ont été confrontés ont fini par cimenter une sorte de communauté de destin entre les deux peuples. Pour les Sud-africains, les évènements survenus ces dernières semaines dans la Bande de Gaza ont fait remonter en surface de douloureux souvenirs. Dans une récente déclaration à la population sud-africaine, le président Cyril Ramaphosa n’a pas manqué de souligner:

«L’escalade de la situation en Israël et en Palestine confirme une fois de plus ce que nous, sud-africains, savons trop bien, à savoir que les conflits insolubles ne peuvent être résolus que par la négociation pacifique. Elle démontre également que si l’on ne s’attaque pas aux causes profondes d’un conflit, en l’occurrence l’occupation illégale par Israël de terres palestiniennes et le déni du droit du peuple palestinien à l’autodétermination, il n’y aura jamais de paix. Les dernières violences ont été déclenchées par la décision d’un tribunal israélien d’expulser un groupe de familles de leurs maisons dans le quartier de Sheikh Jarrah à Jérusalem-Est pour faire place à des colonies israéliennes. Le spectacle d’hommes, de femmes et d’enfants expulsés des maisons dans lesquelles leurs familles vivaient depuis des générations rappelle à la majorité des Sud-Africains des souvenirs collectifs et personnels douloureux de déménagements forcés et de dépossession des terres.»

Jamais le passé n’a été aussi présent chez les noirs sud-africains, pour qui les bombardements de l’armée israélienne à Gaza ainsi que les politiques d’expropriation des terres palestiniennes rappellent les répressions policières — on peut penser au massacre de Sharpeville — et les expropriations des décennies noires durant lesquelles leur pays vivait sous le régime de l’apartheid. Cruelle ironie de l’histoire, le gouvernement sud-africain de l’époque, qui comptait dans ses rangs des antisémites notoires, entretenait des relations assez étroites avec Israël.

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Tout ceci permet de comprendre la position tranchée de l’Afrique du Sud post-apartheid sur la question palestinienne. Le Président Ramaphosa s’est d’ailleurs fait l’écho des conclusions d’importants groupes de défense des droits de l’Homme, qui ont conclu qu’Israël était coupable d’avoir commis le crime d’apartheid, considéré comme un crime contre l’humanité par le droit international. Une position qu’un certain de nombre d’États africains préfère observer de loin...

La real-attentisme des «amis» africains

Il faut dire que si le maintien des relations économiques et commerciales avec le régime de l’apartheid dans une Afrique du Sud sous embargo international avait achevé d’alimenter l’inimitié entre Tel-Aviv et les capitales africaines, force est de constater que tout cela fait désormais partie du passé. En effet, Israël peut aujourd’hui compter sur plusieurs alliés non négligeables sur le continent africain. La cause palestinienne, qui a longtemps constitué une divergence indépassable entre l’État hébreu et l’Afrique, est de plus en plus reléguée à la case des questions secondaires. Soucieux de consolider leurs relations avec Tel-Aviv, un certain nombre de chefs d’État africains préfèrent ne pas adopter des positions politiques susceptibles de contrarier cet allié.

L’on se souviendra du vote historique de novembre 2012 au cours duquel l’Assemblée générale de l’ONU avait octroyé à l’entité palestinienne le statut d’État observateur non membre des Nations Unies. Cinq pays africains (le Rwanda, le Cameroun, le Malawi, la RDC et le Togo), entretenant des rapports pour le moins étroits avec Israël ou des intérêts israéliens, s’étaient gardés de voter la résolution. Trois autres, notamment le Liberia, Madagascar et la Guinée équatoriale, avaient été déclarés absents pour des raisons inexpliquées.

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Bien que l’écrasante majorité des pays africains avait voté la résolution onusienne, il n’en reste pas moins vrai que certains d’entre eux, notamment les pays à majorité chrétienne, l’avaient fait à leur corps défendant. C’est notamment le cas par exemple de la Côte d’Ivoire, dont le président Alassane Ouattara avait visité Israël quelques mois auparavant, le Kenya et l’Ouganda, qui est un «allié» de longue date de l’État hébreu. En 2005, Benyamin Netanyahou , qui venait de quitter le gouvernement d’Ariel Sharon pour rejoindre l’opposition, s’y était rendu et avait dévoilé une plaque à la mémoire de son frère. Ce dernier avait été tué en juillet 1976 lors d’une opération commando menée par l’armée israélienne pour libérer les passagers et l’équipage d’un vol Tel-Aviv/Paris détourné par des pirates palestiniens et allemands...

Offensive diplomatique et stratégie de l’esquive

Près d’une décennie après le vote de l’ONU sur la question palestinienne, la conjoncture a considérablement évolué. Israël compte beaucoup plus d’alliés en Afrique, et ce n’est pas un hasard de l’histoire si le Premier ministre Netanyahou a effectué deux voyages sur le continent au cours des cinq dernières années. Lors de son premier voyage en 2016, il avait expliqué que ce déplacement était aussi une manière de dire: «Israël revient en Afrique, l’Afrique revient en Israël».

En juin 2017, le dirigeant israélien a même réussi à se faire inviter au sommet de la Communauté économique des États de l'Afrique de l’Ouest (Cédéao), avec à la clé, un plan d’investissement de 1 milliard de dollars dans les énergies renouvelables. Toutefois, le projet d’un sommet Afrique-Israël, qui devait se tenir à Lomé la même année, a avorté, entre autres, à cause de l’Afrique du Sud. Pour autant, Tel-Aviv a poursuivi son lobbying sur le vieux continent pour gagner des débouchés commerciaux et du soutien diplomatique dans les instances internationales.

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Depuis 2018, Israël a repris ses liens diplomatiques avec le Tchad d’Idriss Deby Itno, le Soudan et le Maroc. Avec cette percée, il n’entend pas laisser le champ libre à l’autorité palestinienne, affichant sa ferme volonté d’entrer à l’UA en tant que membre observateur.

Bien que les opinions publiques de bon nombre d’États africains restent opposées au rapprochement avec Israël en raison de sentiments de solidarité avec le peuple palestinien, il n’en reste pas moins vrai que la plupart des dirigeants du continent privilégient désormais la realpolitik et les intérêts particuliers au détriment de la notion de solidarité. Raison pour laquelle certains ont choisi de ne pas prendre position dans le dernier face-à-face qui vient d’opposer Israël au Hamas, laissant les responsables de l’Union africaine ainsi que des pays comme l’Afrique du Sud, l'Algérie et la Tunisie condamner fermement les agissements de l’État hébreu en disant tout haut ce que beaucoup sur le continent pensent tout bas...

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