Un peu plus d’un an après avoir appelé dans une tribune, avec 17 autres dirigeants africains et européens, à «une réponse multilatérale d’exception pour soutenir l’Afrique face à la pandémie de Covid-19», le chef d'État français, Emmanuel Macron, reçoit, cet après-midi du mardi 18 mai au Grand Palais éphémère à Paris, 21 chefs d’État africains représentant les différentes régions africaines allant de la Tunisie au nord jusqu’au Mozambique au sud de l’Afrique, pour un sommet consacré à la relance économique post-Covid du continent. Si jusqu’ici la crise pandémique a relativement épargné ce continent sur le plan sanitaire, avec quelque 127.000 décès au total, selon les chiffres officiels, les conséquences économiques sont beaucoup plus lourdes.
La preuve par les chiffres: le continent est en passe d’enregistrer sa première récession en un quart de siècle, avec un recul de 2,1% du PIB, selon la Banque africaine de développement (BAD). Pire, près de 40 millions de ses habitants risquent de basculer dans l’extrême pauvreté en 2021, d’après la même source.
Un «New Deal» à la française
Au vu de ces terrifiantes prévisions, l’initiative du Président français d’organiser «un sommet sur le financement des économies africaines» est porteuse d’espoir. Surtout qu’elle aspire à asseoir «les bases pour un nouveau cycle de croissance sur le continent». Selon les propres mots d’Emmanuel Macron, il s’agit même d’un «New Deal», en référence à la fameuse politique de la «Nouvelle donne» lancée par le 32e Président des États-Unis Franklin Roosevelt pour sortir son pays de la Grande Dépression des années 1930. Des crédits supplémentaires substantiels avaient alors été injectés, avec succès, pour réamorcer la pompe économique, assortis d’un moratoire sur les dettes.
Le chef d'État français espère «provoquer à son tour un électrochoc pour tenter de sauver le continent de l’asphyxie financière qui le menace après la pandémie, en catalysant les réponses financières pouvant être apportées aux pays africains. En substance, ce sommet est une occasion d’évaluer les besoins très lourds de financements de l’Afrique et de voir comment ils peuvent être comblés avec une potentielle création monétaire pour injecter des liquidités sur le continent. Dans ce sens, une réallocation d’une plus grande part de droits de tirage spéciaux (DTS) du Fonds monétaire international (FMI), l’annulation partielle de la dette publique qui s’élève à 1.400 milliards de dollars ou le moratoire sur la dette sont autant de scénarios sur la table de la réunion de ce mardi», explique à Sputnik un économiste français, expert en économie du développement, des finances publiques et du traitement de la dette publique dans les pays à faible revenu et notamment des initiatives d’annulation de dettes.
Préférant s'exprimer sous le couvert de l'anonymat, l'économiste français ajoute que même si à première vue «la dette des États africains se situe entre 35% et 50% du PIB et reste donc inférieure à celle de leurs homologues occidentaux», elle est largement plus lourde à refinancer. Pour rappel, le FMI avait estimé que le continent risquait de se heurter à un déficit de financement de 290 milliards de dollars d'ici 2023.
Un nouveau départ
En tentant d’obtenir des engagements internationaux pour la relance des économies africaines, la France souhaite faire de cet événement un nouveau départ pour ses relations avec l’Afrique, avec l’espoir d’en finir une fois pour toutes avec la «Françafrique» honnie.
«Le narratif officiel annonce un "New deal", mais cela fait partie d’un effet d’annonce, une sorte de domino dont le but est de montrer que la France est de retour dans le continent africain. Le Président Macron a besoin de remettre sur les rails son discours de Ouagadougou de novembre 2017 dans lequel il a appelé à un sursaut des relations entre la France et l’Afrique avec une volonté de rompre avec les écueils du passé, surtout que depuis cette date la situation a changé avec la dégradation de la situation au Sahel, le départ précipité des militaires français de la République centrafricaine et l’hostilité antifrançaise de l’opinion publique africaine», décrypte pour Sputnik Emmanuel Dupuy, président de l’Institut prospective et sécurité en Europe (IPSE).
Pour cet expert, en s’érigeant en chantre de la relance économique en Afrique avec ce «New Deal», l’Élysée cherche clairement un gain politique.
#diplomatie
— l'Économie Quotidien (@leconomie_cmr) May 18, 2021
Ouverture ce jour à #Paris, du Sommet sur la relance des économies africaines.
Une trentaine de chefs d’États africains, européens ainsi que des organisations internationales se pencheront sur les moyens de relancer l’économie africaine et freiner son endettement. pic.twitter.com/DwNVuOZtuw
Le spécialiste des questions de sécurité européenne affirme néanmoins qu’il y a des raisons de douter de l’impact de ce sommet. Un scepticisme partagé par l’économiste français contacté par Sputnik qui assure que «la situation de crise en Afrique est trop hétérogène pour qu'une seule solution soit la panacée des problèmes de surendettement. En l’absence d’une véritable coordination entre les créanciers officiels et privés, les résultats de ces opérations de sauvetage resteront, au mieux, incertains».
Les non-dits
C’est justement concernant le nerf de la guerre que le bât blesse, s’accordent à relever les interlocuteurs de Sputnik, puisque les créanciers privés et la Chine, de loin les premiers bailleurs des pays africains, ne sont pas suffisamment représentés, voire sont absents du sommet. L’Empire du Milieu, plus gros créancier bilatéral des pays africains, reste en effet à distance de l’initiative française. Le pays ne sera représenté, cet après-midi, que par visioconférence et ne le sera pas par le Président chinois Xi Jinping.
«Les créanciers privés dont des banques commerciales, des fournisseurs et des traders, grands absents du sommet, détiennent près de 35% des parts de la dette publique africaine et 20% est détenu par l’État chinois. Ce dernier a une représentation en dessous de ce qui était attendu puisque ce n’est que l’un des quatre vice-Premiers ministres chinois Han Zheng, qui participe au sommet», détaille Emmanuel Dupuy.
D’ailleurs, dans les couloirs de l’Union africaine, «on s’offusque du choix de la présidence française de n’inviter qu’une vingtaine de chefs d’État et de gouvernement et non pas tous les pays membres de l’UA. Surtout qu’il se murmure que ce sommet n’a pas été préparé du tout en amont avec l’organisation panafricaine et encore moins avec les communautés économiques régionales. Donc d’une certaine façon, les participants ont été mis devant le fait accompli», révèle Emmanuel Dupuy.
À noter que deux événements périphériques entre la France et des États membres de l’Union africaine sont organisés en parallèle du Sommet pour le financement des économies africaines. Une conférence consacrée à la dette du Soudan a été tenue lundi 17 mai.
À la fin de 2018, le Club de Paris, dont la présidence est assurée par le Trésor français, détenait des créances sur quelque 48 pays africains pour un montant total de près de 45 milliards de dollars.
La France est fière d’être la porte par laquelle le Soudan réintègre pleinement la communauté des Nations. La France est fière que ce soit ici, au Champ de Mars, que la transition soudanaise s’offre aujourd’hui comme modèle pour l'Afrique et le monde. pic.twitter.com/Kes32fbBOO
— Emmanuel Macron (@EmmanuelMacron) May 17, 2021
Un autre entretien du Président français avec le chef d’État du Mozambique Filipe Nyusi était prévu en marge du sommet ce mardi matin, pour aborder notamment la situation dans le nord du pays, aux prises avec une guérilla djihadiste.
En analysant cette concomitance, le spécialiste français Emmanuel Dupuy signale «une volonté de parler à côté ou de diluer la vraie réponse par rapport à un contexte complexe d’endettement de l’Afrique. Un comportement qui donne l’impression que ce qui compte davantage pour le chef d’État français sont plutôt les contre-sommets plus qu’autre chose. Pour toutes ces raisons, au sein de l’Union africaine en tout cas, on ne s’attend pas à une avancée très concrète réellement dans la résolution de la crise de financement en Afrique».
Le sujet sur lequel peuvent s’entendre davantage les dirigeants participant au sommet, poursuit-il, est «l’urgence» de la résolution du conflit entre l'armée israélienne et le Hamas, qui est entré dans sa deuxième semaine.
«D’ailleurs, des négociations autour de ce conflit ont été lancées sous l’égide d’Abdel Fattah al-Sissi, comme ce fut le cas au Caire en 2014. Puisque le Président égyptien participe au sommet, il y a une sorte de perturbation d’un agenda qui ne sera pas purement africain mais qui sera davantage international. L’Égypte poussera vers la mise en exergue de son rôle de médiateur, la Tunisie montre déjà son "soutien indéfectible à la cause palestinienne", le Maroc l’importance de son rôle à travers le Comité al Qods de soutien aux Palestiniens et l’Algérie pour marquer elle aussi sa présence sur la scène internationale.»