«À l’Université de Genève et de Lausanne, on n’établit des prévisions quotidiennement que sur les sept jours à venir», prévient d’emblée le professeur Antoine Flahault.
Dans ces prestigieux établissements, où officie l’épidémiologiste, les courbes prospectives ne vont donc pas au-delà d’une semaine, là où certains se projettent sur plus d’un an. Entamant bientôt la deuxième phase de son calendrier qui doit aboutir à la levée du confinement fin juin, le gouvernement semble en effet avoir une visibilité à long terme.
Le déconfinement sera-t-il vraiment synonyme de fin du tunnel? a voulu savoir Le Parisien le 10 mai. «Nous sommes enfin en train de sortir durablement de cette crise sanitaire», lui a rétorqué le Premier ministre.
Le Gouvernement parle-t-il (encore) trop vite?
L’assurance de Jean Castex étonne donc. Pour chaque département et pour l’ensemble du pays, la méthode qu’applique le professeur Flahault avec son équipe est la même, et le long terme n’y a pas sa place.
«Je l’affirme depuis le début de cette épidémie, nous ne pouvons pas prédire au-delà de sept jours. Faire des modèles et donner des projections au-delà de trois mois n’est pas sérieux, c’est un échec à chaque fois», assure-t-il.
Les rebonds seraient donc difficiles, si ce n’est impossibles à anticiper en l’état. Certains peuvent néanmoins advenir, parmi les différents scénarios proposés par les modélisations, reconnaît notre interlocuteur.
En revanche, à l’heure actuelle et à sept jours, la tendance apparaît très favorable, souligne le directeur de l’Institut de santé globale de l’Université de Genève:
«Nous sommes passés de 40/45 .000 cas à 15.000 par jour aujourd’hui. D’ici le 19 mai, nous devrions à peu près être à 12.000», estime le professeur Flahault, confiant.
France: “L’étape du 19 mai ne devrait pas enrayer la tendance positive actuelle. Avec le 3ème confinement, on est passé de >40 000 cas/j à environ 15 000. C’est une baisse notable, donc je ne suis pas pessimiste. Dans 7 jours, nous serons à <12 000 cas/j.” https://t.co/MweBQNremU
— Antoine FLAHAULT (@FLAHAULT) May 11, 2021
Par ailleurs, le taux d’incidence de 400 contaminations pour 100.000 habitants, en dessous duquel tous les départements se trouvent désormais, n’a pas grande valeur sur le plan épidémiologique, considère-t-il: «certes, il a été atteint et heureusement, mais il ne s’agit absolument pas d’un indicateur pertinent.» L’épidémiologiste préfère garder l’œil sur le nombre de cas quotidiens pour estimer la pertinence d’un déconfinement général. Et si nous sommes bien dans «une tendance baissière», certains obstacles pourraient la compromettre, voire l’inverser, prévient le professeur.
Vaccination, variants… trop d’inconnues
Beaucoup d’éléments contingents restent en effet à prendre en compte, et bien malin celui qui saura se projeter «durablement». D’abord, «On ne sait pas si de nouveaux variants échapperont au vaccin. La question se pose pour l’indien et si tel est le cas, la donne peut considérablement changer», rappelle l’épidémiologiste.
De même, alors que le Premier ministre se félicite d’avoir bientôt vacciné 20 millions de Français, Olivier Guérin, membre du Conseil scientifique, affirme pour sa part que l’immunité collective ne sera atteinte qu’avec «75% à 80% de la population totale vaccinée ou immunisée.» Un taux qui est loin d’être atteint et qui sera même un pari très difficile à gagner, a-t-il affirmé sur RTL le 10 mai.
Arnaud Fontanet, épidémiologiste et également membre du Conseil scientifique, considère quant à lui que «l’on pourra vraiment profiter de l’été quand on aura passé les 50% de vaccinés», avançant qu’Israël ou l’Angleterre «ont ouvert, alors qu’ils avaient 40 ou 50% de la population vaccinée.» En France, nous n’en sommes qu’à 25%.
La route est donc encore longue et le pays n’est absolument pas à l’abri d’un rebond, à l’heure où l’Assemblée nationale vient de voter un projet de loi instaurant un régime transitoire de sortie de l’état d’urgence, notamment via la création d’un «pass sanitaire».
«Le Premier ministre indien avait déclaré en mars avoir vaincu la pandémie, Trump avait aussi affirmé que le virus ne reviendrait pas une fois l’hiver passé, Bolsonaro, pareil. Et la plupart des pays européens n’avaient pas anticipé la seconde vague à l’automne. Personne ne sait donc comment tout cela va évoluer», rappelle à ce titre Antoine Flahault.
Si la circulation du virus baissait au point de passer sous le cap des 5.000 cas par jour, la donne serait bien différente de celle que nous vivons actuellement, avec un plateau restant élevé et stagnant entre 12.000 et 15.000 cas par jour, justifie-t-il.
Une descente en deçà des 5.000 cas quotidiens était d’ailleurs déjà la condition fixée en novembre par le gouvernement pour sortir de la deuxième vague au 1er décembre. Or ce cap n’a jamais été atteint. Et plus de cinq mois après, bien que la courbe soit une nouvelle fois favorable –elle l’était également en novembre– il est, là encore, impossible de dire si ce chiffre pourra être atteint d’ici la fin de l’été, insiste Antoine Flahault.
Pour cause, en novembre, c’est le variant britannique qui tirait le R (taux de reproduction du virus) vers le haut et rallongeait la durée de l’épidémie. Cette fois, qu’en sera-t-il?
«Au Danemark, en Norvège, en Finlande, pays qui vont très bien et sont en décrue, une remontée commence à s’observer. Ce rebond va-t-il perdurer? Va-t-il s’étendre à l’Ouest et en Europe du Sud? Rien n’est sûr, mais c’est préoccupant. Impossible donc de savoir ce qui adviendra dans deux semaines», conclut le professeur à la faculté de médecine de Genève.