Dimanche 9 mai, plus 3.000 personnes sont venues rendre hommage au brigadier Éric Masson devant le commissariat de police d’Avignon et entonner la Marseillaise. À Paris, c’est devant l’Élysée que des policiers ont choisi de faire de même pour leur collège assassiné lors d’une opération antidrogue, moins de deux semaines après le meurtre par un djihadiste d’une administrative de police à Rambouillet.
Champs-Élysées: hommage à Éric Masson, policier tué en mission à #Avignon #EricMasson pic.twitter.com/SSvOE7xV0v
— Xenia (@XeniaReports) May 9, 2021
Deux tragédies qui s’ajoutent aux menaces de mort, agressions et aux tentatives d’homicide quotidiennes qui visent les agents des forces de l’ordre. Les menaces de mort et agressions sont en effet le lot quotidien de ceux qui tentent de faire respecter la loi, comme en témoignaient récemment les photos de policiers récemment placardées dans plusieurs villes.
Menaces contre commissariat. Graffiti Rue du professeur Ranvier à Lyon. #EricMasson pic.twitter.com/XJOAWR5Szs
— EdouardChanot (@edchanot) May 10, 2021
Aussi les policiers veulent-ils contraindre l’exécutif à infléchir sa position. À ce titre, le Beauvau de la sécurité, censé apporter des réponses aux enjeux rencontrés par les forces de l’ordre, verra sa table ronde du 17 mai boycottée, ont d’ores et déjà annoncé les principaux syndicats de police à travers un communiqué.
«Depuis, avec les différents syndicats, nous avons été reçus par le Premier ministre, où de nombreuses conditions ont été mises sur la table, notamment des peines minimales et incompressibles, que la justice soit appliquée. Nous avons été entendus», se félicite Olivier Hourcau, secrétaire général adjoint d’Alliance Police, joint par Sputnik.
Ce 11 mai a lieu la cérémonie d’hommage national, avant une grande «marche citoyenne» le 19 mai, réunissant ceux qui désirent apporter leur soutien aux gardiens de la paix, ont annoncé les principaux syndicats de police via un communiqué.
Des hommages qui sont autant de moyens de faire entendre leur voix face à un chef d’État qu’ils estiment encore sourd à leur situation. Face à la violence et à la sécession qui gangrènent de nombreuses zones en France, la police sonne pourtant l’alerte depuis longtemps. Elle dénonce aussi le manque de confiance et de moyens dont elle souffre.
Une liberté d’expression dont ne jouissent pas les militaires, mais qui semble craquer de toutes parts. En effet, la lettre ouverte des généraux en retraite, publiée le 14 avril et relayée par Valeurs actuelles le 20, a suffisamment scandalisé le gouvernement pour que le Chef d’État-major des Armées (CEMA), le général Lecointre, ordonne la tenue d’un conseil supérieur militaire, avec menaces de lourdes sanctions à la clef.
Bleus et kakis, convergence des luttes?
Les anciens soldats y dénonçaient les «dangers mortels» qui guettent la France, «délitement» et risque de «guerre civile» en tête. Même diagnostic, passé plus inaperçu, de la part d’un autre groupe de militaires en retraite, qui ont adressé aux groupes parlementaires un rapport dénonçant «la guerre hybride» qui frapperait la France et leurs solutions pour y faire face.
Comme en écho à la lettre ouverte des généraux et aux propos du CEMA qui affirmait que cette tribune «ne reflétait en rien l’état d’esprit des armées aujourd’hui», l’hebdomadaire conservateur a publié le 10 mai une nouvelle tribune de militaires, d’active cette fois. Risquant la radiation, les officiers et soldats sont restés anonymes, mais ils tiennent des propos analogues à ceux de leurs anciens:
«Nous voyons la violence dans nos villes et villages. Nous voyons le communautarisme s’installer dans l’espace public, dans le débat public. Nous voyons la haine de la France et de son histoire devenir la norme», y lit-on notamment.
Les militaires évoquent également une potentielle guerre civile qui «couve en France», rappelant que si elle «éclate, l’armée maintiendra l’ordre sur son propre sol, parce qu’on le lui demandera.» Ouverte aux souscriptions, cette lettre ouverte a déjà obtenu, en 24 heures, le soutien de plus de 150.000 personnes et continue de rassembler.
«Le chaos et la violence», une réalité dénoncée par les hommes en kaki que vivent au quotidien ceux en uniforme bleu, confirme le secrétaire général adjoint du plus grand syndicat de policiers, Alliance:
«Les faits divers nous donnent raison tous les jours. Toutes les régions sont désormais touchées, les zones de non-droit se répandent et certaines sont au bord du chaos», affirme Olivier Hourcau.
A contrario, l’ancien Président de la République, François Hollande, dénonçait sur France Inter «une pétition sans signataires» à laquelle il ne faudrait pas «accorder de crédit» et Gérald Darmanin taclait, lui, le manque de «courage» des militaires anonymes.
La population soutient policiers et militaires
Une situation de rupture avec le gouvernement, laquelle se creuse à chaque nouvelle tribune, tandis que le soutien des Français semble pencher du côté de l’armée. Un sondage Harris Interactive révélait ainsi que 58% des personnes interrogées «soutiennent les propos des militaires». Une proportion proche de celle du soutien de la population aux forces de l’ordre: en décembre 2020, dans la foulée de l’affaire Zecler, six Français interrogés sur dix disaient faire confiance à la police, selon l’institut Elabe pour BFMTV.
Face à une situation que les hommes en uniforme sont nombreux à considérer comme grave, le syndicat France Police–Policiers en colère considère que les différentes forces de sécurité doivent agir conjointement. Au lendemain du drame d’Avignon, il a adressé une lettre ouverte à Emmanuel Macron appelant à une action d’envergure. «Dans le cadre de l’état d’urgence, il faut procéder au bouclage des 600 territoires perdus de la République, y compris avec le renfort de l’Armée», réclame notamment le syndicat.
L’armée dans les rues? La police divisée
Ce ne serait d’ailleurs guère la première fois que l’armée se retrouverait mobilisée dans des opérations de sécurité intérieure. Pour rappel, l’opération Sentinelle déploie des militaires dans le cadre de l’opération Vigipirate depuis les attentats de 2015, allant jusqu’à 7.000 soldats en 2020. Un appel qu’Olivier Hourcau et le syndicat Alliance ne partagent pourtant pas. Ainsi considère-t-il qu’il existe des alternatives avant un quelconque déploiement de l’armée dans les quartiers.
«Le problème est un manque d’effectifs, car nous sommes mobilisés sur d’autres tâches indues, qui polluent notre action sur le terrain. Est-il normal que les policiers gardent des détenus à l’hôpital, fassent des transfèrements de détenus, s’occupent des procurations? Tout autant de tâches périphériques qui pourraient être transmises à la justice et permettre une meilleure force opérationnelle», estime-t-il.
Quoi qu’il en soit, le Chef de l’État reste pour l’heure sourd tant aux messages d’alerte qui se multiplient qu’aux manifestations devant l’Élysée. «C’est une réalité de dire qu’il y a de la violence dans notre société et qu’elle enfle», concédait pourtant un Emmanuel Macron le 8 mai conscient de cette insécurité patente.
Un mutisme qui pourrait bien renforcer la défiance des hommes en uniforme vis-à-vis de l’actuelle majorité. Ils pourraient en effet être tentés de se réfugier dans les bras d’un autre candidat en 2022… C’est en tout cas ce que semble indiquer un tout nouveau sondage IPSOS. 44% des policiers et militaires sondés envisageraient ainsi de voter pour Marine Le Pen dès le premier tour des Présidentielles.
Une donnée politique qui incitera peut-être l’actuel chef de l’État à réagir.