«Les choses ont beaucoup changé», se réjouit Claude Ribbe.
Vingt ans après la promulgation de la loi Taubira, l’écrivain se félicite au micro de Sputnik de voir que la commémoration du 10 mai, Journée nationale des mémoires de la traite, de l'esclavage et de leurs abolitions, est «vraiment inscrite dans le paysage national».
À en croire notre interlocuteur, la date ferait consensus. Pourtant, la question de la célébration reste très sensible. En témoignent les critiques essuyées par Emmanuel Macron après la cérémonie d’une vingtaine de minutes qui s’est déroulée au jardin du Luxembourg à Paris. En effet, lors de celle-ci, le chef de l’État n’a pas pris la parole, préférant publier un message sur Twitter a posteriori. Ainsi il a rappelé que, «il y a vingt ans, la République française, fidèle à sa devise, devenait le premier État à reconnaître la traite et l'esclavage en tant que crime contre l'humanité. Bien avant, Toussaint Louverture puis Victor Schœlcher montrèrent la voie. Nous ne les oublions pas.»
Il y a 20 ans, la République française, fidèle à sa devise, devenait le premier État à reconnaître la traite et l'esclavage en tant que crime contre l'humanité. Bien avant, Toussaint Louverture puis Victor Schœlcher montrèrent la voie. Nous ne les oublions pas. pic.twitter.com/hRcJieZlnX
— Emmanuel Macron (@EmmanuelMacron) May 10, 2021
Un service minimum qui a agacé Christiane Taubira. Lors d’un entretien accordé à France info, si elle a concédé qu’un «silence peut être solennel», elle a cependant souligné qu’il «est quand même édifiant que le président de la République n'a rien trouvé à dire sur plus de deux siècles de l’histoire de la France, alors que, il y a cinq jours, il faisait des gammes sur Napoléon Bonaparte».
Critiques à gauche
Une référence au discours d’Emmanuel Macron à l’occasion du bicentenaire de la mort de Napoléon le 5 mai dernier. «On a le droit d'avoir les fascinations qu'on veut. Cela étant, lorsqu'on a le culte des héros, c'est une époque qui ne manque pas de figures héroïques», a glissé l’ancien garde des Sceaux.
Christiane Taubira s'étonne que la président de la République n'ait pas pris la parole lors de la cérémonie du #10mai, journée nationale des mémoires, de la traite, de l'#esclavage et de leurs #abolitions
— La1ere.fr (@la1ere) May 10, 2021
🗯 "Un silence peut être solennel mais..." ⬇ pic.twitter.com/Jf8CFVbH7V
Des critiques émises également par l’opposition de gauche. À l’image d’Adrien Quatennens, député LFI. L’habitué des plateaux télé n’a pas manqué d’enfoncer le clou sur Public Sénat, en déplorant notamment qu’Emmanuel Macron «était plus bavard la semaine dernière pour commémorer Napoléon, qui avait rétabli l’esclavage». Un écho fidèle à l’indignation de la candidate malheureuse à la Présidentielle de 2002!
La nécessité de rassembler les Français
Au-delà des polémiques liées à la parole présidentielle, Claude Ribbe, auteur du Général Dumas (éd. Tallandier), préfère quant à lui souligner l’importance de mettre en lumière des figures historiques susceptibles de rassembler les Français. Et pour cause, plusieurs statues liées à l’esclavage ont été abattues l’année dernière par des activistes anticoloniaux. Autant de déboulonnages mettant en exergue les tensions liées au traitement de la question mémorielle. Par exemple, à la Martinique, deux statues de Victor Schœlcher ont été renversées en mai 2020.
Le jour de commémoration de l'abolition de l'#esclavage esclavage en #Martinique, deux statues de l'abolitionniste Victor Schoelcher ont été détruites. L'une à Fort-de-France et l'autre sur la commune de Schoelcher. (via Martinique 1) pic.twitter.com/fMy8rLZYu3
— Jeremy Audouard (@Jeremyaudouard) May 23, 2020
Ou encore en France devant l’Assemblée nationale, la statue de Colbert, ministre de Louis XIV, considéré par certains comme l’initiateur du Code noir, avait été taguée par le porte-parole de la Brigade anti-négrophobie (BAN). Tous ces incidents avaient provoqué des débats sur la suppression des statues personnages historiques faisant l’objet de controverses à la lumière des attitudes politiques actuelles. Des polémiques touchant au passage les noms de rues, de boulevards, de lycées…
Pour Claude Ribbe, s’il «n’est pas question de réécrire l’histoire», néanmoins «il faut que tous les personnages soient mentionnés, et en particulier à l’époque de Napoléon». Alors qui pourrait incarner ce récit national plus inclusif? Le choix semble être simple pour le conseiller délégué du VIe arrondissement de Paris: il faut célébrer Thomas Alexandre Dumas, premier général d’origine antillaise sous la Révolution française et héros de la campagne d’Égypte sous l’égide de Bonaparte.
«On a un général, c’est extrêmement important, qui porte les valeurs de la Révolution, c’est-à-dire les valeurs de la France et qui toute sa vie a lutté pour défendre ces valeurs, c’était un républicain.»
De surcroît, l’écrivain souligne que, bien que Dumas ait été «victime de sa couleur, cela ne l’a pas empêché d’épargner les Vendéens, même s’il s’est retrouvé général en chef à Nantes, qui était à l’époque le port négrier le plus actif». «Il a fait preuve d’une grande magnanimité. De ce point de vue, tous les Français peuvent se reconnaître en lui», affirme Claude Ribbe.
Un choix que ne contredirait pas Emmanuel Macron. Dans une interview donnée à Brut en décembre dernier, après avoir annoncé un travail de réflexion pour ériger des statues avec des personnages historiques issues des minorités, de l’immigration, le président avait cité le nom du général Dumas.
«Avec le général Dumas, on peut rassembler tout le monde autour d’une journée qui, à mon sens aujourd’hui, est reconnue et acceptée par l’ensemble de la classe politique et par l’ensemble des Français de toutes opinions», conclut notre interlocuteur.