Opposé depuis des mois à la levée de la propriété intellectuelle sur les vaccins, Emmanuel Macron a fait volte-face, peu après que Joe Biden avait soutenu cette mesure pour renforcer leur accès.
Le Président de la République s’est déclaré le 6 mai «tout à fait favorable à ce que la propriété intellectuelle soit levée».
«Oui, nous devons évidemment faire de ce vaccin un bien public mondial», a-t-il annoncé en inaugurant le plus grand vaccinodrome à Paris, situé porte de Versailles, dans le XVe arrondissement. Selon lui, la priorité à court terme est «le don de doses» et «de produire en partenariat avec les pays les plus pauvres»:
«Vous pouvez transférer la propriété intellectuelle à des fabricants pharmaceutiques en Afrique, ils n'ont pas de plateforme pour produire de l'ARN messager. Transférer la technologie et le savoir-faire pour qu'il y ait des plateformes qui produisent des vaccins à ARN messager en Afrique: c'est ça, la clé», a-t-il expliqué.
Pourtant, deux semaines plus tôt, il avait de nouveau refusé l’idée de lever les brevets. Au lieu de cela, le chef de l’État avait soutenu le transfert des technologies.
Selon le ministère de l’Industrie cité par CheckNews de Libération, ce changement de discours sur le sujet n’apporte rien: «D’un point de vue industriel, la situation n’a pas changé […]. Qu’on ait les brevets ou pas, le problème reste le même: l’enjeu c’est d’augmenter collectivement les capacités de production de vaccins».
L’influence de Biden?
Toutefois, un éditorialiste politique à BFM TV a mis en avant le fait qu’Emmanuel Macron a ainsi emboîté le pas du Président américain.
«Il a changé d’avis, et celui qui l’a fait changer d’avis, c’est Joe Biden, qui la veille a surpris en prenant cette mesure extraordinaire compte tenu de circonstances extraordinaires. Cela hérisse les laboratoires, car ils vont voir disparaître la propriété intellectuelle de leurs vaccins, mais la demande était portée par une soixantaine de pays dont l’Afrique du Sud ou l’Inde et à laquelle s’étaient toujours opposés les Occidentaux dont Emmanuel Macron», indique Matthieu Croissandeau, éditorialiste politique à BFM TV.
Mais l’expert a précisé que ce changement méritait d’être nuancé: «En juin 2020, lors d’un sommet sur la vaccination, Emmanuel Macron est le premier à parler d’un bien mondial. Le vaccin est hypothétique mais son idée à l’époque est de passer par un soutien financier à la recherche et à la diffusion afin qu’il soit abordable pour tous».
Le partage de la propriété intellectuelle était également vu par le Président français plutôt comme un dernier recours, dans une interview au Financial Times en février. Selon lui, en cas d’absence de coopération entre les fabricants de vaccins, «la question politique de la propriété intellectuelle se posera inévitablement dans tous nos pays».
Un soutien aux laboratoires pharmaceutiques?
Cette ancienne prise de position du chef de l’État français a été critiquée ce 7 mai par Manon Aubry, eurodéputée La France insoumise, au micro de Franceinfo. Elle l’a accusé d’avoir soutenu «les intérêts des laboratoires pharmaceutiques».
«En effet, ça fait plus d'un an qu'on se bat pour obtenir cette levée des brevets et massifier les capacités de production au niveau international, enlever des mains des laboratoires pharmaceutiques le monopole de production, faire en sorte qu'il n'y ait pas de profits sur la pandémie. Mais en la matière, je note que Macron a des discours très différents des actes, puisqu'il s'est systématiquement opposé à cette levée des brevets à l'Organisation mondiale du commerce.»
Selon elle, «des mois et des mois» ont été perdus lorsque l’UE avec la France n’autorisait pas l’Organisation mondiale du commerce à donner l’accès à la propriété intellectuelle. «Ce sont autant de vies que nous aurions pu sauver», a déploré l’eurodéputée tout en rappelant la situation sanitaire grave en Inde «et même en France».
Un appel à exporter les vaccins et leurs composants
Au lendemain de ce discours, Emmanuel Macron a également appelé ce 7 mai à la solidarité vaccinale mondiale, en demandant aux Anglo-Saxons de permettre les exportations de vaccins et des ingrédients nécessaires pour les fabriquer.
«Les Anglo-Saxons bloquent beaucoup de ces ingrédients et des vaccins. Aujourd'hui, 100% des vaccins produits aux États-Unis d'Amérique vont pour le marché américain», a-t-il déclaré à son arrivé à un sommet européen à Porto. «Pour que le vaccin circule», il ne faut «pas bloquer les ingrédients et les vaccins eux-mêmes», conclut-il.