«Je serai au Liban avec un message de grande fermeté aux responsables politiques […] fermeté face à ceux qui bloquent la formation du gouvernement: nous avons pris des mesures nationales, et ce n’est qu’un début», a asséné Jean-Yves Le Drian, ministre des Affaires étrangères, le 5 mai avant son déplacement à Beyrouth. Le ton était donc donné. Face à l’effondrement politique et économique du Liban, la France tape du poing sur la table. Malgré les innombrables appels de Paris en faveur de la formation d’un gouvernement, la classe politique libanaise n’a pas bougé d’un iota. Pire, les fractures traditionnelles se sont même accentuées.
Face à l’immobilisme des élites, la France a d’ailleurs commencé à le faire le 29 avril dernier, en ciblant sans les nommer plusieurs personnalités libanaises, leur interdisant de se rendre sur le territoire français. Un décision qui n’est pas du goût de tout le monde au Liban:
«On n’y voit plus très clair dans la politique française, un jour c’est blanc, un jour c’est noir», juge Ibrahim, un militant libanais des droits civiques basé à Beyrouth, avant d’ajouter: «On s’attendait à voir Macron et finalement, on a son ministre des Affaires étrangères qui vient donner la leçon.»
En effet, le Président de la République était attendu au Liban. Après l’annulation de son déplacement la veille de Noël pour cause de Covid, Emmanuel Macron avait précisé qu’il se déplacerait dans le courant de l’année 2021 pour faire un bilan des avancées politiques. Indépendamment de la non-venue du locataire de l’Élysée, la position française semble indiquer «un changement à 180°», pense l’activiste, qui milite dans une structure aconfessionnelle.
Le Drian au chevet de la société civile?
Jean-Yves Le Drian a rencontré les décideurs politiques libanais, à l’instar de Président Michel Aoun, du chef du Parlement, Nabih Berri, ainsi que le Premier ministre désigné, Saad Hariri. Selon l’entourage du ministre, les rapports furent cordiaux, mais tendus. Le chef de la diplomatie française n’a pas manqué de rappeler que «si le blocage persiste, ces mesures pourront être durcies ou étendues», faisant référence aux récentes sanctions.
#Liban Jean-Yves Le Drian a rencontré pour la première fois une délégation de l’opposition : des représentants d’une dizaine de partis et de collectifs issus de la « thawra » (« révolution »), le mouvement de protestation antisystème de l’automne 2019 https://t.co/Ug6Yi6K0f5
— Le Monde (@lemondefr) May 7, 2021
De ce fait, Paris change peu à peu son fusil d’épaule et se tourne vers un autre interlocuteur, à savoir la société civile. Le Drian s’est en effet entretenu deux longues heures avec des partis de l’opposition. Une opposition aconfessionnelle qui s’était formée dans le sillage de la «révolution» libanaise d’octobre 2019. Pourtant, Paris a longtemps préféré défendre la classe politique traditionnelle.
«La France a échoué, mais ne veut pas l’admettre, donc elle adopte une nouvelle position, certainement plus populaire. Le Drian s’est entretenu avec des chefs du bloc national et cela n’est pas sans arrière-pensée. C’est une manière de dire que si les dirigeants traditionnels ne font rien, ils seront relégués au second plan», estime Ibrahim.
«Cela pourrait être une bonne chose, mais je crains que la France ne fasse plus peur à personne», ajoute-t-il. «La France joue avec des pincettes au Liban, si elle tape trop fort, elle risque de perdre pied au Moyen-Orient», juge encore notre source locale. Durant la vague de contestations au Liban, Paris s’était bien gardée de prendre parti.
«Le coq français perd des plumes»
«La France a plus besoin du Liban que l’inverse. Sa politique est erratique. Elle s’adapte en fonction de la conjoncture et mange à tous les râteliers. Avec cette politique, le coq français perd des plumes. Hier, elle serrait la main du Hezbollah, aujourd’hui elle enlace la société civile», critique-t-il.
Depuis les remontrances de ses alliés européens, Paris ne s’adresse plus au Hezbollah. Vivement critiqué par ses partenaires pour avoir discuté avec le parti chiite en septembre dernier, le gouvernement français semble se conformer aux attentes européennes sur le dossier libanais.
«N’est pas de Gaulle qui veut. Avec sa politique libanaise, la France perd son indépendance et toute crédibilité. Elle n’arrive plus à imposer quoi que ce soit et a besoin de se référer à plus fort qu’elle: l’Union européenne ou les États-Unis», conclut-il.