«C’est évidemment une bonne nouvelle qui a été saluée dans le monde entier car elle a une valeur historique», se félicite l’eurodéputé LFI Younous Omarjee au micro de Sputnik.
Une «décision historique», ce sont aussi les mots du directeur général de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), le Dr Tedros Adhanom Ghebreyesus, pour qualifier la prise de position de l’administration Biden communiquée ce mercredi 5 mai. Katherine Tai, la représentante pour le commerce des États-Unis, a invoqué les «circonstances extraordinaires de la pandémie de Covid-19» qui «appellent des mesures extraordinaires». «L’administration croit fermement en la protection de la propriété intellectuelle, mais au service de la fin de cette pandémie, elle soutient la renonciation à ces protections pour les vaccins contre le Covid-19», a-t-elle ajouté.
Il aura fallu attendre que l’Afrique du Sud, l’Inde, le Pape, puis les USA soutiennent la levée des brevets sur les vaccins pour que « l’Europe réfléchisse ».
— Fabien Roussel (@Fabien_Roussel) May 6, 2021
L’Europe, avec Macron en fer de lance, dernier bastion des big pharma et de leurs profits! pic.twitter.com/5s6HedlVrC
L’un des principaux enjeux autour de cette décision concerne précisément le droit de la propriété intellectuelle. «C’est forcément une bonne nouvelle pour la vaccination des pays qui ont des difficultés à acquérir des doses», convient l’avocat Michel Nassar, spécialiste du droit des sociétés et de la propriété intellectuelle. «En revanche, la question de la pérennité de ce système va inévitablement se poser: les brevets font partie des droits de propriété intellectuelle et il ne faut pas oublier le mot “propriété” en particulier là-dedans», précise-t-il à notre micro.
L’industrie pharmaceutique veut «préserver ses intérêts jusqu’au bout»
La veille, Albert Bourla, le PDG de Pfizer, avait considéré que le partage des brevets serait une «erreur». De son côté, Stephen Ubl, le président de la fédération représentant l’industrie pharmaceutique américaine (PhRMA), a souligné que cette décision risquait d’«affaiblir davantage les chaînes d’approvisionnement déjà tendues» et de «favoriser la prolifération de vaccins contrefaits». Des réactions qui ont le don d’agacer l’eurodéputé Insoumis Younous Omarjee:
«Ils vont toujours trouver des arguments pour tenter de contrecarrer cette orientation. Ils veulent préserver leurs intérêts jusqu’au bout et déploient ainsi des trésors d’énergie pour s’opposer à ce qui est une évidence!», s’insurge le président de la commission du Développement régional du Parlement européen.
En tout état de cause, la levée des brevets de vaccins, si elle se confirmait, devrait profiter avant tout aux pays pauvres et défavorisés, qui ont toutes les peines à acquérir des doses suffisantes pour assurer leur campagne de vaccination. En octobre dernier, l’Inde et l’Afrique du Sud avaient déjà saisi l’Organisation mondiale du commerce (OMC) afin de lever temporairement les brevets sur les vaccins. «On considère enfin que le vaccin est un bien commun et universel: c’est surtout une très grande avancée pour la communauté internationale», approuve Younous Omarjee.
Vers une nationalisation de la recherche scientifique?
L’avocat Michel Nassar, spécialiste du droit international, résume ainsi les choses: «Certains diront que les laboratoires ont déjà rentabilisé leur recherche: c’est la vision sociale et interventionniste du droit. L’autre approche consiste à dire qu’en faisant cela, on risque de produire une crise de confiance: les laboratoires ne sont pas des associations caritatives!», rappelle-t-il.
«L’enjeu, c’est aussi celui du modèle économique et financier des groupes pharmaceutiques à l’avenir: va-t-on véritablement nationaliser la recherche ou est-ce une simple entorse provisoire à un principe sacré?», s’interroge Michel Nassar.
Et le juriste de prendre un exemple concret pour illustrer le dilemme: «Si Sanofi –qui n’est pas parvenu à produire un vaccin– doit assumer ses pertes, inversement Pfizer devrait pouvoir prétendre, en théorie, récupérer le bénéfice de l’ensemble de ses gains.» En faisant du brevet un bien commun et non plus une propriété intellectuelle, le risque serait ainsi de décourager les laboratoires à investir dans la recherche scientifique à l’avenir.
«Il y a forcément un intérêt économique et politique derrière pour Joe Biden»
Quelques heures après l’annonce de la décision de l’administration américaine, les actions des entreprises concernées ont fini la séance en baisse à Wall Street: Moderna a perdu 6,3 %, Novavax 4,8 %, BioNTech 3,5 %, tandis que le leader du marché Pfizer était stable. Il y a fort à parier que l’évolution du cours de Bourse des labos sera scrutée de près par les décideurs politiques dans les jours qui viennent. Et pour cause:
«Si les labos continuent à investir massivement dans la recherche pour les prochains variants, il s’y retrouvent en fin de compte malgré cette perte de revenus. En revanche, si on voit que le cours de Bourse des laboratoires dégringole et que les investissements diminuent, on risque de faire reculer la recherche», avertit Michel Nassar.
«J’espère vraiment que l’Union européenne et les pays membres de l’OMC auront une position très claire et qu’ils pourront définitivement s’affranchir des intérêts de Big Pharma», souhaite l’eurodéputé Insoumis.
Après avoir longtemps tergiversé et estimé que la suspension des brevets devait être le «dernier recours», Emmanuel Macron s’est dit quant à lui «tout à fait favorable à ce que la propriété intellectuelle soit levée» sur les vaccins ce jeudi 6 mai. Le Président russe Vladimir Poutine s’est à son tour déclaré pour une telle initiative. «Dans les conditions actuelles, comme je l’ai déjà dit à de nombreuses reprises, il ne faut pas penser à la façon de tirer un bénéfice maximum mais à la façon d’assurer la sécurité des gens», a-t-il affirmé ce jeudi 6 mai.
Emmanuel Macron sur la levée des brevets: "Nous devons faire de ce vaccin un bien public mondial" pic.twitter.com/d77dqZ5nzA
— BFMTV (@BFMTV) May 6, 2021
Si la communauté internationale dans son ensemble salue ainsi la décision américaine, celle-ci n’est pas pour autant motivée par une simple charité au bénéfice des pays défavorisés. Alors que quasiment un tiers (près de 33%) de la population outre-Atlantique est déjà totalement vaccinée et que la vaccination sera bientôt étendue aux enfants de plus de 12 ans, les États-Unis misent sur une reprise des échanges commerciaux aussi rapide que possible… au bénéfice des pays riches. «Pour chaque dollar investi pour rendre les vaccins accessibles aux États les plus pauvres, les pays riches recevront 4,80 dollars de retour sur investissement… Il ne s’agit pas seulement d’une obligation morale. C’est efficace économiquement», écrivaient ainsi une centaine de parlementaires dans une lettre adressée à Joe Biden le 30 avril dernier.
«Aucune décision politique n’est jamais à 100% philanthropique. Il y a forcément un intérêt économique et politique derrière pour Joe Biden», glisse Michel Nassar.