Une «France unie et apaisée», une «nation qui peut prendre toute sa part à l’invention du monde qui vient», ou encore une «Europe qui protège non plus comme un souhait mais comme un fait». C’est ainsi qu’Emmanuel Macron imagine le monde de demain. Invité à envisager l’état de la France en 2025 à l’occasion de la parution du numéro 2000 du quotidien europhile et libéral L’Opinion, le Président de la République s’est voulu «optimiste», ainsi qu’il le confie lui-même dans sa tribune.
«Les Français se rendent bien compte qu’il y a une extension de l’insécurité à l’ensemble du territoire», analyse le politologue Christophe Boutin.
De fait, les Français auraient tendance à plébisciter dans leur grande majorité les constats dressés par les officiers lanceurs d’alerte dans la tribune des militaires appelant à «un retour de l’honneur de nos gouvernants», parue dans les colonnes de Valeurs actuelles.
Un «décalage» partagé «avec une part non négligeable de nos élites»
Entre l’état de l’opinion et la perception du pays de la part du chef de l’État, il y aurait comme un léger décalage. «Cela fait deux fois que le Président de la République utilise le terme “d’apaisement”, qu’il avait déjà employé dans une interview donnée au Figaro», fait observer Christophe Boutin. Face à la dégradation sécuritaire, Emmanuel Macron disait ainsi vouloir se battre «pour le droit à la vie paisible».
«Depuis qu’Emmanuel Macron est au pouvoir, la “France apaisée”, ça a été les Gilets jaunes ou encore la crise des retraites! Il n’y a pas eu de sensation d’apaisement en France. Tout au contraire, c’est la porte ouverte laissée à la contestation des décoloniaux et des multiculturalistes qui remettent en question l’histoire de la France ainsi que ses valeurs», fustige Christophe Boutin.
Dans sa tribune, le chef de l’État se gargarise d’une ambition de «renaissance» du pays, grâce à une «jeunesse» qui aura «tourné la page de la pandémie» et qui aura «trouvé sa place dans la société». Si l’on ajoute la certitude du retour de «l’excellence industrielle française» et d’une France à «l’avant-garde du progrès vert», la tribune présidentielle prendrait presque des allures de profession de foi digne du philosophe Pangloss dans le conte voltairien Candide ou l’Optimiste.
«Je crains que le Président de la République ne soit pas le seul à avoir un certain décalage, qu’il partage avec une part non négligeable de nos élites!» poursuit l’auteur du «Dictionnaire des populismes» (éd. du Cerf).
«On ne peut pas tout reprocher aux élites et demander au gouvernement d’être dans la gestion de crise, qui implique une grande réactivité et qui est éminemment prenante, de prendre le recul nécessaire pour mesurer le pouls de l’opinion», reconnaît toutefois notre interlocuteur. «Mais il y a évidemment une part d’aveuglement chez nos gouvernants», précise-t-il.
45% des Français pensent que «la France connaîtra prochainement une guerre civile»
Pour ne pas arranger les affaires du Président de la République, les résultats de l’enquête menée par Harris Interactive ne s’arrêtent pas là. Le spectre de la «guerre civile» agité par les militaires dans leur tribune trouve bel et bien un écho dans l’opinion publique. Si l’on en croit le sondage, 45% des Français pensent que «la France connaîtra prochainement une guerre civile». Un pourcentage qui grimpe à 50% chez les sympathisants des Républicains, à 61% chez partisans de La France insoumise et à 78% pour ceux du Rassemblement national. Les Français seraient-ils soudainement devenus collapsologues? Christophe Boutin, quant à lui, «se méfie d’un terme ambigu».
«Qu’il puisse y avoir une violence généralisée, cela ne fait guère de doute. Mais l’idée de guerre civile laisserait entendre qu’il y ait deux camps voulant contrôler l’intégralité du territoire, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Il faut être très prudent sur le terme de “guerre civile”», avertit le professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie.
«C’est un désaveu très lourd pour le politique: les Français pesnent que le politique ne donnera pas cet ordre, qu’il se refuse à agir et à tirer les conséquences de ses responsabilités», avance Christophe Boutin.
Ce sondage intervient dans un nouvel épisode de crise sécuritaire et de polémiques judiciaires dans le pays. L’égorgement d’une policière dans le sas du commissariat de Rambouillet par un terroriste islamiste, le 23 avril dernier, s’ajoute à l’acquittement de huit des treize jeunes accusés dans l’affaire des policiers brûlés à Viry-Châtillon ainsi qu’à l'irresponsabilité pénale prononcée par la Cour de cassation dans le procès de l’assassin de Sarah Halimi. Pour Christophe Boutin, le sentiment d’injustice et d'impunité dans ces récentes affaires, qu’il soit justifié ou non, explique en partie les résultats de l’enquête menée par Harris Interactive. «La proximité entre l’attentat de Rambouillet et le sondage a évidemment un effet levier», indique l’essayiste. Avant de conclure: «Le fait que l’assassin de Sarah Halimi ait été jugé irresponsable par les magistrats parce qu’il avait fumé du shit joue peut-être aussi.»